AFFAIRE MAITRE SYLLA CONTRE CONSEIL DE L’ORDRE DES AVOCATS
De l’exception corporatiste du barreau sénégalais dans la sous-région et le concept de «sénégalité» : Cour d’appel de Dakar Assemblée générale du 23 mai 2003 - Ce jour 26 déc. 05, la Justice sénégalaise semble malade.
Ce jour 26 déc. 05, la Justice sénégalaise semble malade. Accusée par une organisation internationale (transparency international), par les députés sénégalais (corruption dans la magistrature), elle se voit épaulée par les avocats dans la défense de leurs droits. Ce sentiment général de non-dit qui pèse sur cette «grande dame» en général me laisse perplexe. Dans cette perspective, il me plaît de revenir sur l’état de ce «corps» malléable qui permet un mouvement incessant entre les deux corporations et qui, à l’heure de leur décadence présumée, refuse concernant le barreau, la reconnaissance du certificat d’aptitude à la profession d’avocat délivrée par la France aux Sénégalais qui ont choisi de refuser toute immigration intellectuelle.
Par requête en date du 23 septembre 2002, monsieur Sylla, avocat à la Cour d’appel de Paris, de nationalité sénégalaise, saisissait le président de la Cour d’appel de Dakar aux fins d’infirmation de la décision implicite de rejet de sa demande d’inscription au grand tableau de l’Ordre des avocats du Sénégal. Par le présent arrêt, la Cour d’appel déclare le requérant mal fondé eu égard à l’article 16 de la Loi 84-09 du 4 janvier 1984. Ainsi, la Cour donne raison au Conseil de l’Ordre qui soutient que Me Sylla ne remplit pas les conditions légales requises pour y prétendre eu égard à trois raisons. Que d’abord le Capa français ne peut même pas lui permettre une inscription sur la liste de stage en l’absence d’une procédure nationale d’admission en équivalence d’un pareil diplôme par rapport au certificat d’admission à l’examen d’aptitude au stage du barreau qui tient lieu de Capa au Sénégal. Qu’en second lieu, le requérant n’est pas titulaire d’un certificat de stage délivré par le Bâtonnier de l’Ordre des avocats et celui délivré par le Bâtonnier d’un barreau étranger ne saurait y suppléer. Qu’enfin que le requérant exerce la profession d’avocat en France ne lui permet pas de se prévaloir de conventions de réciprocité d’établissement entre l’Etat français et celui du Sénégal.
Au-delà du Droit, de sa malléabilité ou de sa dureté, dura lex. Sed lex. Par la pauvreté de l’argumentaire dont la Cour d’appel fait sienne, cet arrêt traduit sur un autre plan, la tragique comédie de la survivance sous l’ère de l’alternance d’un positionnement clientéliste frileux et discriminatoire à l’heure où la reconnaissance des diplômes et des compétences est acquise en Europe dont on singe la démocratie, à l’heure où certaines politiques tiersmondistes appellent au retour au pays des compétences des immigrés.
1 Faux problème de l’équivalence.
Ainsi, en rendant sa décision, la Cour d’appel opte pour une interprétation critiquable dont le fondement semble reposer sur un parallélisme entre l’exercice de la profession d’avocat suite à la réussite à un examen et la possession du Capa. Elle semble oublier que les titulaires du Capa français doivent, préalablement à l’examen d’entrée au Barreau, suivre une formation d’une année dans un institut d’études judiciaires. Ensuite seulement, ils peuvent subir le concours d’entrée au centre régional de formation professionnelle des avocats durant une année ponctuée de stage en cabinet, juridiction et services judiciaires, conclue par un examen de sortie et la possession du Capa. Ainsi débutent ils leurs carrières en tant que stagiaires pendant deux ans sous la direction d’un maître de stage avant d’être inscrits sur le grand tableau.
Le législateur sénégalais avait bien compris cette exigence, ainsi dans l’exposé des motifs de la loi n°84-09 du 04 janvier 1984 portant création de l’Ordre des Avocats, on pouvait y lire «le certificat d’aptitude à la profession d’avocat prévu par l’institution initiale du Barreau, puis supprimé par le décret n° 63-120 du 19 février 1963, a été réinstitué dans son principe, les modalités de son organisation étant renvoyées à un décret. Il est apparu indispensable, en effet, que les postulants au stage aient reçu une formation préalable théorique et pratique axée sur l’exercice de la profession d’avocat, la maîtrise en droit privé, même dans l’option judiciaire, ne constituant pas une préparation suffisamment spécifique pour le futur avocat stagiaire. En outre, l’exigence du certificat d’aptitude à la profession d’avocat pour toute candidature au Barreau permettra de réintroduire des dispositions sélectives dont le Bâtonnier déplorait, récemment la sélection. Le certificat d’aptitude à la profession d’avocat doit normalement être délivré dans le cadre d’un enseignement prodigué par des professeurs de faculté, par des magistrats expérimentés et par des avocats chevronnés. En attendant que son institution ait pu être matériellement réalisée, il est prévu, à titre transitoire, l’organisation d’un examen d’aptitude au stage, assuré par les soins du ministre chargé de la Justice, dans des conditions fixées par décret.
Le certificat d’admission à l’examen d’aptitude au stage du barreau sénégalais paraît donc bien maigre par rapport au certificat d’aptitude à la profession d’avocat français. Ainsi, la question qui se pose est de savoir si la carence de l’Etat sénégalais et de l’institution du Barreau devraient préjudicier aux Sénégalais de l’extérieur ? A cet égard, il convient de rappeler que les Sénégalais de l’extérieur ont vocation naturelle à rentrer et à participer à l’effort de développement de leur pays et non à traîner des savates à l’extérieur. Le requérant en l’espèce bénéficie d’une forte expertise et d’un diplôme reconnu, le Sénégal devrait s’en glorifier au nom de l’intérêt général de la Nation. C’est dans ce sens qu’il faut apprécier les exemples malien, nigérien, togolais et ivoirien qui, titulaires du Capa français, accèdent au barreau de leur pays à condition de trouver un stage.
2 Une restriction corporatiste lit de la fuite des cerveaux.
A l’image de ce positionnement sectaire s’inscrit, le refus opposé aux universitaires, docteurs en droit, titulaires du Capa, et des agrégés d’accéder au barreau sénégalais en soulignant l’incompatibilité entre la participation à une fonction publique d’établissement des universités de Dakar et de Saint-Louis et l’exercice de la profession d’avocat. En effet, aux termes des dispositions de la loi 87-30 du 28 décembre 1987 codifiée sous l’article 43 de la loi 84-09 du 4 janvier 1984 portant création de l’Ordre des avocats au Sénégal, les agrégés des facultés de Droit (et à mon sens, il faut élargir ce texte, aux docteurs en Droit) sont dispensés de stage. Invoquer la qualité de fonctionnaire des juristes universitaires qui, au demeurant, bénéficient d’une réelle indépendance est un argument dénué de bons sens. En effet, il est acquis de la compatibilité de l’enseignement juridique même sous le préau d’un établissement public avec l’exercice de la profession d’avocat dans la mesure où il s’agit d’une même communauté d’appartenance. Il y a plus qu’une interaction entre la théorie et la pratique juridique. Les démocraties majeures l’ont bien compris qu’il s’agisse des traditions de la commun Law ou des traditions juridiques latines. La France notre «chère vitrine» n’y échappe pas et la similitude des systèmes juridiques sénégalais et français est bien réelle. Si à une certaine époque, les Socialistes avaient enjoint l’ancien président de la République à choisir entre le Barreau et l’Université, aujourd’hui, le Sénégalais ne saurait sacrifier, sous l’autel d’un corporatisme et d’un clientélisme, une génération de juristes qui ont volontairement choisi de rejoindre la mère Patrie pour contribuer à l’œuvre de lisibilité et de transparence dans la construction du Droit et du renforcement d’une meilleure défense des justiciables.
3 Violation de principes constitutionnels fondamentaux.
En l’espèce, le requérant soutient que le refus du Conseil de l’Ordre de procéder à son inscription viole les deux principes constitutionnels fondamentaux de la non discrimination entre citoyens sénégalais et du libre établissement des Sénégalais sur l’ensemble du territoire national. Nous abondons dans le sens de Maître Sylla, car en effet, comment comprendre l’acceptation par le Barreau sénégalais de l’inscription de Me Faye, avocate au barreau du Val de Marne, qui a acquis la nationalité sénégalaise par l’effet de son mariage, sous le prétexte de l’existence d’une convention de coopération avec le barreau de Val de Marne ? Ce à quoi, la Cour d’Appel répond «qu’il en est également de l’invocation du précédent créé par le cas de Me Faye , la Cour n’étant pas tenue de réitérer une entorse aux principes légaux clairement définis» Sic et Hic ?? !!! Deux poids, deux mesures, voilà une discrimination qui ne dit pas son nom ! Positive, on l’aurait cru à l’égard du national d’origine, même si les valeurs et principes que nous défendons vont dans le sens d’une non-discrimination entre Sénégalais de n’importe quelle origine. Voilà sans doute l’affirmation de l’existence de «la Sénégalaise» en meilleure position sur le plateau de l’intégration et du retour au pays. Irons-nous jusqu’au parallélisme récemment avec la candidature présidentielle des binationaux. Voilà de quoi méditer ?
4 Derrière les fagots.
Il est grand temps que le Sénégal prenne ses responsabilités. Cette exception corporatiste et cette discrimination expliquent le pourquoi de tous les Sénégalais, ingénieurs, médecins, avocats et universitaires qui refusent obstinément de rentrer au Sénégal, tandis que d’autres cherchent coûte que coûte à immigrer. Cette décision conforte aujourd’hui mon analyse de comportements protectionnistes et frileux, d’une certaine démocratie minoritaire qui refuse de partager et d’intégrer les compétences extérieures. A l’heure où de pauvres justiciables sénégalais errent à la recherche d’avocats pour défendre leurs droits, où une alternance dite démocratique cherche à relever le défi, certains privilèges et pensées perdurent encore au Sénégal (faut-il briser la plume satanique de l’autre ?). Au nom d’intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.
Mady Marie Bouaré
Docteur en droit privé et sciences criminelles
Maître de conférence à l’Université Gaston Berger
Avocat au barreau de Paris