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L'improbable interview de Souleymane Faye
Ses propos dans les colonnes de l’Observateur en pleine tempête Charlie Hebdo avaient fait l’effet d’une bombe. Connu pour être libre d’esprit, Souleymane Faye évoque les dommages collatéraux que cette sortie a créés au sein de sa famille et proches. L’ancien lead vocal du mythique groupe de "Xalam" qui a accepté de se confier à EnQuête, dans le cadre bien feutré du "Diouloulou", revient sur le débat qu’il avait créé, critique l’hypocrisie d’une société qui a du mal à vivre en harmonie avec elle-même, évoque sa retraite et délivre des messages de joie et de paix. Souleymane Faye, tel quel, masques à terre, critique, impertinent, mais respectueux de l’autre.
Tu viens de chanter le morceau "Soul", une chanson qui est entre la salsa et le folk. La thématique que tu y évoques semble bien tragique…
En fait, c’est une chanson qui s’inspire de ma mère. C’est elle-même qui me raconte cette histoire. Elle était très malade, peut-être dans le coma et les gens ont cru qu’elle était morte. On l’a amenée au cimetière pour l’y enterrer. On creuse. Et puis surprise, ma mère a éternué. (Il étouffe un rire avant de poursuivre). Je me suis inspiré de cela. L’autre jour, un fan m’a interpellé pour me dire : "Mais grand, tu ne dis que la vérité. Mon fils a 7 ans, on a failli l’enterrer vivant, il n’était pas mort. Ce sont donc des choses qui arrivent au Sénégal. Quelqu’un perd connaissance et on l’enterre, surtout dans les zones où on aime enterrer vite. Mooy Yakamti soul…Baaxul.
Une réalité qui traduit peut-être une façon de vivre et de faire des Sénégalais, non ?
Alors cela peut paraître banal, mais pas du tout. Je pense que si quelqu’un a des problèmes et qu’on a des doutes, on doit appeler le médecin. C’est le médecin qui doit dire que "tel est mort, tel est encore vivant". Mais non, les gens ici, disent : "geumleen Yalla, kii deena, alors que "Deewul". Avant, les tombes n’étaient pas aussi profondes que maintenant. Et souvent dans les cimetières de villages, des tombes s’ouvraient parce que des personnes enterrées ont réussi à se libérer et sortir. Mais aujourd’hui, les tombes sont carrelées, donc aucune chance. (Rires).
Et puis tu as raison, il faut s’interroger sur les manières de faire dans notre pays. Le "Natt dëdj" pose problème dans notre société. Diw joxee na lii, diw joxee na nangam. Alors moi, je pense que parmi les négligences dans la prise en charge de certains malades, il y a cet appât du gain. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’on souhaite systématiquement la mort pour récupérer derrière de l’argent, mais souventilyaunpeudecela.Ilfautbienque les gens récupèrent ce qu’ils ont investi avant du vivant du défunt. Vous comprenez ! C’est du business même si ici les gens sont assez hypocrites pour reconnaître cela. Ils se caressent le ventre et disent "alhamdoulaahi" alors que c’est souvent une affaire de sous. Alors que si on avait investi tous ces sous versés par un "diw" et un "diw", le malade allait peut-être guérir. Notre société a besoin de guérir de ce côté-là. Je crois…
Tu critiques beaucoup la société sénégalaise. Pourquoi ?
Parce que c’est une société hypocrite. Et moi je déteste l’hypocrisie. J’aime ce qui est pur.
Hypocrite et comment ?
Parce que ceux qui vous tissent des lauriers devant vous, sont les mêmes qui vous insultent lorsque vous n’êtes plus là. Gnoulay jay, gnoulay xass, gnoulay guereum gnoulay xass ! Ce n’est pas bon. Une société ne peut pas fonctionner ainsi. Et moi Souleymane Faye, j’ai souvent l’impression d’être seul au monde parce que personne ne se soucie de moi. J’ai de la famille, une épouse, des enfants, mais n’empêche, je suis seul au monde. J’ai souvent l’impression que je pense à tout le monde. Je donne le mieux que j’ai, mon cœur, mais je suis désolé de le dire comme cela, on ne pense pas à moi. Même ma famille, mes enfants etc. Des fois en famille, je me retrouve si seul. Je ne donne pas pour qu’on me rende, mais souvent un petit "merci" quoi, un petit sourire, un trait d’affection quoi… Vous comprenez ?
C’est peut-être cela qui explique ta dernière sortie sur Charlie Hebdo au Sénégal, dans un contexte qui était déjà assez tendu.
Je voudrais d’abord dire une chose : moi je condamne tous les extrémismes. Aussi bien le terrorisme que Charlie Hebdo.
Vous vous êtes défini comme un musulmenteur. C’est assez osé comme qualificatif…
Oui, musulmenteur. Tu sais au Prophète Mohamed, on a une fois demandé : "Est-ce qu’un musulman fume ?" Il a dit oui. "Est-ce que le musulman boit de l’alcool ?" Il a dit oui. On lui a demandé : "Est-ce que le musulman fait de l’adultère ?" Il a dit oui. "Est-ce que le musulman ment ?" Il a répondu, non. Un musulman ne ment pas. Même quand on veut le tuer, il ne ment pas. Le plus important, c’est que je n’ai pas menti. Je suis une personne pas facile à cerner mais je dis toujours ce qui se passe. Je n’aime pas mentir. Ni à moi-même, ni aux autres. J’aime la vérité et je l’assume.
Mais l’affaire de Charlie Hebdo, cela m’a coûté cher (…) Au sein de ma famille, mes enfants, mes beaux-parents. Certains m’ont dit : "Mais grand bi, loumouy wax nii ?" (qu’est-ce qu’il est en train de raconter comme cela ?). Même ma femme m’a demandé : "Les propos qu’on te prête dans le journal, est-ce que c’est vrai ?" Je lui ai répondu : "Oui, c’est vrai". Elle ajoute : "Donc tu me trompes ?" Je lui dis : "Non, pas souvent." Elle me dit : "C’est pourquoi souvent je vois des capotes dans tes bagages ?" Je réagis pour lui dire : "Ça, c’est pour te protéger. Cela fait trois mois que c’est dans mon portefeuille et je ne l’ai pas utilisée. Si je l’avais utilisée, tu ne l’aurais pas vue." Mais crois-moi, j’aime beaucoup ma femme. Je l’adore. Je n’échangerais aucune femme au monde contre ma femme, mais j’ai besoin d’avoir une certaine liberté de vie. Et au fond, je n’ai fait que dire devant eux ce qu’on dit derrière moi. Souleymane day mandi ! Mais non, je ne suis pas un soulard. Prendre de temps en temps de l’alcool ne veut pas dire être soulard. Et mon fils aussi m’a interpellé pour me dire qu’il n’a pas osé sortir de la journée. Je lui ai dit oui, c’est la vérité. Je l’assume.
Cette sensibilité-là, elle te vient d’où ? Cette façon crue et directe de dire les choses.
Elle vient de Dieu. Lorsqu’un journaliste me pose une question, c’est comme si c’est Dieu qui me pose la question.
Apparemment vous êtes un croyant
Oui je crois en Dieu.
Je vois une croix qui pend sur votre poitrine, vous faites partie des rares musulmans sénégalais…
Il coupe en rigolant : "Musulmenteur". Au début, les gens étaient très critiques, surtout sur Internet, mais ils ont ensuite compris. (L’air absent, il enchaîne). J’ai curieusement beaucoup pensé au Président Macky Sall. Je sais qu’il m’aime beaucoup. Je m’inquiète que cela impacte sur nos relations. Parce que je sais qu’il m’estime beaucoup. Je m’inquiète de sa réflexion.
Que pensez-vous sincèrement de la société sénégalaise ?
Hypocrite.
Et pourquoi tu penses cela ?
Parce qu’il faut appeler un chat, un chat. On vit dans un monde où il est difficile de faire confiance. Je suis seul au monde. Damay wéét ci samay xalaat. Et puis je n’aime pas cette solidarité où tout vient de ta poche. Teranga bi nga xamne ci say poches lay joggé, ana teranga boobu. Pour gnou teral la, il faut que tu sortes de l’argent, ana teranga.
Assez sévère, non ?
Mais, non ! Je pense qu’on est comme des robots aujourd’hui. Pas comme les animaux, mais comme les robots. Vous savez, l’animal est affectueux, mais le robot n’a pas de sentiment. Si tu es digne au Sénégal, tu auras du mal à réussir. Il faut que "nga goradi". Nga mandu ! Si tu es correct, on dit que amouloo fouleu.
Tu penses que nos compatriotes sont des gens… disons méchants.
Méchants ? Non. Souvent on dit que les Sénégalais sont comme cela alors que ce sont les hommes sur tous les continents qui sont comme cela. Et bien souvent, c’est la misère qui fait cela. Ici quand tu as du talent, on le reconnaît quand même. Et ça, c’est du bon, je pense.
Comment apprécies-tu l’état de la tolérance à la fois sociale, religieuse etc. au Sénégal ?
Moi je suis venu au monde en 1951 à Gambetta. Je suis en fait un boy du Plateau. Beaucoup de gens pensent que je viens du village ou de Rufisque. C’est lié au fait que mes parents viennent de l’intérieur du pays. Mon père vient du Fuuta, ma mère vient du Baol. Mon grand-père fut un grand marabout au point que Serigne Touba l’a parrainé (seexal). Serigne Demba Kane de Ndiarème est le père de ma mère. Aujourd’hui, lorsque je vais à Ndiarème, on me donne le Hadiya. Actuellement dans ma famille, c’est moi le cheikh. J’aurais pu gambader à Diourbel.
On peut dire que beaucoup de personnalités se fondent en toi
Je suis un religieux. Je crois aussi bien à Mohamed (Psl), à Jésus Christ, Moïse, El Hadj Malick, Serigne Bamba etc. De toutes les façons, il n’y a qu’un seul Dieu, il n’y en a pas deux. J’ai été béni par le Pape Jean Paul 2 à Rome en 1981.
Le dialogue des religions, tu y crois ?
Personne ne peut bousculer les fondamentaux dans ce domaine. Ce qu’il y a ici n’existe nulle part ailleurs. Il nous faut protéger ça. C’est aussi notre richesse.
Comment vois-tu l’avenir de ce pays ?
L’avenir du Sénégal ne dépend pas du Sénégal, mais des autres qui ne sont même pas sénégalais. On a été colonisé. Jusqu’à présent, on est colonisé. Il ne faut pas se faire d’illusion. On nous fait signer des papiers, mais après, ce sont nos petits enfants qui paient. Senghor, Abdou Diouf etc, on continue à payer des dettes contractées depuis longtemps. Mais je suis optimiste. Je reste convaincu que tout vient de l’Afrique et tout reviendra en Afrique.
Vous avez un message particulier à délivrer aux Sénégalais ?
J’ai peut-être plusieurs messages. Le premier, c’est de dire aux Sénégalais : "Aimez-vous !" parce que la vie est éphémère. Et peut-être qu’après nos brèves vies sur terre, on ne se reverra plus pour l’Eternité. Mais aussi, je ne sais pas si c’est un message, mais j’ai un message pour Youssou Ndour. N’est pas président qui veut. Dieu l’inscrit dans ta vie. Le message que je veux donner, c’est de dire à Youssou Ndour qui est très ambitieux, s’il fait l’erreur de se présenter à l’élection présidentielle, il va le regretter. Et cela lui coûtera très cher. Je sais qu’il est très ambitieux, à tel point qu’il rêve d’être président de la République. Mais s’il se mêle de la politique, il va se ruiner. C’est un conseil fraternel que je lui donne. Et je me demande comment Youssou Ndour peut se permettre d’avoir des ventistes. Il met ces ventistes au chômage, pour mettre des claviers à leur place. Cela, au niveau où il est, on ne peut pas le lui pardonner. Je pense qu’il doit se concentrer sur son art. Je veux aussi parler de Macky Sall pour dire que c’est un homme honnête. Je le sens, c’est comme cela. Karim Wade, j’ai pitié de lui. Damako yeureum. Entre nous, je veux aller lui rendre visite. Je souhaiterais bien le faire.
Ta retraite, comment l’entrevois-tu ?
Il n’y a pas de retraite dans la vie. Mais j’ai créé une maison à moi tout seul à Saint-Louis où je compte vivre de 70 ans à plus. Je n’ai pas envie de vivre ma vieillesse à Dakar, car j’ai besoin d’oxygène. Loin du bruit. Je compte vivre, si Dieu me prête vie, dans cet endroit où je pourrais élever des moutons, des chèvres, des bœufs, dans la liberté totale et la paix du cœur. Yalla baaxna… Au fond, la retraite, c’est l’occasion d’exploiter toutes tes connaissances, relations, expériences pour créer des choses puissantes. Pour moi, c’est le vrai moment de la liberté. Et on est mûr. La retraite pour moi, c’est l’occasion de créer.
Alors pour le vrai mot de la fin, je tiens vraiment à m’excuser auprès de ma famille, mes enfants, mes proches qui ont été choqués par mes propos dans l’interview que j’ai accordée à L’Obs. Je m’excuse d’avoir été franc. Mais voilà, je ne suis ni drogué ni soulard. Nitt Ndiaye laa (je suis en possession de mes facultés mentales).