VIDEOMULTIPLE PHOTOSUN SOUTENEUR DE HABRÉ TRAITE UN TÉMOIN DE MENTEUR ET PREND CINQ MOIS
Trouble de l'audience
Quasiment toute la matinée du procès de Hissein Habré a été consacrée hier à un trouble d'audience. Mouhamad Togoyi, 29 ans, étudiant tchadien à l'université Cheikh Anta Diop (Ucad) a taxé de "menteur" et de "traître" le témoin Mahamat Hassane Abakar. condamné à cinq mois de prison ferme, il a lancé aux juges : "c'est pour justifier votre rémunération".
Moïse Rampino, un des inconditionnels de l'ancien ministre Karim Wade, condamné dans la même salle 4 du Palais de Justice Lat-Dior pour un délit similaire, fait des émules. Un des souteneurs de Hissein Habré, Mouhamed Togoyi a pris cinq mois de prison ferme pour trouble d'audience. Il a martelé que le témoin Mahamat Hassane Abakar, à la barre depuis 3 jours, est un "menteur" et un "traître".
Quelques minutes avant l'incident, Me Abdou Gningue, un des avocats commis d'office pour l'ancien homme fort de Ndjamena, a dit avoir senti de la haine dans la déposition de Mahamat Hassane Abakar. Le concerné a répondu qu'il s'exprime de cette façon, qu'il a l'habitude de parler haut et fort pour que son interlocuteur l'entende. "Mais ce n'est pas de la haine", se justifie-t-il.
Me Gningue poursuit pour savoir quelles sont les preuves que les arrestations, exécutions et libérations venaient de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds) et que les ordres venaient de Habré. Abakar répond que Saley Younouss, l'ex-directeur de la Dds, ne pouvait pas prétendre créer la Dds sans se référer à Hissein Habré à qui il rendait directement compte. Le lien entre l'accusé et Younouss n'était pas toujours écrit, donc il ne peut pas apporter de preuve.
Toujours assis à l'extrême gauche, dans la troisième rangée des chaises du milieu, un des souteneurs de Habré qui détient toujours un bloc-notes et un stylo, crie de sa place :"On s'en fout de ce que vous croyez, apportez les preuves". Le président Gberdao Gustavo Kam ordonne qu'on l'expulse de la salle. Les gendarmes l'entourent.
Il se lève et persiste : "c'est fini les affirmations gratuites, donnez les preuves, vous êtes un menteur, un traître", criet-il en se dirigeant vers la sortie. Le procureur général Mbacké Fall ne veut pas qu'il s'en tire à si bon compte. Il suggère au président de la Cour que l'étudiant soit traduit devant la barre. Le président lui dit alors de se présenter. Il s'exécute. Le président explique : -"Nous avons constaté que durant l'audience, vous avez élevé la voix pour perturber. Estce qu'on peut savoir les raisons ?"
-"Mes raisons ne peuvent être que celles de mon pays", répond l'étudiant.
-"C'est-à-dire ?", demande le président Kam
-"L'histoire du Tchad est manipulée dans cette salle, ce monsieur est en train de mentir", martèle le prévenu.
-"Est-ce que vous êtes le juge pour apprécier ?", questionne le magistrat.
-"Si je me considérais comme juge, je serai à votre place", rétorque le jeune Tchadien. -"Pourtant, c'est ce que vous êtes en train de faire en le traitant de menteur", souligne le juge béninois.
-"Malheureusement, c'est ce qu'il est", insiste le souteneur de Habré
-"Est-ce que vous savez que le trouble d'audience est un délit ?", l'interroge le président
-"Est-ce que j'ai vraiment troublé l'audience ?", assène le jeune homme.
-"En tout cas, la chambre a constaté que vous êtes en train de troubler l'audience. Pour ce faire, la chambre va lever l'audience et revenir pour prendre la décision. Sachez que vous êtes arrêté pour trouble d'audience", lui signifie le président.
"On ne va pas vous tuer, il s'agit de vous défendre"
A la reprise, au bout d'une quarantaine de minutes, le Président lui demande s'il souhaite prendre un avocat.
-Vu la constitution de la chambre, je ne crois pas qu'un avocat puisse me sauver.
-On ne va pas vous tuer, il s'agit de vous défendre.
-Pourtant, on vous a nommé pour décider des sorts.
Me Alioune Cissé s'approche et se constitue pour l'étudiant. Le Président fait remarquer qu'il a vociféré et gesticulé pour troubler l'audience. Le prévenu nie. Le juge insiste et ajoute que vociférer, c'est crier à haute voix. Togoyi avoue que ce n'est pas la première fois qu'il se fait remarquer dans ce procès. Il fait partie du groupe qui a été expulsé de la salle il y a quelques semaines. Lorsque le procureur général Mbacké Fall lui demande s'il a un lien de parenté avec Habré, il répond au président :
-Je ne réponds pas à ce monsieur. -"Ce n'est pas un monsieur, c'est le procureur général", précise Kam.
-"Tout homme est un monsieur", explique-t-il.
Le procureur requiert deux ans
Interpellé par son avocat, Togoyo dit que son éducation ne lui permet pas de troubler. C'était une réaction. Me Cissé lui demande s'il est conscient des conséquences de ses propos, s'il n'a pas des mots d'apaisement pour que l'audience se termine sereinement.
-Non il n'y a aucune raison que je le fasse, dit-il sur un ton sans appel.
Le procureur général revient sur les faits et rappelle que le prévenu a employé le terme "menteur". Le président a pris la décision de le faire sortir de la salle, malgré cela, il a insisté, persisté dans ses tumultes. L'étudiant fait partie du groupe qui a séjourné quelques jours à la gendarmerie pour troubles.
C'est grâce à la clémence du président que le groupe a été libéré. Le délit est constitué. Beaucoup de personnes dans la salle peuvent se lever et protester, mais elles ne l'ont pas fait. Togoyi récidivé, il n'a aucun respect pour la cour. Le procureur général ne requiert pas le supplice de la baguette, mais deux ans ferme et le mandat de dépôt à l'audience.
Me Alioune Cissé a axé sa plaidoirie sur la jeunesse qui a ses lois, ses particularités. "Ce procès est très important dans l'histoire de l'Afrique. De jeunes étudiants dans la salle sont intéressés par l'historicité de ce dossier", a-t-il soutenu. S'agissant des faits, il estime que c'est de bonne foi que son client a avoué faire partie du premier lot de perturbateurs. L'étudiant n'est pas en situation de récidiviste. Il ne pense pas que dans ses propos, il est exclu toute idée de regret.
Si le procureur n'avait pas demandé de le faire arrêter, le président l'aurait laissé sortir libre. Le parquet général est dans son rôle. Les avocats de la défense ont demandé si le témoin était là pour donner ses impressions ou des preuves. La rébellion n'est pas établie. Me Cissé demande une application bienveillante de la loi.
"C'est pour justifier votre rémunération"
Le président donne la parole à l'étudiant :
-Vous avez le dernier mot, je ne sais pas si votre conseil vous a sauvé…
Réponse du prévenu:
-Si dernier mot il y a, ce sera de me justifier. Si j'avais prémédité mes propos, j'aurais fait quelque chose de mieux. Chacun de vous a un pays, si vous imaginez l'effet que ce rapport a fait dans mon pays, vous saurez que ma réaction n'est pas exagérée.
Après s'être retirée pour délibérer, la chambre a finalement condamné le jeune homme à cinq mois de prison ferme et confirmé le mandat de dépôt.
Poignets menottés derrière le dos, encerclé par des Eléments pénitentiaires d'intervention (Epi), le désormais pensionnaire de Rebeuss avance vers le box en direction de la cave. "J'espère que cela pèsera sur votre conscience, c'est pour justifier votre rémunération, le Tchad sera libre", dit-il. Derrière lui, Habré reste froid, le regard droit devant lui, sans un coup d'œil à son souteneur.