AVERTISSEMENT
EXCLUSIF LE POPULAIRE – Me El Hadji Diouf met en garde contre la non poursuite de la traque aux biens mal acquis et le mise en branle d’une procédure sélective

La traque des biens mal acquis ne doit pas s’arrêter au cas Karim Wade. Tous les détourneurs de deniers publics doivent être poursuivis et arrêtés. Telle est la conviction exprimée par Me El Hadji Diouf, membre du pool d’avocats de l’Etat du Sénégal dans l’affaire de ladite traque, dans l’entretien qu’il nous a accordé. «Il y a au moins 200 Karim Wade dans le pays qui doivent être pourchassés et arrêtés», assène le député, toujours égal à lui-même.
Quel sentiment vous anime, après le verdict de la Crei dans l’affaire Karim Wade ?
Un sentiment de fierté pour ce que la justice de mon pays a produit de patriotique, d’historique, de symbolique. Nous avons tout vu dans ce procès. Certains, très malhonnêtes, ont dit que la Crei n’offre pas la possibilité de se défendre. Alors que, pendant 7 mois, ils ont retardé le procès, posant des questions, pendant des jours, à Patricia Lake, à Cheikh Tidiane Ndiaye, à Cheikh Diallo, aux directeurs des impôts et domaines, entre autres. Ils ont abusé des pouvoirs que le président de la Cour leur avait reconnus. Ils sont allés jusqu’à refuser de parler, de répondre aux questions du juge. Plus grave, Karim Wade a choisi de ne plus comparaître. Ce qui, du coup, ôtait toute possibilité à ses avocats de venir se présenter devant la Crei. Et toujours dans la mauvaise foi caractérisée, les avocats de la défense ont voulu faire croire qu’ils avaient boycotté. Ils n’ont boycotté que le temps d’une audience. C’est lorsqu’on a expulsé Me El Hadji Amadou Sall. Ils sont revenus avec le bâtonnier pour reprendre leurs places dans la salle. Je suis également fier, parce que nous avons montré à la face du monde que les droits de l’homme sont respectés au Sénégal. Les avocats de Karim Wade ont organisé beaucoup de conférences de presse pour insulter le régime. Sachant que la condamnation de leur client était inévitable, ils voulaient préparer l’opinion en victimisant ce dernier.
Mais, ils ont parlé de procès purement politique…
Ils ont surévalué leur intelligence, pour ne pas dire leur ruse. Ce procès n’a rien de politique. Il n’a pas été bâclé. C’est le procès le plus long de l’histoire du Sénégal. Karim Wade n’a accepté de répondre à aucune question de la Crei. Et qui ne dit rien consent. Il n’appartient pas à la Crei de donner des preuves. Dans la procédure d’enrichissement illicite, c’est le renversement de la charge de la preuve. Les preuves ayant été réunies par la gendarmerie lors de l’enquête préliminaire. La gendarmerie vous dit : «Expliquez-vous sur les preuves trouvées sur vous. Comme êtes vous arrivé à vous hisser à la tête d’un patrimoine qui dépasse largement l’ensemble de vos biens réunis ?». C’est ça l’enrichissement illicite. Ce n’est pas un vol. Mais, vous avez des biens qui dépassent l’ensemble de vos revenus. Donc, à vous de vous justifier. Il incombait à Karim Wade de donner les preuves de l’origine licite de ses biens. La Crei ne cherche aucune preuve. C’est la raison pour laquelle, on prévoit une mise en demeure de 30 jours à laquelle il faut répondre. Sa réponse n’ayant pas été jugée satisfaisante, il a été inculpé et placé sous mandat de dépôt. Ils ont dit que Macky Sall voulait empêcher à Karim Wade de se présenter. C’est vraiment ridicule. Comment Macky Sall peut-il avoir peur du fils de celui qu’il a écrasé ? D’autant plus que Karim Wade n’a jamais gagné un bureau de vote dans sa vie. C’est vrai que c’est insensé. Mais, c’était une stratégie pour éliminer les barons libéraux de la course à la candidature du Pds à la Présidentielle.
Ne pensez-vous pas que la victoire de la partie civile a été entachée par le fait que la Cour ait écartée le fameux compte de Singapour ?
Ah le fameux compte de Singapour ! Ils ont voulu faire croire aux Sénégalais que tout ce qu’on reprochait à Karim Wade, c’est les 47 milliards. En cachant Ahs, Abs, le compte de Monaco où on n’a pris 1,3 milliard, le compte de Luxembourg, les sociétés fictives et les prête-noms, le parc automobile, les immeubles, les terrains, évalués à des centaines de milliards. Le compte de Singapour a été écarté par le juge Henri Grégoire Diop. Pourquoi ? Il faut, d’abord, rendre hommage à ce grand juge, qui a beaucoup d’expérience. En bon catholique, croyant, honnête et rigoureux, il a dit que tout ce qui n’est pas clair à 100%, il l’écarte. Et comme vous le savez, Alboury Ndao, après avoir administré Dp World, a reçu mandat de la Commission d’instruction de la Crei, de rechercher dans le monde entier de l’argent enfoui quelque part par Karim Wade. Et dans ses recherches, avec des sapitaires - qui sont des techniciens qui peuvent décoder des comptes bancaires - il a découvert qu’il y a eu un virement de 93 millions de dollars qui provenait de Ahs Guinée-Bissau, propriété exclusive de Karim Wade, dans le compte de ce dernier. D’ailleurs, l’Etat a mis la main sur Ahs. Alboury Ndao a rendu compte à la Commission d’instruction de la Crei. Et immédiatement, cette Commission a envoyé une Commission rogatoire à Singapour. Les avocats de Karim ont dit qu’Alboury n’a pas de preuves, n’a pas des relevés de comptes. Il a dit, pendant l’audience, que : «Vous-mêmes je ne peux pas avoir vos relevés». Alboury Ndao n’est pas un juge ou un procureur pour demander le relevé d’une tierce personne. C’est pourquoi la Commission d’instruction de la Crei est allée plus loin en envoyant une Commission rogatoire à Singapour pour y voir plus clair. Dans ces paradis fiscaux, les gens refusent toute collaboration. Ce sont ces milliards qui font vivre ces pays-là. S’il y avait un retour de la Commission rogatoire, Henri Grégoire Diop aurait retenu les 47 milliards. Voilà la vérité. Et Alboury Ndao a dit que les dernières informations qu’il a reçues, c’est que les 47 milliards ont été déplacés. Alboury Ndao n’a rien inventé. Il a des preuves, comme la date d’ouverture du compte (7 décembre 2011), le premier virement de 93 millions de dollars, deux autres versements, les trois sorties d’argent vers China Bank. ça, ce ne sont pas des preuves ? Lui, c’est un simple expert. Aucune banque ne va lui donner le relevé d’une tierce personne.
Maître, ce qui demeure constant, c’est que malgré les preuves que vous avez avancées, le juge n’a pas retenu les 47 milliards de Singapour…
En droit, le doute profite toujours à l’accusé. Et ici, il n’y a pas les relevés. La Commission rogatoire n’est pas rentrée. Le juge a les renseignements, mais comme ses collègues juges de Singapour ne lui ont pas encore répondu, il dit qu’il ne va statuer que sur des preuves palpables : les comptes bancaires, comme à Monaco et Luxembourg, les terrains, le parc automobile… J’ai entendu Vieux Aïdara dire qu’il n’avait pas confiance en la Crei. Mais, quelqu’un qui n’a rien à se reprocher, ne doit pas avoir peur de la Crei. Est-ce que le Sénégal a été déserté, parce qu’il y a la Crei ? Parce qu’il a la nationalité française, il demande au Président Hollande d’intervenir pour qu’on lui rende son matériel. Ce n’est pas un patriote. C’est un lâche et un traître. Le Sénégal lui a tout donné, mais, pour lui, son pays, c’est la France. Le ridicule ne tue point. Toute honte bue, il demande à son Président français d’intervenir pour qu’on lui rende ses biens. Qui a connu Vieux Aïdara milliardaire ? Et il enfonce Karim Wade, car il montre que l’histoire des prête-noms, dont on parle, est vérifiée. Vieux Aïdara n’a rien à dire. Il a eu un comportement de lâche. Il a pris la tangente, parce qu’il savait qu’il était impliqué jusqu’aux os. Il n’avait pas d’arguments à opposer à la justice. S’il était digne et courageux, il ferait mieux de rentrer.
Quel commentaire faites-vous de la décision des avocats de la défense de se pourvoir en cassation ?
Vous savez, les avocats de Karim Wade font trop de bruit. Ce sont des tonneaux vides qui font trop de bruit. Depuis Abuja, ils ont dit qu’ils ont gagné le procès. C’était faux. J’étais à Abuja. La Cour de justice de la Cedeao a dit qu’elle ne pouvait pas s’immiscer dans les affaires des juridictions pénales des Etats membres, qu’elle ne pouvait pas statuer sur la légalité de la Crei. Ils ont parlé partout. Mais, ils ne peuvent pas tromper les Sénégalais. Aujourd’hui, ils disent qu’ils vont faire un pourvoi en cassation. L’arrêt rendu par Henri Grégoire Diop était fortement motivé. Il l’a lu pendant deux heures de temps, jusqu’à avoir soif. Il n’a rien laissé au hasard.
Lors du passage du Premier ministre à l’Assemblée nationale, vous l’aviez interpellé en lui demandant à qui le tour. Le ministre de la Justice a annoncé, juste après le verdict, que d’autres procédures étaient en cours au niveau de la Crei. A quoi vous vous attendez ?
Ce serait injuste et inacceptable de s’arrêter au cas Karim. Il y a au moins 200 Karim Wade dans le pays qui doivent être pourchassés et arrêtés. On les connaît. Il y avait une liste de 25, mais je pense qu’il faut aller au-delà de cette liste. Il faut remonter l’histoire du Sénégal jusqu’à l’indépendance. Tous ceux qui ont occupé des postes de responsabilité dans ce pays et qui sont devenus milliardaires doivent s’expliquer sur l’origine licite de leur patrimoine. On ne peut pas seulement condamner Karim Wade et laisser les autres. Que la justice fasse son travail. Qu’il n’y ait pas de gens protégés, il n’y a pas d’histoire d’amis de Macky Sall. Ceux qui transhument à l’Apr pour trouver refuge, doivent être poursuivis et sanctionnés. Les Sénégalais sont là. Ils veillent. Ils n’accepteront plus que des gens s’enrichissent sur leur dos et les nargue avec leur arrogance. Les Sénégalais exigent une justice juste, pas une justice sélective. Ils exigent une justice qui rassure, une justice qui punit et qui équilibre. Les gens qui parlent de la suppression de la Crei n’ont rien compris. La Crei doit être encouragée. Des Sénégalais meurent de faim, alors que d’autres sont dans les paradis fiscaux. C’est inacceptable.