«SI ON N’INTERVIENT PAS, D’ICI A 3 MOIS, IL N’Y AURA PLUS DE RAIL»
ABDOU NDENE SALL, SECRETAIRE D’ETAT AU RESEAU FERROVIAIRE

Alors que la polémique enfle autour de la situation de quasi faillite de la société Transrail qui gère le chemin de fer au Sénégal et au Mali, le Secrétaire d’Etat au réseau ferroviaire tente de rassurer, non sans dire la réalité de la situation. Abdou Ndéné Sall concède que Transrail est effectivement au bout du rouleau. Mais il assure que l’Etat fait tout pour sauver la société, en accord avec Abbas Jaber, l’actionnaire majoritaire. Le Secrétaire d’Etat fait le point dans cet entretien qu’il nous a accordé.
Situation actuelle de Transrail
«Transrail est une société privée au capital de 9 milliards 100 millions de francs Cfa. Elle est de droit malien et concessionnaire du chemin de fer Dakar-Bamako depuis 2003. Et depuis cette date, la société à des problèmes. Parce que depuis cette date, tous ses bilans annuels ont connu des résultats négatifs dont le cumul a dépassé depuis 2007 plus de la moitié de son capital. Et comme la société avait des problèmes de trésorerie et des problèmes de soutenabilité de son exploitation, les dirigeants l’ont placé en règlement préventif depuis août 2009. Mais depuis, le règlement a expiré. Et puis, il y a une détérioration de son matériel qui est inapte à la circulation. La société faisait un train par jour, soit 30 trains par mois. Mais actuellement, elle fait à peine de 10 trains par mois. Donc, cela suppose que la société ne fonctionne pas normalement. Et faute de ce diagnostic constaté par les audits et études des partenaires techniques et financiers, les deux Etats ont décidé, en mai 2010, de muter la concession intégrale. Car les sociétés privées n’ont pas assez de moyens pour investir sur le patrimoine. Parce que 1 kilomètre de rails, c’est presque 5 millions de francs Cfa. Et n’ayant pas les moyens, il faut que les Etats reprennent le matériel. Ce qui a donc poussé les Etats depuis, mai 2010, de muter ces concessions intégrales vers une concession affermage avec la création d’une société de patrimoine dans chaque pays. Donc, chaque pays va construire sa société de patrimoine et il y aura une société d’exploitation privée commune aux deux pays, ainsi qu’un organe de régulation pour réguler le secteur.
Et cette solution, si on ne la fait pas, nous n’aurons plus accès aux bailleurs de fonds. Parce que cette solution est devenue une conditionnalité des bailleurs de fonds. Et les dirigeants de Transrail, pour ne pas payer de dettes, ont placé la société en règlement préventif depuis 2009. Donc, quand tu places une société en règlement préventif, le juge nomme un syndic pour surveiller ces règlements préventifs au cours des 3 ans d’observation et de crises de l’accord signé entre Transrail et le tribunal de commerce de Bamako. Le syndic qui a été nommé par le juge a constaté que ni les deux pays, ni Transrail n’ont respecté leurs engagements. Et pour cela, le syndic a recommandé la résolution du règlement préventif par voie de redressement judiciaire ou par liquidation de Transrail».
Faillite de Transrail
«Normalement, si on avait rien fait, la société est liquidée parce que c’est une société en faillite, dont les dettes sont supérieures au capital. Elle est endettée à hauteur de 30 milliards pour un capital de 9 milliards de francs Cfa. Donc, vraiment, c’est une société en faillite, si on prend la réglementation de l’Ohada (Ndlr : Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires en Afrique).
Et les deux pays, le Mali et le Sénégal, pour maintenir l’activité ferroviaire, ont proposé une voie intermédiaire. Et la voie intermédiaire, c’est de signer avec l’actionnaire majoritaire Advens, un accord de partenariat pour une réforme à l’amiable où les Etats reprennent leur patrimoine et Abbas Jaber doit maintenant rester dans la société d’exploitation. En effet, dans la société d’exploitation, il faut recapitaliser pour que des gens qui ont plus de moyens viennent accompagner pour continuer l’exploitation. Parce que, à terme, si on n’intervient pas, d’ici à 3 mois, il n’y aura plus de rail. Et lui même (Jaber) a déclaré qu’il n’a pas les moyens d’intervenir sur les rails. Et nous, ce qu’on fait actuellement, c’est pour maintenir l’activité ferroviaire pour que l’exploitation puisse se passer».
Bilan économique de Transrail
«Une société est faite pour gagner de l’argent. Mais une société qui a perdu de l’argent pendant 11 bilans successifs, c’est intenable. Le bilan de Transrail est tellement détérioré qu’il ne peut pas à lui seul prendre cette charge. C'est-à-dire que les ministres maliens comme le ministre Sénégalais, interviennent au niveau des banques pour qu’elle laisse cet argent pour payer les salaires. Mais nous, on veut réformer parce qu’en fait, on souhaite permettre à Transrail, au lieu de faire un ou deux trains par jour, de faire cinq trains par jour. Parce que c’est ça la norme. Car, au niveau de cette société, il y a une demande de 3 millions de tonnes. Pourtant, la société ne capte que 10%, c’est-à-dire 300 000 tonnes de marchandises. Et pour avoir l’équilibre, il faut au moins 1 million de tonnes. Donc avec un train, il fait 300 000 tonnes et il faut avoir 3 fois l’équilibre, parce que la demande est de 3 000 tonnes. Le problème en est que tant qu’il n’a pas une réhabilitation adéquate des rails, il ne peut pas y avoir ce nombre de voyages qui lui permet d’avoir l’équilibre. Une société qui s’endette ne peut pas continuer ses activités. Car un jour ou l’autre, le banquier peut s’arrêter. Tant que les Etats n’interviennent pas, les ouvriers vont perdre leurs salaires. Car une entreprise qui continue de perdre de l’argent risque de ne plus pouvoir payer ses employeurs, elle n’est plus rentable. Et c’est la réforme qui permet la survie de l’entreprise, c'est-à-dire le maintien de l’emploi et de l’activité. Sans la réforme, l’entreprise Transrail tombe en faillite. Ça, il faut que les gens le sachent».
Avenir des travailleurs
«A Transrail, les syndicalites sont à peu près 150. Il y a des syndicats minoritaires et des syndicats majoritaires. Et moi, je les ai tous reçus et je leur ai tous expliqué qu’on n’est pas là pour amener la société en faillite. Mais si on ne relance pas le secteur du chemin de fer, l’Etat perd. Parce que c’est un problème économique et l’Etat ne permettra pas ça. Et c’est pour maintenir les emplois et maintenir l’activité ferroviaire qu’on fait tout ça. On met de l’énergie pour sauver le patrimoine.
Car les chemins de fer, ça appartient aux deux Etats. Et l’activité du port autonome de Dakar dépend aussi du chemin de fer et on a intérêt à maintenir l’activité. On est là pour créer de l’emploi, mais ces travailleurs ont plus de risques à perdre leur emploi si on ne fait pas la réforme».
Schéma institutionnel
«C’est par exemple dans un secteur donné, dans le cas présent celui des chemins de fer, lorsqu’il n’y a ce qu’on appelle le matériel roulant et le patrimoine. C’est un peu comme le cas de la Sde et de la Sones qui sont dans un schéma de contrat d’affermage. C’est la Sde qui exploite et c’est la Sones qui fait les investissements. Maintenant, dans le cas de Transrail, comme la privatisation ne s’est pas bien passée, l’idée aujourd’hui c’est de récupérer le patrimoine, c’est-à-dire la voie et les gares. Parce que, juridiquement, tant qu’on n’a pas réglé le problème de la concession, on ne peut pas intervenir sur le rail. Donc, il faut qu’on règle ce problème-là de manière juridique. C’est-à-dire qu’on casse la concession. Mais tout ça se fait au niveau des deux pays et avec les actionnaires. Parce que c’est un projet tripartite».
Différend avec Abbas Jaber
«Abbas Jaber ne va pas quitter la société. Les gens ne comprennent pas, mais personne ne lui a demandé de quitter. On est allé là-bas le 16 décembre dernier et on a fait une réunion où il a signé noir et blanc qu’il est d’accord pour la réforme. Jaber lui-même m’a fait une lettre pour dire qu’il est d’accord pour la réforme qu’on veut faire. La seule chose qu’on peut lui dire, c’est quand on casse la société, le patrimoine est l’Etat.
Il ne peut pas être dans la société de patrimoine. Et aucun privé d’ailleurs ne peut être dans la société de patrimoine. Mais dans la société d’exploitation, c’est ton investissement qui te permet de rester dans la société. On fait une récapitulation et quand tu as de l’argent, tu restes. Mais quand tu n’en as pas tu sors. On n’est pas en guerre contre Jaber. Ce qui nous intéresse, c’est Transrail, car nous avons 12% de cette société. Notre souci, c’est comment faire pour que cette société reste debout et continue l’exploitation, mais ce n’est pas Abbas Jaber en tant que tel qui nous intéresse. Nous avons appelé Abass Jaber pour qu’il convoque son Conseil d’administration, car il a la majorité. Depuis le 30 janvier, on négocie avec Jaber, car on n’a pas voulu aller en justice avec lui. On a fait un protocole d’accord pour faire la réforme à l’amiable et il n’est pas contre».
Prochaine étape
«Notre prochaine étape, c’est la réunion du Conseil d’administration, la mise en place de la commission de réforme, avec la Banque mondiale et les bailleurs de fonds qui vont nous accompagner. Avec la réforme, on va créer une société d’exploitation et un organe de régulation. Et les deux Etats qui ont un contrat de concession vont négocier avec Jaber jusqu’à ce que l'on signe un accord, pour ensuite expliquer aux ouvriers la situation. La pression ne sert à rien, car si on n’intervient pas, l’entreprise va tomber en faillite. Parce que Abbas Jaber n’a pas d’argent pour investir sur la voie. Et s’il n’y a pas de voie, il n’y aura plus de chemin de fer et ce sera la perte d’emplois».