MULTIPLE PHOTOSQUAND LA PASSION DE L’ART VIT A LA BAYE FALL
REPORTAGE A L’ESPACE CREATION CHEIKH IBRA FALL DE DAKAR
Situé près de l’Olympique Club Tennis de Dakar, sur la corniche Ouest, l’Espace de Création Cheikh Ibra Fall (ECCIF) est un centre où les talents artistiques des artisans riment avec la culture «Baye Fall ». www.seneplus.com a pénétré cet univers dont la philosophie est très claire - non à la mendicité- et où les besoins sont énormes.
Il est impossible de passer sur les bords de la corniche Ouest de Dakar sans être impressionné par les sculptures installées le long de la route, à quelques encablures de l’olympique Club Tennis de Dakar. Des animaux sculptés en bois, des fauteuils faits à base de cornes, des sculptures sur pierres, des calebasses, des tableaux et d’ordre objets décoratifs et utilitaires, issus des matières locales, sont omniprésents et ornent l’espace. Bienvenue à l’Espace de Création Cheikh Ibra Fall.
De passage, ce vendredi matin, nous sommes accueillis chaleureusement par un homme assis à l’entrée des lieux. Teint noir d’ébène, taille moyenne, son âge avancé se fait remarquer à travers sa chevelure grisonnante bien étirée en arrière sur son visage toujours souriant. Il s’agit d’Amadou Lamine Diop, un artiste fondeur. Propriétaire de l’atelier ‘’Ald Bara’’ ce sexagénaire a grandi depuis sa tendre enfance dans cette ferveur de création artistique. En effet, il est le fils de Cheikh Diop Makhone, le fondateur de la fonderie d’art au Sénégal. Tout ce qui présage la compétence des travailleurs qui occupent les endroits. Amadou Lamine est venu prendre de l’air avant de se lancer dans ses tâches quotidiennes. « Les vendredis, nous commençons le travail de façon effective dans l’après-midi » nous explique-t-il.
Il est environ 11 heures mais l’ambiance semble timide dans le centre. Amadou Lamine nous conduit avec empressement dans son atelier. Construit en bois, c’est le premier de la cinquantaine d’ateliers que compte l’Eccif. Son aire de surface est partagé par une salle qui sert de hall d’exposition et une autre où les outils et les matériels de travail sont entreposés. Avec un air de fierté, c’est lui qui nous servira de guide en un premier temps avant de nous laisser aux soins du maître des lieux. Celui qu’on appelle affectueusement dans le centre « Père » nous explique les différentes étapes de son métier sous le regard bienveillant de son fils qui, muni d’une gratte-fond en main, s’exerce pour parfaire, lustrer les deux exemplaires du monument de la renaissance africaine en miniature à ses côtés.
ECCIF : UN LABEL BAYE FALL
L’’Espace de Création Cheikh Ibra Fall (Eccif) est un centre où des dizaines d’artistes sont regroupés. C’est un projet initié depuis 1998 par Ndiaye Diagne le conservateur de l’espace et qui y coordonne les activités. Debout dans son bureau, entouré de racines d’arbres, de mortiers, et d’autres objets récupérés jonchant la planche, il nous reçoit avec les Zikr en fond sonore, des compositions musicales religieuses qui rythment la vie de l’espace. «Eccif est différent d’un village artisanal. J’ai regroupé des artistes et des artisans. C’est un espace de création et notre objectif est de lutter contre la déperdition scolaire. Nous voulons aider les jeunes » affirme-t-il avec conviction. Ndiaye Diagne est un ancien agent municipal de la commune d’arrondissement de Fann-Point E reconvertit dans l’art. Dans son allure athlétique avec des locks sur la tête, il est un fervent disciple de Cheikh Ibra Fall. C’est un digne «Baye Fall» qui, par la création de l’espace, estime que les Baye Fall doivent travailler pour aider leur communauté et non mendier.
C’est dans cette lancée que l’espace est régie par des normes de ce courant du Mouridisme, le «Baye Fallisme». La quasi-totalité des pensionnaires du centre sont des « Baye Fall». Et, cette réalité définit la règle sur laquelle toute la superstructure de l’espace se fonde. « Nous n’avons pas voulu copier ce que font les autres. Ici, nous vivons comme en famille. On se respecte et on vit dans la solidarité». Eccif, c’est une «famille» dans laquelle, Mame Ndiaye la gérante du restaurant considérée comme la mère. Ses aptitudes et soins culinaires sont d’une importance capitale pour «la maisonnée».
ADMISSIBILITE AU CENTRE
Dans ce centre, n’est pas recruté qui veut l’être. Mais c’est une question de qualification voire de partage d’une philosophie et de valeur. « J’ai regroupé tout le monde mais, ce n’est pas n’importe qui que j’installe dans ce centre parce qu’un réparateur est différent d’un technicien. Ce sont ceux qui ont fait leur preuve professionnellement » affirme Ndiaye Diagne pour nous prouver la compétence de ses collègues et frères « Baye Fall ».
On retrouve dans le village des potiers, céramistes, des peintres, des menuisiers (métallique, de bois), des sculpteurs sur pierre, les travailleurs de cornes et tant d’autres artistes qui s’affairèrent à transcrire avec passion leurs inspirations. Cet ensemble fait un peu de tout avec les objets qui leur tombent sur les mains. Ils sont plus quarantaine à faire preuve d’une créativité hors pair. Ce que confirme la Française Laure Chocheyras. Etudiante en Master en Art à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris, elle est venue effectuer un stage dans l’atelier de ‘’Père’’. « Ils ne possèdent pas de matériels comme nous en Europe, mais ils sont méga-professionnels », avoue la stagiaire.
La diversité des corps de métiers dans cet espace est une richesse. De Ahmet Coulibaly qui travaille les cornes, en passant par Daouda Ndao spécialisé dans le recyclage des appareils électro-ménagers, à Amadou Ba qui utilise des pneus pour réaliser de magnifiques meubles en passant par Oumar Pouye qui sculpte sur des roches volcaniques, et Abdoul Sam, potier céramiste, aux portraits dames de Bassirou Thiam, l’Espace Création Cheikh Ibrahim Fall est un vrai laboratoire d’expression de talents artistiques . Si tous ces artistes sont enthousiastes et déterminés parviennent-ils pour autant à vivre de leur art ?
LE CHINATOWN DE DAKAR, NOTRE SOUCIS
L’écoulement des productions issues de l’Eccif est l’inquiétude la mieux partagée par ses pensionnaires. A l’unanimité, les artistes se plaignent de la mévente de leurs produits. Une situation qui rend leurs conditions de vie précaires. Même s’ils retrouvent le confort dans les Zikr. Toujours est-il que c’est une question de période et d’utilité. La clientèle est à dominance expatriée selon les propos des artistes artisans. « Un artiste est patient. Il peut rester un an sans vendre, mais tout ce qu’il aura, sera comme une surprise pour lui » avance Ndiaye pour se consoler.
Diagne pour sa part indexe l’omniprésence des produits de l’Empire du Milieu « Le problème c’est que les Sénégalais aiment la décoration chinoise et c’est ce qui explique leur manque d’engouement vers nos produits. Ce qui tue complètement le domaine artisanal au Sénégal». «Ces Chinois nous amènent des ordures » déplore-t-il. De visu, elle est palpable cette mévente dont les artistes de l’Espace Création Cheikh Ibra Fall (Eccif) parlent. En effet, de nombreuses créations sont emmagasinées dans les ateliers à la merci de la poussière. D’autres se détériorent à cause de l’absence de conditions idoines de conservation et les conséquences des intempéries.
L’ETAT ABSENT, LES MILLIARDAIRES INDIFFERENTS
Les maux dont souffre l’Eccif sont alors légion et vont au-delà de la mévente. Le centre n’a jamais reçu de subvention ni d’aide de l’Etat. «Le ministère de la culture par le biais de la direction des arts doit accorder d’attention à ce que nous faisons dans Eccif », estime Ndiaye Diagne. « Il y a pleins de milliardaires qui passent à côté de nous. Au lieu de t’aider à construire quelque chose, ils sont justes des observateurs. Les étrangers apprécient mieux nos efforts que nos propres autorités » dénonce-t-il avec amertume. Toutefois, il se réjouit de sa part active avec son centre dans la formation et la réinsertion professionnelle d’un certain nombre de jeunes déscolarisés. « J’ai formé beaucoup de jeunes, ceux qui viennent de la rue et d’autres que nous envoient certaines écoles pour une immersion dans l’art. Parmi eux, certains ont même voyagé » dit-il avec un sentiment de devoir accompli.
L’Espace Cheikh Ibra Fall avant d’occuper son emplacement actuel était installé dans le quartier résidentiel de Sicap Amitié II, non loin du Rond-point du Point E. C’est un cadre formateur qui joue également dans la réinsertion de jeunes déscolarisés. Du restaurant au four traditionnel qui permet aux artisans d'obtenir les modèles originaux de leurs créations, c’est un cadre à l’image de la caverne d’Ali Baba remplis d'objets disparates. Conscients de leur talent, ces artistes continuent de travailler d’arrache-pied pour faire vivre l’Espace de Création Cheikh Ibra Fall dans l’espoir que les conditions s’amélioreront avec le temps. Tout compte fait la philosophie du centre demeurera. Oui à l’esprit famille, oui à la solidarité et non à la mendicité.