Youri Lenquette, dernier photographe de Kurt Cobain et amoureux de l'Afrique
On lui doit les dernières photos professionnelles du rocker Kurt Cobain avant sa mort. Le Français Youri Lenquette a immortalisé des centaines d'artistes dans le monde. Sa dernière exposition, à Dakar, révèle sa passion de l'Afrique et de ses musiciens.
Depuis quelques années, il a un pied en Afrique, un continent dont il "a l'âme", dit de lui le chanteur sénégalais Youssou Ndour.
La galerie de l'Institut français de Dakar expose pendant deux mois jusqu'au 29 avril "Youri ne dort pas", une série de portraits réalisés à Dakar, Bamako, Conakry, Abidjan, Lagos...
On y découvre le reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly trônant au milieu d'une bande de jeunes sur des motocyclettes.
Le Congolais Papa Wemba, "roi de la rumba" (décédé en 2016), debout, étale fièrement ses habits et chaussures de "sapeur".
La Cap-Verdienne Cesaria Evora (décédée en 2011) est surprise tout sourire, attablée devant un verre avec des amis.
Et Youssou Ndour semble vouloir sortir d'un cadre photo bleu et orange.
La plupart de ces photos, "théoriquement, ne sont pas pensées pour être exposées dans une galerie", elles étaient destinées à l'industrie musicale, pour servir de "pochettes de disques" ou comme "documents promotionnels", explique à l'AFP le commissaire de l'exposition, Vincent Bernière.
"On avait besoin de voir les portraits des artistes" et Lenquette, "un peu inconsciemment sans doute, s'est référé à une grande tradition du portrait ouest-africain" posé en studio, incarnée notamment par le Malien Malick Sidibé, souligne Bernière.
Portraitiste de renom décédé l'an dernier, Malick Sidibé photographiait en noir et blanc. Il était surnommé "l'oeil de Bamako" et fut le premier Africain à recevoir le prix Hasselblad, en 2003.
- 'Emeute' -
Dans son jardin luxuriant aux murs habillés de grandes photos d'artistes imprimées sur des bâches, Youri Lenquette, tenue décontractée et lunettes à grosse monture, dit à l'AFP avoir photographié beaucoup de musiciens,"énormément de musiciens cubains notamment, de rock, de hip-hop, même de variété française".
Pour Youssou Ndour, qui l'a rencontré au début des années 1990 à Paris, "Youri a l'âme de l'Afrique". "Quand je l'ai vu, je savais qu'il pouvait présenter l'Afrique, il pouvait présenter les artistes africains", affirme-t-il à l'AFP.
Les deux hommes évoquent avec humour une séance ratée: en décembre 1994, Lenquette débarque à Dakar pour un sujet photo et un documentaire télévisé sur Youssou Ndour et veut tourner avec lui dans son quartier natal, la populaire Médina.
"Je lui ai dit: +Youri, ça peut être compliqué. Je suis un peu connu+" et ça peut dégénérer, se souvient Youssou Ndour, "mais il a insisté, on y est allé".
"Au bout de 3-4 minutes, il y avait littéralement une émeute dans la rue", se rappelle Lenquette. Le chanteur et l'équipe de tournage se réfugient dans une maison et en ressortent "deux ou trois heures" plus tard...
Il en reste une image, exposée à la galerie, montrant le chanteur en train d'être exfiltré. "Cette photo-là m'a beaucoup plu", avoue Ndour.
"Je ne soupçonnais pas à quel point Youssou Ndour était énorme au Sénégal. Je n'étais jamais venu ici", se défend Lenquette en riant.
- Après Kurt Cobain -
Né en 1956 à Cahors (sud-ouest de la France), ce mélomane qui a grandi à Nice (sud), ne reproduira plus une telle erreur car, depuis, il a multiplié les voyages au Sénégal.
Depuis 2010, il est basé à Dakar avec son épouse sénégalaise, Adja. Le couple a une fille de 6 ans et un garçon d'un an et demi.
Cet ancien animateur de radio et ex-journaliste pour des parutions dédiées à la musique, a commencé à pratiquer la photo en amateur "à 18-19 ans" et en faisait pour illustrer ses articles.
Il décide de s'y consacrer entièrement en 1994 et, au fil de ses pérégrinations, tisse des liens étroits avec certaines célébrités. C'est le cas avec Ibrahim Ferrer (décédé en 2005), du groupe Buena Vista Social Club:"il est devenu presque mon grand-père à Cuba", assure Youri Lenquette.
Quand le photographe se convertit à l'islam pour épouser Adja, musulmane, il choisit de se prénommer Ibrahima en pensant au Cubain.
Autre rencontre marquante: Kurt Cobain du groupe de rock Nirvana, avec lequel il a "souvent été en tournée". Cobain "m'avait adopté dans le rôle de grand frère", dit Lenquette.
L'Américain s'est suicidé le 5 avril 1994 d'une balle dans la tête, deux mois après une séance de photo avec Lenquette à Paris où il avait posé avec une arme à feu. Ce fut "la dernière session" photo de Cobain.
Le drame affecte alors Lenquette, fan invétéré de punk, rock et toutes les musiques ayant "le goût du +Vivre vite, mourir jeune+". Il se remet en question, s'ouvre à d'autres sons, se concentre sur ceux d'Afrique, d'Amérique latine, ayant "quelque chose de plus vivant".
Le photographe dit aujourd'hui rêver de poursuivre ses rencontres artistiques et humaines: "Il y a encore tout un tas de musiciens que j'aimerais bien photographier, que je n'ai pas encore photographiés, par exemple (le chanteur malien) Salif Keïta".