AMNISTIE SUR FOND D’AMNÉSIE
Sans doute, Macky Sall avait du talent politique ! Sans doute il s’en délectait tant que le temps ne lui était pas compté. Rattrapé par ce même temps, il s’aperçoit qu’il n’en dispose plus à sa guise pour se jouer des situations et des évènements.
Sans doute, Macky Sall avait du talent politique ! Sans doute il s’en délectait tant que le temps ne lui était pas compté. Rattrapé par ce même temps, il s’aperçoit qu’il n’en dispose plus à sa guise pour se jouer des situations et des évènements. Ces derniers paraissent même lui échapper.
Il se voulait maître des horloges ! Le voilà qui se révèle spectateur, ce qu’il n’a jamais aimé ou en voyageur d’un train qui entre en gare, ce qu’il a toujours détesté. Dans les derniers instants d’une longue odyssée, Macky Sall multiplie les adresses à la nation et sature son image et sa parole tout en cumulant des maladresses qui l’exposent davantage.
Les pressions de toutes sortes auront fini par l’agacer ou le contrarier. Car contre son gré, il cède ou concède, opine des yeux (et des épaules), fait la moue et enchaîne des grimaces qui l’enfoncent. Il assiste impuissant à la succession de faits et de phases, d’actes et de jeux d’ombres sur une scène ou, pour être plus nuancé, sur un échiquier rempli de silhouettes pas ou peu familières.
Devant la presse nationale une semaine plus tôt ou face à l’audience du dialogue national plus récemment, le président de la République s’écartait souvent de son discours, de sa naturelle trajectoire pour se risquer à des propos oratoires, certes révélateurs de ses sentiments profonds, mais inappropriés et aux effets dévastateurs.
Le président avait exprimé son courroux à l’égard des partenaires au développement qui osaient s’exprimer sur la situation politique intérieure sénégalaise. Non seulement il n’approuve pas la démarche mais il la trouve « inélégante » et la pourfend en haussant le ton en direct à la télévision devant une opinion publique quelque peu indifférente.
Puis, il récidive en laissant entendre son empressement à s’esbigner au plus vite. Il ajoute devant un public surpris et médusé qu’il pourrait même ne pas voter ! Un Président ne « devrait pas dire ça ! »
Alors que cachent ou révèlent ces déclarations présidentielles ? Reflètent-elles une ligne de pensée, un excès d’impatience ou un manque de confiance ? Trop tôt pour détecter d’éventuelles failles. En revanche, le pays découvre l’autre facette, au demeurant compréhensible, d’un président habitué aux haies d’honneur qui, de fait, cesse d’être le chef d’orchestre, l’unique détenteur de l’initiative.
En un mot, son pouvoir s’érode à vue d’œil. La crainte de rentrer dans les rangs l’irrite et le hante au plus haut point. Tout acte qu’il pose désormais est pesé et soupesé.
Il en est ainsi de son projet de loi d’amnistie soumis au vote à l’Assemblée nationale. Celle-ci décidément n’a pas le temps de respirer. Avant même d’être examiné en commission et en plénière, le texte suscite déjà la controverse.
Pourquoi effacer de la mémoire de gravissimes faits qui ne sont pas encore jugés ? A qui veut-on faire plaisir en s’empressant de mener aux pas de charge ce « dossier chaud et fumant » ? « Macky Sall transcende les égos et met le Sénégal au-dessus de la mêlée », dit, admiratif, un élu partisan de la magnanimité présidentielle.
Derrière les faits à amnistier se faufilent des « têtes brûlées » dont les actes commis s’apparentent à des crimes méritant le châtiment, plaident des militants des droits humains très remontés contre ce « faux angélisme » que le pouvoir veut servir pour apaiser le climat socio-politique dans le pays. Les mêmes décèlent une faiblesse coûteuse dans les semaines à venir.
Selon eux, le pays pourrait se diviser à l’occasion entre partisans et adversaires farouches de cette amnistie qui frise l’amnésie… Car pour beaucoup, les crimes de sang commis par des combattants du MFDC et l’assassinat de Maître Babacar Sèye ont, en tant que faits, été amnistiés après un jugement définitif ayant conduit plus tard à un examen circonstancié des implications de telles mesures.
Les esprits sont encore dans l’effroi devant les violences inouïes, les violations et les vols, les dégradations corporelles infligées à de pauvres gens, la mort d’homme et le climat de terreur instauré ici ou là.
Sabre au clair, l’ancien Premier ministre Idrissa Seck se démarque. Il fulmine même contre le dessein que véhicule cette loi d’amnistie censée blanchir des hommes et effacer des condamnations.
Dès lors, pourquoi ne pas recourir plus simplement à la grâce présidentielle en nommant individuellement les concernés ? Après tout, ils sont connus et reconnus. Les derniers soubresauts politiques sont à cet égard très édifiants.
Ces souvenirs, toujours frais, dénotent une amertume susceptible de se transformer en colère de masse devant ce qui pourrait être perçu comme une funeste faute politique ou une erreur judiciaire alors qu’aucune innocence n’est véritablement établie. S’achemine-t-on vers le réveil d’une gronde sévère encore assoupie ? Une déchirure profonde ? Il est à craindre…
D’ordinaire lisible, l’action du président Macky Sall l’est moins à mesure que se rapproche la fin de son mandat. Le 2 avril, aime-t-il à rappeler, son magistère va se terminer. Et il n’entend pas y rester un jour de plus. Mais jusque-là, il ne dit pas qu’il va quitter la fonction et ainsi céder le fauteuil à son successeur à l’issue d’une élection dont le report est à l’origine justement de cet imbroglio politique sans fin.
Or dans le refus d’ajouter cette ultime précision, gît une relative ambiguïté, signe probable d’une volonté de prolonger le supplice. Jusqu’à quand ? Personne ne sait. Pour le moment tout au moins.
Néanmoins, Macky sait mieux que quiconque que le passage du témoin s’est toujours déroulé avec la solennité requise entre le président sortant et le nouvel élu. Au-delà des divergences, l’esprit républicain prévaut et s’impose aux acteurs qui s’en réclament. De ce fait, l’actuel président est tenu à l’agencement protocolaire d’Etat. Ne serait-ce que pour la postérité, en un mot pour l’histoire.
Autant il a hérité du relais, autant il doit le transmettre dans des formes convenues pour finir en beauté et sortir par la grande porte. Les hommes partent les institutions demeurent…Tout est devenu complexe alors que tout était simple au départ. Les imprudences dans la manipulation des leviers masquent de fugaces intentions. L’opinion commence à les dépiauter.
Nul doute que les spéculations vont reprendre de plus belle puisque le président sortant ne sera plus là pour défendre son bilan, projeter la lumière sur ses réalisations et flétrir les esprits grincheux et malveillants qui se délectent déjà de cette atmosphère (délétère) de fin de règne.
Le vieux sage Kabirou MBodji, sort, à 95 ans, de l’ombre (et rompt le silence) pour asséner ses vérités à une classe politique sans âme, sans repères, sans boussole, sans socle, sans attaches…