AU NOM DE QUI
Sur le théâtre yéménite se croisent en plus de Houthis chiites, des sunnites de Daesh et d’Al Qaïda, tous rivaux et opposés les uns aux autres. Et la «coalition internationale» des Saoudiens ne s’en est prise, pour le moment, qu’aux seuls Houthis chiites
À part des armes et éventuellement de l’argent, qu’est-ce que le Sénégal a à gagner dans une aventure militaire au Yémen ou en Arabie Saoudite ?
Rien, assurément. Le chef de l’Etat a assuré à Kaffrine, devant la presse, que le Sénégal n’est en guerre contre personne.
On dit qu’il a évité d’envoyer à l’Assemblée nationale son ministre des Forces armées, justement, pour éviter de donner un air martial à son discours. Soit. Il n’empêche que le Sénégal va déployer pour la première fois de son histoire le plus fort contingent des troupes pour des opérations extérieures dans une aventure dont on dit qu’il n’aura pas à aller au front.
La justification de notre aventure dans cette guerre confessionnelle est simpliste. Traiter les Houtis du Yémen de terroristes n’exonère ni ne justifie nos dirigeants. Nous avons décidé de prendre partie dans une lutte d’influence entre d’un côté les Wahhabites saoudiens et leurs alliés de la péninsule arabique, auxquels pour des raisons stratégiques s’ajoute la Turquie de Erdogan et Israël de Netanyahu, et de l’autre, les Chiites iraniens et leurs alliés Irakiens, Syriens et Kurdes. C’est une guerre séculaire, dont l’aventure au Yémen n’est que le dernier avatar. Et ce n’est ni notre guerre ni notre cause.
D’autres l’ont dit avant : Sommes-nous plus concernés par cette guerre que les Pakistanais, dont le Parlement a solennellement décidé de ne soutenir ni l’un ni l’autre camp ? Et l’argument de la lutte contre le terrorisme, invoqué plus haut, ne peut prospérer.
Sur le théâtre yéménite se croisent en plus de Houthis chiites, des sunnites de Daesh et d’Al Qaïda, tous rivaux et opposés les uns aux autres. Et la «coalition internationale» des Saoudiens ne s’en est prise, pour le moment, qu’aux seuls Houthis chiites. Car les Wahhabites saoudiens, eux, savent que rien ne distingue leur islam de celui pratiqué par Daesh ou Al Qaïda. La vraie différence étant pour les autres, le rejet de tout ce qui est américain ou occidental.
S’il est vrai que notre refus de nous engager dans cette guerre ne nous préserverait pas nécessairement d’éventuelles attaques terroristes, la dispersion de nos forces ne renforce pas d’autant notre sécurité. On dit que nos Diambars pourraient y acquérir des armements nouveaux, qui nous permettraient de renouveler notre arsenal. Avec quoi ?
Du matériel reformé dont chercheront à se débarrasser les Arabes et leurs alliés ? Les Américains et les Européens en fournissent déjà largement notre Armée, quand ils renouvellent leur équipement. Et sans nous faire payer le prix du sang.
Quant à la coopération économique, on n’a à ce jour pas encore vraiment vu celle de l’Arabie Saoudite se manifester de manière concrète. Hors de l’hôtel King Fahd Palace de Dakar, quelle marque économique cette «coopération» peut-elle afficher, en dehors des dattes du Ramadan, et des carcasses de mouton pour l’Aid el Kébir ?
S’il y a reconnaissance du ventre, le Sénégal n’en devrait pas moins à l’Iran qu’à l’Arabie Saoudite. Et si nous voulons vraiment lutter contre le terrorisme et aguerrir nos soldats, que ne faisons-nous comme le Tchad, pour envoyer des troupes consistantes au Mali, où les jihadistes menacent un régime ami, ou au Nigeria, où des coreligionnaires «niassènes» sont en train de subir le malheur de l’oppression de Boko Haram ?
Est-ce parce que, dans ces deux pays, nous n’aurons pas de prise en charge financière substantielle et des rebuts militaires dignes de parader ? Veut-on vraiment faire de notre Armée une troupe de mercenaires, qui se met au service du plus offrant ?
Alors qu’on ne les engage pas au nom du peuple sénégalais. Quant à «redonner l’espoir», souhaitons que cette opération ne se termine pas comme son ancienne homonyme en Somalie 92 qui avait vu le retrait sans gloire des troupes américaines, qui ont laissé un pays toujours plongé dans l’anarchie et la guerre.