LES USA SONT UN FACTEUR DE DESTABILISATION DU MONDE DEPUIS TRES LONGTEMPS
ABOU BAKR MOREAU, ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN ETUDES AMERICIANES A LA FLSH
Politique américaine, conséquences des attentats du 11 septembre 2001, perspectives électorales… Ce sont quelques uns des sujets abordés par Abou Bakr Moreau, enseignant chercheur en études américaines à la Faculté des lettres et sciences humaines (Flsh) à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad).
Quelles conséquences les évènements du 11 septembre 2001 ont-ils eues sur la vie des Américains ?
Les attentats du 11 septembre 2001 auront déterminé non seulement la politique étrangère des Etats- Unis d’Amérique au cours des deux mandats du Président George W. Bush (2001-2009), mais en même temps la politique globale du pays, par les mesures de sécurité sans précédent prises depuis lors et qui affectent durablement la vie des Américains. Davantage que les restrictions imposées sur les libertés, les ressources financières et humaines allouées aux guerres déclenchées à cet effet, en Afghanistan et en Irak, ont eu un impact profond sur la situation sociale, économique et politique du pays, en somme sur la vie même de la nation. Le rétrécissement de l’économie américaine et la crise financière grave dont héritait Barack Obama en arrivant aux affaires sont indissociables du coût induit par ces guerres. L’autre conséquence aura été la montée du sentiment anti-américain à travers le monde au cours de la présidence de George W. Bush. Ce sentiment était alimenté par l’unilatéralisme isolationniste, agressif et belliqueux de Washington qui s’est traduit par des violations graves des droits de l’Homme par les Etats-Unis : bombardements en Afghanistan, en Irak, au Pakistan, de véritables massacres de populations civiles dans ces pays, la détention arbitraire de citoyens au camp de Guantanamo, et d’autres violations inadmissibles du droit international…
Qu’ont pu ressentir les Américains après ces attentats ?
Les attentats du 11 septembre 2001 ont fait découvrir aux autorités américaines - comme aux simples citoyens, tout à la fois - leur propre vulnérabilité,l’excès de confiance qu’ils avaient en leur force militaire de dissuasion, les limites de l’usage de la force armée dans la gestion des conflits, la nécessité d’instaurer un leadership par le bon exemple et la persuasion. Et bien sûr, l’antiaméricanisme qui s’exprimait par la caricature grossière des symboles américains par des peuples qui réagissaient légitimement face à l’arrogance des responsables américains sous l’administration Bush. L’onde de choc du 11 septembre 2001 a été à l’origine d’un réveil brutal chez les citoyens américains qui n’accordaient que très peu d’attention aux décisions de politique étrangère prises par Washington et engageant le destin de la nation. D’un seul coup, les citoyens américains se rendaient compte qu’il est essentiel qu’ils s’intéressent à la politique étrangère de leur pays et qu’ils comprennent la perception que le reste du monde a de cette politique, pour ne pas se réveiller et découvrir, comme au lendemain des attentats du 11 septembre, qu’il existe d’autres peuples qui les détestent à ce point. Nombre de journalistes américains ont eu à admettre alors qu’ils avaient le devoir d’être plus attentifs au sentiment d’injustice et à la colère causés chez des peuples qui subissaient la politique étrangère des Etats-Unis. Et pourtant, il reste toujours à voir si cette prise de conscience a fait évoluer la part des nouvelles de l’étranger dans la surface rédactionnelle des médias américains. A titre indicatif, avant les attentats, les principaux médias américains n’avaient presque aucun correspondant, ni en Afghanistan ni au Pakistan. A coup sûr, les médias américains ont une énorme part de responsabilité dans le manque d’intérêt du peuple en général pour les affaires du reste du monde. Depuis la fin de la Guerre froide, la couverture médiatique des événements qui ne se déroulent pas sur le sol américain s’est considérablement rétrécie, telle une peau de chagrin. Et depuis les attentats du 11 septembre 2001 cette couverture porte essentiellement, presque exclusivement, sur les faits relatifs à la «guerre contre le terrorisme». Il n’y a qu’à se rendre compte par exemple que certains pays et certaines parties du monde ne sont mentionnés dans les médias américains, et encore uniquement chez les plus grandes chaînes internationales, qu’en breaking news
(nouvelle brèves) pour annoncer un attentat terroriste ou une tentative de cette nature.
L’Américain moyen a-t-il pris conscience que le fait que les Etats-Unis se comportent en «gendarme du monde» est la cause des attentats du 11 septembre 2001 ?
L’Américain moyen qui se trouve inspiré par les Républicains continue à croire que son pays aurait dû intervenir en Syrie, et qu’il n’aurait pas dû conclure un accord sur le nucléaire avec l’Iran. Le drame c’est que si en novembre 2016, c’est un Républicain qui succède à Barack Obama, on risque de revoir l’unilatéralisme et l’interventionnisme militaire américains que le monde a connus sous George W. Bush. Ceci, étant donné que les candidats Républicains à l’investiture de leur parti ont tous eu, sans exception et sans nuance, à soutenir les guerres lancées en Afghanistan et en Irak, et se sont montré systématiquement et farouchement opposés à un accord avec Téhéran. Et même la candidate Démocrate Hillary Clinton, actuellement en pole position pour l’investiture par son parti, a eu à soutenir les interventions armées en Afghanistan et en Irak sous George W. Bush. En plus, vis-à-vis de la Syrie, celle qui a été Secrétaire d’Etat de Barack Obama lors de son premier mandat (2009-2013) a eu à juger l’attitude du Président trop timorée en se montrant favorable à des frappes contre la Syrie. En termes de prospective, il est donc à craindre que le prochain président des Etats-Unis ne marque le retour d’une Amérique interventionniste, unilatéraliste, arrogante et guerrière.
Est-ce que les Etats-Unis ne sont pas devenus un facteur de déstabilisation du monde ?
Dans la poursuite et la défense de leurs intérêts à travers le monde, les Etats-Unis d’Amérique sont un facteur de déstabilisation du monde depuis très longtemps. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à voir que les interventions américaines où qu’elles aient lieu dans le monde (en Irak, en Afghanistan, dans le Caucase, dans l’Amérique andine, dans la corne de l’Afrique comme en Somalie ou encore dans l’Afrique des Grands Lacs, en République démocratique du Congo), ont souvent des conséquences considérables dans toute la région. Très souvent, les problèmes des pays qui subissent une intervention militaire des Etats-Unis en sont aggravés. Les raisons humanitaires invoquées par Washington pour expliquer ou justifier une intervention militaire n’ont aucune base solide, et la prétention morale dont se couvre l’administration en place (comme au cours des deux mandats de George W. Bush) est une pure imposture. Cette prétention cache mal des intérêts géostratégiques très clairs, et même cousus de fil blanc : des intérêts relatifs à un accès aux ressources énergétiques et/ou minières d’un pays, à des voies stratégiques, ou même une (simple) démonstration de force aussi injustifiée et déplacée qu’inutile et désastreuse. En clair, il n’existe pas d’intervention militaire américaine purement humanitaire, bienveillante, désintéressée et sans conséquence.