CARABANE, GLOIRE ET DECADENCE DU PREMIER COMPTOIR FRACAIS
Le paysage, le relief, le microclimat, la position géographique avaient exercé une fascination chez les colons
L’île de Carabane est nichée à l’embouchure du Fleuve Casamance au sud du Sénégal. Le paysage, le relief, le microclimat, la position géographique avaient exercé une fascination chez les colons en escale à Diogué, une autre île. Porte d’entrée des colons français en Casamance, Carabane a connu des périodes glorieuses avec une population estimée à plus de 3.000 âmes durant la période coloniale. C’était une plaque tournante des échanges dans la zone fluviomaritime.
Toutes les grandes compagnies étrangères avaient le pied à Carabane. Mais l’épidémie a précité le transfert de la capitale à Sédhiou. C’était le début d’une décadence. La ville d’hier est devenue un village aujourd’hui. La température ne se faisait pas sentir au quai d’embarquement d’Elinkine à 13 heures. Un vent frisquet souffle en permanence. Au bord d’une pirogue motorisée, nous sortons de la baie après une identification, sur le ponton de la base navale de l’armée.
L’embarcation déchire la platitude des eaux. Nos yeux sont accrochés à la splendeur des mangroves. Parfois à quelques mètres avant ce campement perché sur une île qui regarde Elinkine, on peut admirer des vols planés des oiseaux marins. Au loin, des pélicans plongent dans l’eau leur large bec, de temps à temps. Après une vingtaine de minutes de balade dans les bolongs, nous sommes en zone plus ou moins agitée avec l’influence de la mer. Le temps est suspendu. On ne se rend pas compte. Sur notre droite, les toits des édifices de Carabane pointent à peine.
Quelques minutes plus tard, nous jetons l’ancre, sur le rivage, du premier comptoir français de la Casamance : Carabane. Elle regarde l’autre île, Diogué. C’est là, que les colons sont venus s’installer le 22 janvier 1836 après un accord entre l’administration coloniale française et le chef de village de Kagnout. Lorsque les colons français avaient fait escale à Diogué, ils avaient demandé à un indigène « A qui appartient l’autre côté de la rive que nous apercevons ? ».
Ce denier ne comprenant pas leur langue française, répond en disant : « Karab-Ane » qui signifiait en Diola, la part de quelqu’un. Durant cette période, l’île, selon certains, appartenait aux gens de Kagnout. C’est une version. Dans l’île, les insulaires vous présentent d’autres étymologies laissant les interlocuteurs dans l’embarras.
Par contre, les versions sont concordantes que l’île a été la porte de pénétration de l’administration coloniale en Casamance. « Carabane est la première capitale de la Casamance. Elle jouait un rôle déterminant dans l’implication des colons au sud du Sénégal », raconte l’actuel chef de village, Moussa Guèye.
Le passé historique est sur le rivage. Des murs enrochés des bâtiments coloniaux défient le temps et la mer. Sur un pan, « la porte du non-retour » de l’île a cédé. Mais les reliques sont là. Carabane était un port de transit des bras valides. « A l’image de Gorée, voici la porte du non-retour de Carabane. Contrairement à ce que certains disent, il n’y avait pas d’esclaverie.
Les esclaves qui sont capturés dans le « Fogny » sont amenés de bolong en bolong, d’île en île pour les désorienter. On faisait en sorte que lorsqu’ils sont à Carabane, que cela coïncide avec l’arrivée du bateau qui les achemine vers l’île de Gorée », concède le conseiller du chef de village, Lamine Sarr.
Centre de redressement
Au milieu du village, de gros murs d’une grande épaisseur faits de briques autobloquantes ne portent plus l’architecture originelle. La toiture a cédé depuis plusieurs décennies. Quelques barres de fer sont fixées entre les pieux. Les pans entiers des murs des petites chambres des détenus cèdent les uns après les autres. La structure murale des lits des chambrettes est encore nette. En face, les tables de coupe de menuiserie, l’ébénisterie sont visibles.
Les murs latéraux s’élèvent à plusieurs mètres. L’édifice est couvert d’une couche noirâtre issue de la dégradation des nains. Depuis longtemps, sa vocation a été sujette à des interprétations. « Il n’a eu jamais d’esclaverie à Carabane. Ce qu’on appelait esclaverie était un centre de redressement. C’est ici, qu’on internait tous les récalcitrants pris à Kaolack, Thiès et dans d’autres villes. On les apprenait des métiers avant de les libérer dans l’île », tranche, Lamine Sarr, l’historien de ce bâtiment colonial. L’histoire du bâtiment durant la période coloniale est peu connue comme du reste l’histoire de l’île aux éléphants durant la période précoloniale.
Car la tradition orale était pauvre, comparée aux grands conteurs analystes mandingues. « C’est le 22 janvier 1836 qu’un accord avec le Roi de Kagnout octroya à la France la totalité de l’île au prix d’une rente annuelle de 39 barres : c’est-à-dire 196 FF », nous renseigne Alioune Sarr, dans une chronique intitulée « Carabane d’hier 1800-1900 ».
Ce troque marque le point de départ d’une activité commerciale florissante. C’est à Carabane que l’on retrouvait le plus grand appontement de l’Afrique. Le comptoir de commerce s’ouvre avec l’abolition programmée de la traite négrière. La famille Baudin s’y installe. Mais c’est sous l’ère de l’homme d’affaires Nantais Bertrand Bocandé que les activités commerciales fleurissent. L’île aux moustiques exportait du riz, du coton, des amandes de palme et de l’huile « touloucouna ».
« C’est à partir de 1896 que date l’apogée de Carabane, l’administration française régnait sur deux cercles (Sédhiou et Carabane) et deux postes (Bignona et Diebaly). Le village, mieux vaudrait dire la ville de Carabane, atteignait même 3.000 habitants et les affaires semblaient prospérer », rappelle Alioune Sarr.
Si loin, si proche de Gorée
Mais les épisodes des épidémies de paludisme ont obligé l’administration coloniale à procéder à un transfert de la capitale d’abord à Sédhiou et puis à Ziguinchor. Ce nouveau traité freine à jamais l’essor d’une perle perdue à l’embouchure du fleuve Casamance. Sous les arbres, sur les vérandas, au rivage et au milieu du village, les habitants ont connu un passé un peu glorieux : les escales du bateau le Joola.
« Il y a un port qui a été construit. Mais il n’a pas d’incidence réelle sur la vie des insulaires parce que nous ne pouvions plus nous approcher ni écouler nos produits au quai lors de l’escale du bateau Aline Sitoé Diatta. Carabane vivait du temps du bateau le Joola. Nous pouvions faire exporter plusieurs dizaines de pirogues chargées de marchandises. Les femmes, les hommes gagnaient bien leur vie. Aujourd’hui, à cause des questions sécuritaires, les habitants de Carabane ne font qu’apercevoir Aline Sitoé Diatta », regrette le chef de village. L’île de Carabane est si loin et si proche de Gorée.
Aujourd’hui, ils se sentent seuls dans le combat pour la sauvegarde du patrimoine historique. Certains édifices sont inscrits au patrimoine de l’Unesco. « Pas au même degré, Carabane et Gorée ont joué un rôle dans le commerce de l’esclavage. Mais on s’occupe plus de Gorée alors que de Carabane qui est délaissée. Nous avons un patrimoine historique qu’il faut sauvegarder et valoriser », compare le résident. L’autre paradoxe, contrairement aux autres villes historiques du Sénégal, la population de Carabane est passée de 3.000 en 1889 à 900 âmes au dernier recensement.