DE L'ACTE À LA PAROLE

Les propos du président sur la transhumance ont soulevé une vague de réactions. Or, dans les faits le président travaille chaque jour à promouvoir la transhumance.
"La transhumance est un jeu tout à fait normal en politique", a déclaré le président Macky Sall lors de son face-à-face avec la presse à Kaffrine. Donnant ainsi une caution légitime à une pratique moralement bannie par les populations, il soutient que le terme de transhumant est gênant.
"Je suis foncièrement contre ceux qui critiquent les transhumants. Le terme transhumant est inapproprié. On ne peut pas traiter de transhumants des acteurs politiques qui ne sentant plus à l’aise dans un parti, le quittent pour une autre formation. Moi, je suis pour la liberté d’aller et de venir. Ceux qui veulent quitter l’opposition pour travailler avec nous je leur ouvre grands les bras. Arrêtez de critiquer les transhumants", exhorte-t-il.
Une apologie de la transhumance qui a choqué l’opinion et soulevé une vague d’indignations. Face à la pression, le président est contraint d’adoucir ses propos. "Si des gens pensent qu’ils seront protégés lorsqu’ils rejoignent l’Apr, ils se trompent", concède-t-il.
En réalité l’aveu du président épouse parfaitement la démarche qu’il a entreprise depuis son accession au pouvoir. Dans les faits Macky Sall a toujours utilisé cette arme non conventionnelle pour dégarnir les rangs de l’opposition. Déjà le 9 juillet 2013 devant la presse française, Macky Sall appelait de tous ses vœux les responsables du Parti démocratique sénégalais (Pds) à le rejoindre.
"Je suis ouvert aux militants du Pds décidé à venir travailler avec nous pour asseoir un processus de développement cohérent du Sénégal", disait-il. Joignant l’acte à la parole, il crée au sein de son parti, quelques semaines après cette annonce, une structure d’accueil des nouveaux transfuges.
Pour montrer ses bonnes dispositions à recycler les déserteurs, le président en a casé une bonne poignée. Me Nafissatou Diop, débauchée des rangs du Remwi est bombardée Présidente du Conseil d’administration du Fonds souverains d’investissements stratégiques (Fonsis). Moustapha Diop qui renia Wade pour arborer les couleurs beige et marron est nommé ministre.
De même, Innocence Ntap Ndiaye, ancienne ministre de la Fonction publique occupe la présence du Haut conseil du dialogue social. Elle est récompensée pour son audace d’avoir planté le couteau dans le dos de son mentor Abdoulaye Baldé. N’eût été la clameur populaire Awa Ndiaye démarchée pour porter Mansour Faye à la tête de la Mairie de Saint-Louis serait membre du gouvernement. En dépit des cuillères qu’elle traîne, elle est dans les cercles proches du pouvoir.
Ralliement massif
Le message du président est bien perçu par une caste politique attirée par le pouvoir comme la fleur aimante les abeilles. Baïla Wane, militant authentique du Pds fait partie des premiers à franchir le pas et renoncer à ses convictions politiques primaires. Peut-être pour sauver ses arrières. Car le directeur de la Lonase est éclaboussé par des scandales énormes.
Le leader de Baïla Mobilise pour Wade (Bmw) dépose ses baluchons chez ses rivaux d’hier. Son départ précoce marque le début d’une hémorragie dans le camp libéral. Pour avoir une plus grande marge de négociation, il a fait renaître de ses cendres son parti dissout dans le Pds. Et reprend son autonomie. A la conférence de presse annonçant le divorce avec les libéraux, "papy" cherche un autre parrain du côté du pouvoir. Il fait un appel du pied à l’endroit de l’Apr.
"Je suis disposé à travailler avec l’actuelle majorité présidentielle, mais en gardant l’autonomie de mon parti", disait-il. Depuis lors, le rapprochement se déroule parfaitement. Après plus de cinquante ans de vie politique, le vieux briscard louche encore les dorures du pouvoir. En dépit de sa carrière politique crépusculaire.
Comme une girouette, Abdou Rakhim Agne a lui aussi changé de direction avec le vent. Le fossile socialiste abdique et signe l’armistice avec les vainqueurs, aux premières heures de la défaite libérale. Cet éléphant de la classe politique qui a mangé à tous les râteliers n’a pas manqué d’exprimer publiquement son adhésion à l’Apr.
Khoraichy Thiam un autre pachyderme déserte l’opposition. Non pour prendre une retraite. Mais, il aspire goûter au banquet d’un autre "prince". Au fil des mois, les défections se multiplient. Les candidats à la transhumance se pressent au portillon de l’Apr. Sitor Ndour, ancien directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud) et redoutable adversaire de Macky Sall vient de faire son acte d’allégeance. Il rejoint ses anciens camarades Thierno Lo et Abdou Fall.
Chaque conseil des ministres décentralisé est un prétexte pour des élus locaux de rejoindre le parti du président Macky Sall. A Saint-Louis, Kaolack et Ziguinchor, des conseillers ruraux en horde compacte font acte d’allégeance au niveau président. La pêche illicite non réglementée et non déclarée (INN) racle les fonds marins politiques. Les alternances se succèdent, mais la transhumance demeure un vice indécrottable dans les mœurs politiques.