LA MODERNISATION AU PRIX DU PATRIOTISME ÉCONOMIQUE ?
Port Autonome de Dakar, concessions et place des nationaux
Le Port Autonome de Dakar n'avait pas le choix, il fallait se moderniser. Et pour y arriver, une part belle a été faite aux multinationales, au détriment des nationaux qui y ont fait la pluie et le beau temps. Aujourd'hui, il est question de trouver les voies et moyens de leur faire une place dans le capital de ces multinationales.
Le Terminal à Conteneur entre les mains de Dubaï Ports World en concession sur 25 ans, le Terminal Roulier concédée sur 25 ans à Bolloré Africa Logistics et le Pondéreux sur 25 ans à Nécotrans. Ainsi, le Port de Dakar a été morcelé. Une décision qui obéit, selon les autorités, à une volonté de modernisation.
"Aujourd'hui, il ne reste que le céréalier, encore détenu par les nationaux mais, parait-il, il y a une volonté de la mettre en concession", se désole M. Ndiankou Mbengue, Vice- Président du Syndicat des Entreprises de Manutention des Ports du Sénégal (SEMPOS) et non moins Directeur Général de MLT.
Expliquant les contours de ces concessions, il n'y va pas par quatre chemins. "Les nationaux se sont toujours positionnés dans tous les secteurs de l'activité portuaire. Mais, quand il s'est agi du Conteneur, les conditions de la compétition faisaient que nous étions exclus, car ne pouvant pas les remplir. Sur le Roulier, une entreprise nationale s'était associée à une multinationale, mais a lheureusement, ça ne s'est pas bien passé. Après, ça a été donné à Bolloré. Mais pour le vrac pondéreux, il n'y a pas eu de compétition, ni d'appel d'offres, il a été donné directement à Nécotrans. Je tiens à préciser que le Port peut bel et bien se hisser aux standards internationaux avec les nationaux. Ce n'est pas seulement en accueillant des multinationales qu'on va y arriver", diagnostique-t-il.
"Les concessions constituent un bon levier…"
A l'heure des projets de modernisation, le Port de Dakar s'est appuyé sur des multinationales assez puissantes. Une bonne idée, selon Ludovic Grabner de Grande Côte Operations (GCO). "C'est un bon levier, cette mise en concession de plusieurs môles et les investissements induits. Mais il faut que le Port soit un vrai appui pour tout ce qui tourne autour des infrastructures, du trafic routier, de la gestion du trafic et des accès et même au-delà de l'enceinte du Port dans le périmètre immédiat", confie-t-il.
Il faut reconnaître que certains défis restent à être relevés. C'est le cas pour les routes. "Il y a des efforts à faire dans ce domaine et l'accès au Port, notamment la rénovation des accès à certains quais. La bataille doit être celle des infrastructures communes : la route, l'éclairage, et de tout ce qui est lié à la sûreté", argumente-t-il.
Même si les concessions attribuées aux multinationales constituent un gros manque à gagner pour les nationaux, force est de reconnaître leur apport dans la modernisation du Port. C'est du moins ce que semble dire Mactar Diallo, Président de l'Union Sénégalaise des Entreprises de Transit et de Transport (USETTA). "On observe des avancées notables au Port de Dakar qui est en concurrence avec les ports de la zone, notamment Abidjan. Nous pouvons dire qu'il y a des améliorations par rapport au passé. Les ports doivent s'adapter à l'évolution de l'économie mondiale. Actuellement, il y a beaucoup plus de flux, des bateaux encore plus grands. Ce qui oblige à avoir des quais plus profonds, des cadences beaucoup plus rapides et de réduire les temps d'attente", a-t-il remarqué.
La puissance financière et l'expertise en question…
Artisan de premier plan et un des nationaux les plus actifs dans ce combat, Ndiankou Mbengue croit dur comme fer à l'expertise nationale.
Car dit-il, "ce qui a été donné à Nécotrans dans le Pondéreux, si on l'avait donné à mon entreprise, qui détenait 80% de ce trafic, nous aurions pu le faire. Avec un monopole de 25 ans, je m'engagerais à investir autant ou plus parce que simplement, avec ce monopole et un bon business plan, toutes les banques seraient prêtes à financer. C'est un chiffre d'affaires assez important, garanti sur 25 ans", argue- t-il.
Quant à Moctar Diallo, il estime que si les nationaux ont été laissés en rade, c'est en grande partie du à leur dispersion.
"Même le Chef de l'Etat a appelé les entreprises locales à se regrouper. On ne peut faire face aux multinationales que dans la mutualisation. Là, on peut gagner en crédibilité en fédérant nos moyens et compétences. Nos entreprises peuvent faire ces gros investissements, mais en étant regroupé, sinon, isolé, on ne représente rien. Si on ne le fait pas, l'Etat est obligé de donner les concessions à ceux qui ont les moyens, mais pas forcément aux plus compétents. Prenons le cas de la dernière concession du Terminal Vraquier, certaines entreprises sénégalaises avaient un marché assez consistant, mais du fait de leur dispersion, elles ne peuvent pas faire face à des marchés de 40 à 50 milliards. Pourquoi les entreprises sénégalaises ne se regroupent-elles pas pour compétir ensemble ? Pour moi, s'ils ne le font pas, c'est à l'Etat de les organiser. J'ai vraiment un pincement au cœur quand je vois ça. Quand elles arrivent, on donne aux multinationales un programme d'infrastructures à réaliser. Elles disent venir avec des financements bancaires. En réalité, dès qu'elles s'installent, elles commencent à exploiter et à générer des revenus qu'elles réinjectent dans le circuit en prétendant que c'est un financement bancaire. On dirait un manque de maturité des acteurs locaux…", plaide-t-il.
Au vu des montants investis dans ces concessions, il semble que les nationaux étaient d'office exclus. Selon M. Amadou Massar Sarr, Secrétaire Général du Syndicat des Auxiliaires de Transport du Sénégal (SATS), il faut beaucoup d'argent pour faire les infrastructures de haut niveau.
"On n'attend pas d'avoir la concession pour aller chercher l'argent. Ce n'est pas ça le problème, il faut être prêt d'abord financièrement parce que c'est de gros montants. Quand on parle de 65 milliards FCFA, il ne faut pas attendre d'obtenir la concession pour aller ensuite trouver de l'argent. Il faut d'abord avoir les fonds pour pouvoir participer. Dès l'instant que vous êtes dans un business, il faut accompagner son évolution. C'est comme ça que nous y arriverons parce que notre pays ne peut pas être construit sans ses fils. Ils peuvent participer. Mais de là à dire que ‘‘c'est à moi de le faire'', c'est un faux débat parce que personne ici n'a 65 ou 80 milliards. Il faut que l'on soit clair. Il faut que l'expertise soit là et c'est comme ça que certains pays se sont construits…", clame M. Sarr.
Un avis que ne partage pas M. Mbengue pour qui il faut se départir de cette idée. "Nous sommes du métier et nous savons débarquer, embarquer, transporter, stocker les marchandises qui entrent ou sortent du Sénégal. Soit en importation indirecte, en transit ou en transbordement, nous savons le faire, nous l'avons fait depuis des années. Nous savons faire les opérations portuaires, nous avons l'expertise et le savoir-faire. La seule chose qu'il faut, c'est qu'on nous fasse confiance. Aujourd'hui, je me dis, dans le schéma que je vois, on ne sait peut-être pas faire des navires, là on peut demander l'assistance technique. On n'a pas les moyens d'acheter des navires, on peut demander la collaboration, la participation et l'assistance des multinationales. Mais, toutes les opérations qui se font depuis le bord navire jusqu'au rendu chez le client, nous savons le faire, nous n'avons pas besoin d'assistance technique. Il est vrai que nous n'avons pas la puissance financière des multinationale mais ceci se comble par le fait que si une société est supportée financièrement, elle peut le faire", plaide-t-il.