NUL N'EST PROPHÈTE CHEZ SOI
Hicham Ayouch, réalisateur de "Fièvres", estime que les cinéastes africains sont plus connus à l'étranger que dans leurs pays
C’est après avoir envahi Gorée de ‘’Fièvres’’ pendant 90 minutes, dans le cadre du festival "Gorée Cinéma", qu'Hicham Ayouch, lauréat de l’Etalon d'or de Yennenga, nous parle de son film. Le réalisateur marocain en a profité pour diagnosniquer, sur un ton humouristique, les maux du cinéma africain et demander, d'une mine grave, à certains de ses frères maghrébins d'assainir leurs rapports avec les Sub-Sahariens. Entretien.
Pourquoi ‘’Fièvres’’ ?
C’est une métaphore en rapport avec ce qui se passe dans le film ou les personnages vivent des émotions fortes. Ils passent d’un état émotionnel à un autre comme une personne atteinte de fièvre. Quand une personne a la fièvre il a subitement froid et a l’instant qui suit il peut avoir chaud. Dans le film on passe d’une parole qui choque a une qui apaise, de la violence à la tendresse, de la haine à l’amour.
En parlant de haine et d’amour, quel message cherchiez-vous à transmettre à la fin de votre film où on voit le jeune Benjamin poignarder son oncle handicapé ?
Je ne vais pas répondre à cette question parce que le but est de permettre à chacun de faire sa propre interprétation. Je ne veux pas guider la pensée des spectateurs et j’avoue que c’est une fin qui suscite beaucoup d’interrogations et engendre des interprétations diverses et variées selon les personnes.
Vous aviez déclaré au Burkina que vous avez la peau blanche, mais à l’intérieur vous vous sentez noir. Expliquez-nous le fond de votre pensée.
Profondément mes racines sont africaines, ma mère est d’origine tunisienne et mon père est marocain. Et quand je dis que ma peau est blanche et qu’à l’intérieur de mon être coule une partie du sang noir c’est un symbole, parce que je pense qu’on a tous en Afrique quelle que soit la couleur de notre peau une partie du sang noir qui coule dans nos veines. Mais c’est aussi une façon pour moi d’envoyer un message à mes frères maghrébins qui parfois ont tendance à avoir un mauvais comportement à l’égard de leurs cousins de l’Afrique sub-saharienne. Et par ce message je veux aussi dire que le panafricanisme est aussi une idéologie qui compte pour moi. Et je pense qu’on a besoin, à plusieurs niveaux, surtout dans les domaines de l’art et de la culture de créer des synergies entre les pays africains.
"Gorée Cinéma" est à ce propos un exemple à suivre...
C’est un beau cadeau que Joseph Gai Ramaka m’a fait. Et en tant que cinéaste je suis très fier d’être dans ce lieu marqué par l’histoire avec les tragédies et les drames de l’esclavage et y apporter un peu de beauté et de poésie. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à tout ce qui s’est passé avant. Gorée est un endroit chargé d’histoire.
Je ne suis pas très spécialiste du cinéma sénégalais, mais je connais des réalisateurs sénégalais comme Alain Gomis, Moussa Traoré entre autres qui font de belles choses. Je trouve qu’il y a une belle énergie avec des écoles de cinéma qui vont être créer et un fond pour le cinéma, donc je trouve qu’il y a une bonne volonté pour faire de choses intéressantes. Cependant, je pense globalement que le cinéma africain a besoin à la fois de croire en lui, de croire qu’il a de belles choses à dire au monde parce que l’Afrique a des choses importantes à dire au monde. De montrer les fondements des valeurs africaines et rompre avec cette image d’une Afrique misérable caractérisée par la famine et la guerre.
Le cinéma africain a aussi besoin de créer des moyens et des industries. Nous avons aussi besoin de faire plus de films qui touchent notre public parce que les réalisateurs africains sont plus connus dans les festivals à l’étranger que dans leurs propres pays. Nous avons besoin de fierté et d’amour envers nous-mêmes de croire que notre cinéma peut rayonner au niveau international et africain.
Qu’est-ce qui a changé dans votre vie depuis que vous avez remporté l’Etalon d'or de Yennenga ?
Rien de particulier parce que c’est un prix comme tous les autres. Derrière ma vie n’a pas changé. C’est toujours difficile de créer un film mais on est toujours très heureux quand on arrive à le faire. La vie est quelque chose de très bizarre et de fou pour la prendre trop au sérieux. Et comme je ne comprends pas grande-chose à la vie et que parfois elle est un peu compliquée- je ne parle pas pour moi particulièrement-, mais en général c’est un monde très dur et très difficile. Je me dis qu’il faut toujours un peu jouer, un peu rigoler, garder une part d’enfance pour continuer à rêver.