"CERTAINS ÉTATS SONT À LA TRAÎNE, MAIS LE SÉNÉGAL APPLIQUE BEL ET BIEN LE TEC CEDEAO"
NDIAGA MBOUP, CONSULTANT DE LA CEDEAO
Entrée en vigueur le 1er janvier 2015, le Tarif extérieur commun de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (Tec Cedeao), tarde encore à se généraliser. Rares sont les pays comme le Sénégal qui l’appliquent. Le coordinateur du projet de sensibilisation et d’information sur le Tec au Sénégal nous parle de ce nouveau dispositif communautaire.
Pouvez-vous nous expliquer le Tec Cedeao ?
Comme son nom l’indique, le tarif extérieur commun est un tarif consensuel qui va régir les relations des Etats membres de la Cedeao avec les pays tiers. Il va remplacer les tarifs nationaux qui étaient utilisés par les Etats membres avant l’adoption du Tec. Chaque Etat avait son tarif national, mais avec l’adoption du Tec Cedeao, les tarifs nationaux vont dépérir au profit d’un tarif régional. Ce sera un tarif commun qui sera appliqué par l’ensemble des Etats membres de la Cedeao.
Quelle est la spécificité de ce nouveau dispositif par rapport aux précédents ?
La première spécificité, il faut d’abord commencer par l’Uemoa à laquelle appartiennent des pays francophones d’Afrique de l’Ouest comme le Sénégal. L’Uemoa avait son propre Tec qui est entré en vigueur il y a maintenant une quinzaine d’années. Mais cette Union ne regroupe pas tous les Etats de l’Afrique de l’Ouest. La Cedeao est plus large. Ce qui fait que la Cedeao et l’Uemoa vont fusionner leurs deux Tec pour en faire un seul qui sera le Tec applicable en Afrique de l’Ouest. Le Tec Uemoa va donc pratiquement disparaître pour laisser la place au Tec Cedeao. Le Tec Cedeao est calqué globalement sur le Tec Uemoa. Mais la grande innovation, c’est que le Tec Cedeao va comporter une cinquième ligne tarifaire de taxation de 35 % qui n’existait pas dans le Tec Uemoa. Dans ce dernier, le taux le plus élevé de taxe s’arrêtait à 20 %. Les Etats membres de la Cedeao ont estimé que le taux de 20 % n’était pas suffisamment protecteur de la production domestique et qu’il fallait l’élever à un niveau supérieur pour protéger certaines productions domestiques sensibles. C’est ainsi qu’après les quatre taux qui existaient dans l’Uemoa et qui étaient de 0 %, 5 %, 10 % et 20 %, il y aura, dans la Cedeao, ce qu’on appelle la cinquième bande tarifaire, c'est-à-dire un cinquième taux de 35 % qui va maintenant frapper les produits importés des pays tiers et qui peuvent faire une dure concurrence aux produits domestiques similaires.
Le Tec est entré en vigueur depuis le 1er janvier 2015. Est-ce que ce nouveau dispositif est appliqué par les Etats ? Quel est l’Etat des lieux ?
En principe, ce Tec est applicable dans tous les Etats membres depuis le 1er janvier 2015. Mais nous connaissons toutes les réalités de l’Afrique. Parfois, il y a des lenteurs administratives ou bien des lourdeurs qui font qu’il y a certains Etats qui sont à la traîne. Mais, en tout cas, au Sénégal, l’administration des douanes est bien informée et bien impliquée. Ce que je peux dire, c’est que ce nouveau texte s’applique bel et bien au Sénégal.
Nous sommes dans un espace communautaire et souvent les politiques nationales diffèrent d’un pays à l’autre. Est-ce que le Tec prend en compte cette réalité ?
C’est là toute la difficulté d’une politique communautaire. Parce qu’en fait, il faut trouver un consensus entre plusieurs pays qui composent une communauté et des pays qui avaient des réalités et des politiques différentes. Mais aussi des approches différentes vis-à-vis du reste du monde. C’est pourquoi la Cedeao a mis quarante ans pour arriver à un Tec. Ce n’est pas facile de concilier les intérêts nationaux de 15 Etats membres en un seul tarif commun consensuel. C’est cela la difficulté.
Quels sont les avantages du Tec pour les Etats membres ?
Le premier avantage, c’est d’abord en termes de cohérence d’ensemble. Parce que dans le processus d’intégration régionale de l’union douanière, il y a deux composantes essentielles. La première, c’est le libre échange intracommunautaire des pays originaires. La deuxième composante, c’est la même fiscalité et la même tarification douanière vis-à-vis du reste du monde. L’un ne peut pas exister sans l’autre pendant longtemps. Si l’on met en place une libre circulation intracommunautaire des produits originaires des Etats membres sans lui associer un tarif extérieur commun, une telle situation peut engendrer à terme des distorsions suivant le niveau de protection vis-à-vis du reste du monde de chacun des Etats membres. C’est pour éviter que de telles distorsions se présentent que la mise en place d’un Tec est une étape de cohérence de toute union douanière. Parce que la simple zone de libre échange ne peut pas perdurer sans engendrer les distorsions dont je viens de parler. Ne serait-ce que sur ce plan là, un Tec est une nécessité en termes de cohérence.
L’application du Tec, dans la Cedeao, ne veut pas dire tout de même fermer les frontières aux autres produits importés…
Pas du tout. Il faut comprendre le rôle du droit de douane dans l’économie. Le droit de douane, dans une économie sert à assurer une protection de la production intérieure vis-à- vis des importations concurrentes en provenance des pays tiers. C’est légitime. Il n’y a pas un Etat au monde qui n’a pas un tarif douanier pour protéger ses productions domestiques. Cela ne signifie pas se fermer au reste du monde. Parce que si un produit étranger arrive, malgré le handicap constitué par le Tec, qui constitue un surplus par rapport à son prix de vente dans le marché interne d’un Etat, il va faire la concurrence à la production intérieure. On ne se ferme donc pas, on se protège tout simplement. Vous en êtes à la troisième phase d’action dans la sensibilisation et l’information sur le Tec.
Est-ce que vous avez senti une réelle volonté et une appropriation de ce nouveau tarif par les différents acteurs ?
Nous avons déjà tenu deux ateliers avant celui-ci. Nous avons tenu un atelier au mois de mai pour les opérateurs économiques. Un deuxième atelier a été tenu avanthier pour les députés. Aujourd’hui (Ndlr : hier), c’est le troisième atelier qui est destiné à la société civile. Il reste un quatrième atelier destiné aux medias. Tout ceci, c’est justement pour faire un travail de promotion du nouveau tarif en le vulgarisant dans les Etats membres et en direction de toutes les parties prenantes, y compris la société civile qui a aussi son mot à dire. C’est elle qui défend les intérêts des consommateurs. La Cedeao a estimé nécessaire de prendre en compte les préoccupations des uns et des autres par rapport aux changements qui peuvent induire éventuellement la mise en œuvre d’un Tec. C’est cela l’objectif de l’atelier d’aujourd’hui et celui avec les medias qui sera organisé le 25 juin. C’est pour permettre aux journalistes, en particulier aux journalistes économiques, d’avoir la bonne information concernant le Tec.