UNE GÉNÉREUSE COUVEUSE
Anta Mbow, empire des enfants
Anta Mbow. Son nom colle avec la protection des enfants de la rue au Sénégal. Elle a fondé son empire qui ne cesse d’étendre son aire d’influence puisque la dame a sous son aile protectrice des enfants venus du congo et du Burundi. Le manque de moyens freine ses ambitions de sortir plus d’enfants de la précarité. Mais la couveuse généreuse se bat tous les jours pour offrir un minimum pour ces sujets vulnérables.
Une bâtisse imposante peinte aux couleurs bleu blanc, à l’architecture de style colonial, accueille le visiteur. Des dessins magnifiques tapissent le portail inspiré d’une porte de « Car rapide ». Les allures d’un tableau d’art attirent le regard. L’accès à ce lieu est loin d’être facile. Il a fallu se faufiler entre les véhicules garés pour accéder au bâtiment. Nous sommes au siège abritant l’Empire des enfants de la Médina.
Il se situe précisément sur l’Avenue Malick Sy X 12. A l’intérieur, une grande cour fait office de terrain multifonctionnel. Cet après-midi, les enfants s’adonnent aux activités récréatives. Par ces jeux, de douloureux souvenirs s’envolent. Ils laissent place à une ambiance bon enfant dans cet endroit. Certaines des pièces servent de dortoir pour ces bouts de bois de Dieu, d’autres pour des ateliers de cordonnerie, de peinture...
La vie se reconstruit au fil des jours, des semaines, des mois, voire des années. Ainsi va la vie. Chacun a son destin tracé. Personne n’y peut rien. De l’autre côté, se trouve le bloc administratif abritant les bureaux.
Au fond de ce bâtiment qui était un cinéma, se trouve l’écran transformé en estrade où la maîtresse des lieux nous a accueillis. Elle se nomme Anta Mbow. Démarche posée, le regard fringant, le sourire toujours aux lèvres, cette dame, très ancrée aux traditions africaines, est un défenseur de la cause des enfants.
Plongée dans une tenue africaine, assortie d’un foulard bien noué à la tête, cette femme est celle qu’on pourrait appelée aussi Mère Thereza du Sénégal. Son engagement, son abnégation, son dévouement à redonner l’espoir à ces centaines d’enfants qui sont laissés à la merci de la rue ne font pas l’objet de discussions. Son parcours est atypique. Rien ne la prédisposait d’entrer dans ce monde mythique de protection des enfants.
Née à la Médine rue 5 X Blaise Diagne, Anta Mbow y a grandi et fréquenté l’école de la Médina avant de rejoindre Saint-Louis où elle obtient son Certificat de fin d’études élémentaires. Dans son parcours, cette dame a fait le collège Charles De Gaulle. A son retour à Dakar, elle fréquente l’école privée Papa Guèye Fall jusqu’en classe de 3ème. Les études abandonnées, Mme Mbow se marie très jeune avec un sportif, Doudou Leyti Camara, un ancien basketteur.
Ils rejoignent tous la France en 1972. Celle qui devient après la présidente de l’association Empire des enfants est restée à l’Hexagone pendant trois décennies. Entretemps. Elle avait repris ses cours pour se perfectionner. La mode, selon elle, c’était le métier de secrétariat de direction. Suite à cette aventure, Anta Mbow retourne à sa ville résidentielle, à Gien, en France, pour chercher du travail afin de soutenir son mari et ses enfants.
Elle intègre une usine pour être ouvrière avant de devenir pompiste plus tard. Cette dame, soucieuse de sa réussite et espérant des lendemains meilleurs, est embauchée à la mairie de Gien où elle a appris les métiers d’animation. Des occasions durant lesquelles Mme Mbow a beaucoup travaillé avec des enfants. Cette étape marque sa vie.
C’est d’où est déclenché le déclic pour son amour envers les gamins. « En vacances au Sénégal, j’avais du mal à voir les enfants, mal habillés, déambuler dans les rues de la capitale. Des images qui me marquent encore à l’esprit », se souvient-t-elle.
Ses gestes illustrant les paroles. Quid de la gestion de son ménage et les activités de l’Empire, Mme Mbow rassure : « Je ne vois pas de difficultés dans mes activités. C’est juste une question d’organisation ».
Son aventure dans ce domaine a une autre histoire. En effet, Anta Mbow, par l’entreprise de son frère, Babacar Mbow qui évoluait dans un projet de développement à Ndem, près de Bambèye, avait fait la connaissance d’une diplomate française, du nom de Valérie Schlumberger, en service au Sénégal. Toutes les deux, très attachées à la cause des enfants, ont décidé d’unir leurs efforts afin de mettre en place un projet pour venir en aide aux enfants en déperdition et qui ont perdu leur contact avec leur famille.
Au début des années 2000, Valéry rentrait en France après sa mission au Sénégal. Elle finalisa le projet avec Anta Mbow. Leurs destins se croisent. Elles ont ainsi pris, en 2000, le centre qui était un cinéma. Il a fallu deux ans pour effectuer les travaux de réfection du bâtiment.
L’ouverture officielle du centre a eu lieu en 2003. Depuis cette date, Mme Mbow dirige l’association Empire des enfants. « Valery était une sénégalaise de cœur pour avoir vécu durant plusieurs années dans le pays de la Téranga. Elle a voulu continuer à faire quelque chose pour le Sénégal. C’est à partir de là que nous avons décidé de mettre sur pied l’Empire des enfants », se rappelle-t-elle.
DES ENFANTS DU CONGO ET DU BURUNDI
Sa voix devient tremblotante lorsqu’il s’agit de parler de la situation des enfants de la rue. « On n’a jamais vu une rue enfanter. Ces gamins ont une mère et un père. Pourquoi vouloir donc domicilier ces petits dans les rues ? », s’interroge-t-elle, navrée.
L’ancienne pensionnaire de l’école Papa Guèye Fall de Dakar juge « très grave » la mendicité au Sénégal. Elle se dit étonnée que ce fléau n’ait pas encore connu une fin.
« Il y a des personnes qui n’ont pas intérêt à ce que phénomène s’arrête. Que l’Etat prenne ses responsabilités. Les lois et les règlements votés sur la question doivent être appliqués. Même si les parents ont renoncé à leurs responsabilités, il appartient à l’Etat de prendre ses mesures », préconise Anta Mbow.
Cet Empire a une capacité d’accueil de 65 enfants. Mais, c’est très rare d’obtenir ce nombre en même temps, car, explique Mme Mbow, leur objectif est de rechercher les familles d’origines de l’enfant qui est acceuilli pour les retourner. « La plupart des enfants qui viennent à l’Empire demandent à rentrer chez eux. La plupart d’entre eux sont retrouvés par accident dans la rue », confie la présidente de l’Empire.
Selon elle, certaines valeurs connues bien sénégalaises sont en voie de disparition dans la société sénégalaise, car à l’époque, un enfant retrouvé dans la rue est adopté par une famille. L’Empire accueille non seulement des enfants de l’intérieur du pays, mais aussi ceux de la sous-région comme le Mali, la Guinée et la Guinée-Bissau qui bat le record.
Pratiquement, le centre ne gère pas des enfants de Dakar. Ces derniers, « livrés à eux-mêmes », viennent notamment de Kolda, de Ziguinchor, de la vallée du fleuve. « Des gosses frappent nos portes à 2h du matin. Ils disent avoir peur parce que quelqu’un les poursuivait dans la rue. Les pompiers nous amènent aussi des enfants malades », d’après Mme Mbow, relevant que cet Empire est une goutte d’eau dans la mer par rapport à la problématique des enfants de la rue.
Pour elle, ce centre est également une zone de transition d’autant plus que des enfants venus du Congo, du Burundi ont été orientés chez eux. Actuellement, la maîtresse des lieux gère 34 enfants. Pas plus tard que la semaine dernière, l’Empire a procédé à un retour en famille à Saloum.
« C’est un travail de fourmi que nous menons pour convoyer les enfants chez leurs parents. Les éducateurs du centre font d’abord des enquêtes et des démarches pour retrouver les familles », soutient Anta Mbow. Pour elle, les parents doivent prendre leurs responsabilités dans l’éducation de leurs enfants.
UN EMPIRE SOUS LOCATION
« Une fois la famille retrouvée, il faut que ce soit volontaire pour les deux côtés. On sait que l’enfant veut rentrer, mais est-ce que les parents veulent et peuvent recevoir », se demande-t-elle.
Certains, selon Mme Mbow, évoquent le manque de moyens comme raison pour ne pas recevoir leur enfant. Une attitude qu’elle qualifie d’injustifiable. Mais avec subtilité, cette dame parvient à convaincre les familles à reprendre leur enfant.
Son ambition d’être au service des enfants n’est pas une tâche facile pour Anta Mbow, car les moyens sont loin d’être suffisants pour couvrir les besoins du centre, même si de bonnes volontés continuent d’apporter leur concours. Pour preuve, Valéry, une des initiatrices reste le principal bailleur de cet Empire, parce qu’elle continue de payer mensuellement le loyer depuis la création de ce centre.
Mme Mbow a, cependant, exprimé le souhait de trouver un terrain pour y créer un nouveau centre d’accueil des enfants. « Nous faisons des démarches auprès de l’Etat du Sénégal pour l’obtention d’un terrain afin de pouvoir réaliser ce projet. Notre souhait est que la maison-mère de l’Empire puisse rester à Dakar, car c’est ici que nous rencontrons beaucoup d’enfants de la rue. En plus, il faut des antennes dans les régions », sollicite la présidente de l’Empire.
La maison vit également de dons de la part de bonnes volontés qui s’impliquent pour son bon fonctionnement. Chaque jour, Anta Mbow se bat pour assurer les trois repas et le goûter pour le soir aux pensionnaires du centre.
Elle s’est aussi battue pour la logistique. Récemment, l’Empire s’est doté d’un minibus, une initiative d’Air France. Ce qui lui permet d’organiser les retours en famille qui, jadis, se faisaient avec les véhicules de transport en commun.