LE MISÉRABILISME, MODE D’EMPLOI
L’authentique Sénégalais, aux yeux du nouveau pouvoir, c’est celui qui vit plongé dans sa crasse jusqu’à la taille, vivote depuis douze ans, avale comme des édits célestes les régulières déclarations fracassantes du Pros devenu Pmos
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Crime de lèse-majesté ? Ce dimanche, dans une Arène nationale en ébullition, Ama Baldé, l’héritier de Falaye Baldé et non moins enfant chéri de Pikine, ne vaudra pas un sou devant Emile François Gomis, alias «Franc». Lequel signe sa quatorzième victoire d’affilée sous les yeux du «Roc des Parcelles Assainies», Modou Lô, actuel empereur de l’arène, qui célèbrera la victoire de son poulain en le soulevant comme un sac de pommes de terre.
Il n’en suffit pas plus pour que dehors, ça se déchaîne : d’abord, ceux qui ne peuvent accéder à l’enceinte de l’Arène nationale pètent un câble, débordant les Forces de sécurité…
Et puis, qui rend si hardi «Franc» de ne faire qu’une bouchée de Ama Baldé en plein Pikine ? Résultat des casses : un mort, Babacar Diagne, agressé alors qu’il rentrait chez lui. Sur la route qui ramène chacun au bercail, les bris de verres sont comme une traînée de poudre…
Bref, ce cher Sénégal renoue avec ses démons qui, manifestement, sortent de leurs congés avec fracas. Les plus pessimistes d’entre nous, qui votent «Sonko môy Diomaye» le 24 mars 2024, pensent alors que la violence est derrière nous puisque le camp du «gatsa-gatsa» est enfin aux affaires…
D’ailleurs, dans l’euphorie, depuis la diaspora, quelques militants exaltés passent à confesse : que Dieu leur pardonne s’ils mentent sciemment sur les plateaux, les ondes et les réseaux sociaux, appellent à l’insurrection et financent des cocktails Molotov, et sans doute bien d’autres joyeusetés… Le « Projet », une œuvre de haute couture, le vaut bien !
Ben non, apparemment, la rage qui brûle les esprits et les cœurs est toujours là… Le ministre de l’Intérieur, Jean-Baptiste Tine, outré par cette déferlante dévastatrice, ne fait ni une ni deux : la lutte, c’est terminé ! En clair, les combats ne peuvent plus bénéficier du service d’ordre du ministère de l’Intérieur, jusqu’à nouvel ordre…
Ah, ces Sénégalais !
D’ailleurs, le nouveau régime, sous la conduite du tandem «Sonko môy Diomaye», qui semble les connaître comme ses poches, décide de les ramener à la raison… Ça fait déjà un bail que ça leur explique doctement que le régime de Macky Sall vit depuis toujours sur un bien trop grand train, et que nous, autres, citoyens ordinaires, sommes trop riches pour être honnêtes, trop heureux pour être innocents, il est temps de rétablir l’ordre des choses.
Sur les réseaux sociaux, sous le pseudo de Maestro, un compatriote ricane : «Après les socialistes et les libéraux, nous voilà avec les misérabilistes !» Et donc, après les chantiers fermés d’autorité, l’arrêt des distributions des terres du peuple à des vampires insatiables qui sucent son sang douze années durant, les passeports diplomatiques arrachés à l’aéroport, les interdictions de sortie du territoire, les comptes des médias clandestinement corrompus bloqués et le filtre pour séparer le bon grain de l’ivraie dans cette faune, voilà que les salaires doivent être rabotés, pendant que les fonctionnaires nostalgiques du précédent régime seront sans doute virés ou affectés dans des trous perdus.
En plus des institutions catholiques bourgeoises qui défient la République en encourageant la mixité et en interdisant le port du hijab et sans doute la burqa, rappelées à l’ordre, on a eu droit à l’affectation de quelque magistrat au verdict partial catapulté derrière Niokolo-Koba ; donc, l’envoi d’un Général au placard à New Dehli pour excès de zèle à défendre sa Patrie, c’est d’une logique imparable.
Faut-il l’ânonner sempiternellement ? L’authentique Sénégalais, aux yeux du nouveau pouvoir, c’est certain, est celui qui vit plongé dans sa crasse jusqu’à la taille, vivote depuis douze ans, avale comme des édits célestes les régulières déclarations fracassantes du Pros devenu Pmos, reste persuadé que Adji Raby Sarr est un affolant appât du régime sanguinaire déchu ; Mame Mbaye Niang, un cambrioleur ; Mamour Diallo, un braqueur de Trésor public ; Farba Ngom, un Rapetou ; et Macky Sall, un génocidaire.
Le loustic national est cette victime que l’Etat compte dédommager pour avoir résisté à l’oppresseur, comprenez Macky Sall, Marième Faye et leur gang de prédateurs, la France qui rechigne à dégager et lorgne nos pétrole et gaz, dont l’Armée occupe encore une partie de nos terres sous prétexte qu’elle emploie cent-soixante-deux autochtones comme sous la coloniale.
C’est clair, un vrai Sénégalais, version «Sonko môy Diomaye», pense que saborder la syntaxe et dynamiter l’orthographe françaises sont des actes de résistance souverainiste, des gestes d’émancipation nègre téméraires ; il peut jurer sur un coran que, depuis les indépendances, l’administration, globalement, et particulièrement le ministère des Finances, est un antre de faussaires, une fabrique à faux : de l’état-civil aux rapports d’audits, en passant par les billets de banque, les diplômes, les passeports, les CV…
Compter les nouveaux pauvres qui grossissent les rangs serrés des laissés-pour-compte est une drogue à laquelle ce Sénégalais brut dedécoffrage est accro. Son sport favori : insulter, diffamer et menacer tout ce qui arbore un visage épanoui, roule sa bosse et arpente les sentiers sinueux de ses ambitions légitimes. Aux prix de ses vie et liberté, depuis 2021, un patriote incomparable, ça vandalise, saccage, insulte et agresse tout cequi est trop heureux pour être irréprochable.
Heureusement qu’en dépit de son inaptitude au bonheur, il lui reste l’icône indémodable Youssou Ndour, qui traverse les époques et côtoie les régimes avec une égale félicité…