ZOOM SUR L’HOMME-PIGEON
MAMADOU DIAKITE, HANDICAPE-MOTEUR A LA PLACE DE L’INDEPENDANCE
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La nature l’aurait-il doté d’un pouvoir surnaturel qui attire vers lui des centaines de pigeons ? A voir la manière dont les oiseaux se disputent la pitance entre ses mains, on est ému. Handicapé moteur, ce ressortissant malien anime la Place de l’Indépendance où les volailles, comme un essaim d’abeilles, se retrouvent autour de lui pour picorer les graines d’arachide, de riz et de mil qu’il leur offre dès les premières heures de la matinée.
Don de Dieu, pouvoir mystique ou surnaturel pour se faire entourer de centaines d’oiseaux qui partent de leurs nids, dans le centre-ville de Dakar, pour venir se disputer à coups de bec les pitances sur ce qui lui reste comme membres ? Mamadou Diakité est un handicapé moteur dont les deux jambes ont été amputées après un accident ferroviaire. C’est avec beaucoup d’enthousiasme qu’il raconte ses relations avec ces pigeons. Assis à l’angle de l’immeuble Air France sur la rue Béranger Ferraud, il attire forcément depuis quatre bonnes années l’attention de tous les passants. Donner à manger à ces pigeons qui tournent autour de lui, qui descendent et qui montent partout sur son corps, est devenu pour lui une habitude, un jeu d’enfant, mais aussi un spectacle éblouissant pour les passants.
«Tout a commencé avec quelques pigeons qui venaient picorer à tout hasard des reliques, restants de pain et de grains de riz éparpillés çà et là, du fait de talibés ou mendiants», confie-t-il avant d’ajouter : «et tous les matins, c’était toujours le même spectacle jusqu’au moment où l’idée m’est venue de les fidéliser ».
Il commencera d’abord à partager avec eux les morceaux de pain de son modeste petit-déjeuner, qu’il émiettait avant de les leur jeter. Au début, raconte-t-il, «les oiseaux étaient méfiants et un peu distants de moi, mais, au fur et à mesure que mes gestes se perpétuaient, ils s’approchèrent par petits groupes. Mais comme l’appétit vient en mangeant, la confiance commença à s’installer entre nous. Le groupe s’agrandissait au fil des jours et des années et finira par offrir le spectacle que vous constatez vous mêmes», explique fièrement Mamadou Diakité. «Les oiseaux sont tellement nombreux aujourd’hui que mon petit-déjeuner ne suffit plus. Chaque jour, je suis obligé de soustraire de mes aumônes au moins 1.000 F pour acheter du mil et des graines d’arachide. Et ce rituel, je m’en acquitte du lundi au vendredi.
Quand je m’absente le week-end et les jours fériés, ils ne font pas signe de vie et vont picorer ailleurs. Même si quelqu’un d’autre leur offrait une tonne de mil et de graines d’arachide, ils ne se présenteront pas. Mais, dès qu’ils me voient descendre de mon tricycle, ils convergent vers moi, planant à partir de tous les immeubles de la Place de l’Indépendance et environs», raconte Diakité. A la question de savoir comment il a pu se familiariser avec ses amis, il répond : « à part la distribution de la nourriture, je n’ai rien fait pour les attirer. C’est simplement de la fidélité et une habitude. Il y a quatre ans, j’ai perdu l’usage de mes jambes qui ont été amputées suite à un accident de chemin de fer. Ayant tout perdu, je suis dans l’obligation de tendre la main pour survivre. J’entretenais un commerce assez florissant entre Bamako et Dakar, mais le Tout Puissant en a décidé autrement. C’est Dieu qui m’envoie ces pigeons qui me donnent la joie de vivre».
Interrogé sur les passants qui lui tendent souvent des pièces de monnaie, Diakité affirme que certaines personnes lui proposent d’acheter à plus de 10.000 F la paire de pigeons pour des sacrifices, mais il refuse catégoriquement. «Je suis un croyant. Peutêtre que si j’étais mû par le gain facile, ces enfants s’envoleraient vers d’autres horizons. «Je ne sais pas pourquoi Dieu les a poussés vers moi. Ils ont même commencé à sympathiser avec mon entourage.
Prenez cette poignée d’arachide et offrez-leur, vous verrez qu’ils viendront vous monter dessus pour les picorer». Nous avons tenté l’expérience et grande a été notre surprise de les voir nous assaillir.
Mamadou Diakité était aux anges de nous mettre à l’épreuve. Ces oiseaux font sourire ce paralytique qui, en se livrant à ce rite, oublie son handicap. Très jovial, Diakité termine par dire qu’il a de la peine quand il s’absente de cet endroit. Ne se souciant pas de son sort, il s’emploie à donner à manger à ces volailles. Un acte devenu un sacerdoce pour lui. Et il ne dirait pas sur une assistance qui pourrait l’aider à mieux vivre.