Pédophilie: le football anglais s'est voilé la face pendant des décennies
Entre volonté de protéger leur réputation ou simple incompétence, la Fédération (FA) et les clubs anglais sont accusés d'avoir couvert pendant des décennies des actes de pédophilie dont le nombre de victimes potentielles est monté à 350, selon le bilan de la police jeudi.
Tout est parti mi-novembre des révélations d'Andy Woodward, ancien joueur du club de Crewe Alexandra âgé de 43 ans, qui a révélé son calvaire dans le Guardian. Depuis, plus de 20 joueurs, dont plusieurs anciens internationaux, ont pris la parole pour raconter qu'ils avaient été agressés sexuellement par un entraîneur ou un recruteur lorsqu'ils étaient enfants.
Plus de 350 victimes potentielles ont contacté la police pour, elles aussi, réclamer justice. Plusieurs enquêtes ont été ouvertes par Scotland Yard, mais aussi dans les régions de Londres, Manchester, Cambridge, Birmingham, Liverpool, Norwich, Newcastle, en Ecosse et dans les Galles du Nord.
Lancée le 23 novembre, une hotline d'assistance téléphonique pour les victimes présumées a reçu 860 appels en une semaine, a révélé jeudi la NSPCC, la principale organisation de protection des mineurs au Royaume-Uni.
Au moment des faits, dans les années 1970 à 1990, rien ou presque ne transparaît. C'est la loi du silence.
Désormais la FA semble prête à se racheter et a décidé d'ouvrir sa propre enquête, qu'elle a confiée à l'avocate Kate Gallafent, spécialiste de la protection de l'enfance. La FA veut faire la lumière sur les faits dont elle et certains clubs auraient pu avoir connaissance à l'époque, et les mesures qui auraient pu être prises.
- 'No comment' -
Chelsea a ainsi commandé une enquête sur l'un de ses anciens employés "dans les années 1970", aujourd'hui décédé, suspecté d'avoir agressé des jeunes footballeurs.
Selon le Daily Telegraph, le club champion d'Angleterre en 2015 aurait par le passé payé un ancien espoir en échange de son silence sur l'agression sexuelle dont il aurait été victime de la part d'un recruteur.
En 1997, la FA avait opposé un "no comment" à un documentaire de Channel Four sur l'histoire de Ian Ackley, qui se disait victime de Barry Bennell, l'entraîneur au coeur du scandale. Ce dernier a été condamné à plusieurs reprises entre 1994 et 2015, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis pour des agressions sexuelles sur de jeunes footballeurs, certaines remontant à 1990.
Avant sa première arrestation, les rumeurs autour de ce technicien réputé étaient déjà suffisamment établies pour que Stoke City refuse de l'embaucher en 1993, a révélé le Daily Mail mercredi. Mais Bennell a pu continuer à exercer.
Pire, selon la réalisatrice du documentaire de Channel Four Deborah Davies, la FA aurait mis sous le tapis en 2005 une enquête et une liste de 250 victimes présumées.
"Est-ce que je crois qu'il y a eu des dissimulations? J'en doute", a toutefois déclaré jeudi le directeur de la FA Martin Glenn.
-'Répugnant'-
"Dans le passé, les institutions essayaient de se protéger en serrant les rangs et en se taisant. Cela n'est plus acceptable aujourd'hui", a déclaré le président de la FA Greg Clarke, élu en août, alors que selon la BBC, la FA a abandonné en 2003 un programme de protection de l'enfance.
"Moralement, je trouve ça répugnant que des gens aient pu couvrir des crimes contre des enfants seulement pour protéger leur réputation. (...) Si quelqu'un s'est mal comporté, il sera tenu responsable et les noms seront rendus public", a-t-il prévenu, expliquant que la Fédération dédommagerait les victimes si jamais l'enquête montrait des fautes de l'institution. Et les clubs seront punis "peu importe leur taille", a insisté M. Glenn.
Le député Damian Collins, président de la commission parlementaire chargée notamment du sport, a estimé que "l'image qui se dessine, c'est que les gens dans le football ne se sont pas occupés du problème et ont détourné le regard".
"Ce qui m'inquiète, c'est que l'enquête de la FA puisse se concentrer sur les accusations et non pas sur le problème dans son ensemble", a-t-il encore dit à l'AFP. "Ce qui m'inquiète, c'est que les clubs vont faire leur devoir chacun de leur côté et personne ne va examiner le problème culturel qui fait que des agresseurs peuvent s'en sortir et qu'on évite de se poser les questions difficiles".