LA PARTIE CIVILE CHARGE ME WADE ET SA GESTION FAMILIALE
PLAIDOIRIES DANS LE PROCÈS KARIM WADE
Hier, Mes William Bourdon, Pape Moussa Félix et Yérim Thiam ont bouclé les plaidoiries du côté de la partie civile. Tout en tentant d’asseoir l’accusation, ces avocats de l’Etat réclament des sanctions contre les prévenus, tout en faisant le procès de la gestion de Karim Wade et par ricochet celui du régime libéral.
Des sanctions. Les avocats de l’Etat en attendent beaucoup de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) chargé de juger Karim Wade, Mamadou Pouye, Ibrahima Aboukhalil Bourgi, Alioune Samba Diassé et Mbaye Ndiaye ainsi que leurs quatre présumés complices en fuite.
Me Yérim Thiam est allé même jusqu’à demander au parquet spécial de faire des réquisitions sévères. Parce que tout simplement, les prévenus constituent une bande organisée qui ne bénéficierait d’aucune indulgence dans certains pays. "En Iran, on les aurait pendus. En Chine, on les aurait fusillés d’une balle et demandé à la famille de payer", a fait savoir l’ancien bâtonnier qui regrette que l’enrichissement illicite ne soit pas criminalisé.
Quoi qu’il en soit, son confrère Me William Bourdon demande "un verdict juste ; pas d’acharnement, pas d’outrance, pas d’excès". A son avis, la sanction se justifie, parce qu’il y a une somme d’éléments de preuves suffisants pour condamner Karim Wade et les hommes de son clan". Ceci malgré le "stratagème" du fils de l’ex-président Wade qui a opté pour le silence comme moyen de défense. Une attitude qui ne surprend guère l’avocat français, d’autant que, fait-il remarquer : "Les grands criminels d’argent n’ont pas d’autre issue que d’essayer, devant l’opinion, de se mettre dans la position du martyr."
Me Bourdon : "En politique, l’ennemi est la famille"
Faisant un retour vers le passé, et particulièrement sur la gestion libérale, Me Bourdon a soutenu que "beaucoup de principes ont été oubliés". Citant Senghor, il a déclaré que "tout n’est pas permis et qu’en politique, l’ennemi est la famille". Dans la même veine, Me Pape Moussa Félix Sow a volé dans les plumes de l’ex-président qui a "associé sa famille à la gestion de l’Etat". Une décision "catastrophique", selon la robe noire. "L’ancien Chef d’Etat a commis une erreur politique grave en associant son fils", a-t-il constaté.
Et faisant allusion au nombre de postes ministériels occupés par le prévenu Karim Wade pendant que son père était au pouvoir, l’ancien bâtonnier a indiqué que le prévenu a profité de sa position d’antan pour plomber certains secteurs. "Les Industries chimiques du Sénégal (ICS) ont sombré dans un règlement préventif. Pourquoi ? On nous a dit que c’étaient des Indiens qui l’avaient rachetée, alors qu’ils ne détiennent que 15%, et les 65% l’Etat. La Sonacos a été bradée. Où sont passés tous ces lingots des mines de Sabodala ?".
Ces interrogations ont poussé Me Sow à s’insurger contre ceux qui réclament la libération de Karim Wade. "Qu’on arrête de dire "nagnou ko yeureum", qu’on le laisse libre", a asséné l’avocat, avant de conclure : "Et les milliers de Sénégalais qui dorment en prison ! Mais alors libérons tout le monde !"
Karim Wade, le chef d’orchestre
Revenant sur les faits, l’avocat a laissé entendre qu’il y a deux cerveaux dans cette affaire et Karim Wade en est le chef d’orchestre. "Puisqu’il était agent de l’Etat, il ne pouvait apparaître, vu que la Constitution lui interdit d’avoir des activités privées ou publiques", a souligné Me Sow. Selon ses explications, à cause de cette contrainte, il fallait trouver à l’ex-ministre d’Etat un bras armé qui n’est personne d’autre qu’Ibrahima Aboukhalil dit Bibo Bourgi.
"Il s’honorait d’être le prête-nom. Ce n’est pas l’héritier riche. Tout est apparence, fictivité, tromperie, simulation", a souligné la robe noire, tout en indiquant que les prévenus se sont appuyés sur l’administration pour commettre leurs faits dans les secteurs aéroportuaires, portuaires, financiers, immobiliers.... "L’organisation de cette "fictivité", c’est Mansour Gaye. Qu’il soit poursuivi pour faux témoignage", a soutenu l’avocat.
Toujours pour expliquer le modus operandi des prévenus, Me Sow a relevé que "lorsque la structure n’est constituée que pour écran, elle est détournée de sa vocation légale et le droit se dégénère en un abus de droit". Concernant le domaine bancaire, l’ancien bâtonnier a renseigné que 4,6 milliards, dont plus d’un milliard ont été versés à la Société générale de banque (SGBS), sans que la banque ne s’interroge sur l’origine de ces fonds.
"L’Etat a permis à Hardstand de faire l’économie de 6 milliards par rapport aux coûts du marché. Ici, c’est l’administration qu’on utilise pour donner des biens à des personnes", a-t-il indiqué en guise d’illustration. "Ils ont tout mangé. Quand j’étais étudiant, nous mangions d’une seule main, mais là, ils ont mangé avec les deux mains et bloquaient avec les pieds tout ce qui passait, avec mépris et arrogance", a renchéri Me Yérim Thiam.
La conclusion de Me Sow est toute faite : "Au Sénégal, ceux qui devraient être les hommes riches sont moins riches que les hommes politiques. On pense qu’il faut faire de la politique pour gagner de l’argent."