CNGE, LE DÉSAVEU DE MACKY
EXCLUSF SENEPLUS : Mais qui sont ces mandarins mystérieux que le président consulte, laissant en rade ceux qui ont la légitimité de lui servir de conseillers en cette période de pandémie ?
Qu’est-ce qui se passe entre le Comité national de gestion des épidémies (CNGE) et l’instance décisionnelle (président de la République et ministre de la Santé) ? Au vu et au su de la gestion de la crise sanitaire, le CNGE, qui fait office de comité scientifique, est écarté dans plusieurs prises de décisions de l’autorité politique. De plus en plus, on découvre beaucoup de décisions prises et mises sur le dos du CNGE notamment celle concernant le déni du jus soli post-mortem de nos compatriotes morts du Covid-19 à l’étranger. Les ministres de la Santé et des Affaires étrangères ont soutenu respectivement, les 7 et 9 avril, sur la base d’un soi-disant avis du CNGE, que « compte tenu du fort risque de contagion liée à la manipulation des dépouilles, aucun transfert de corps provenant de pays infectés ne devra être permis » et que « ne pouvant plus rapatrier de corps, l’Etat a décidé que les Sénégalais décédés du Covid-19 dans les pays touchés soient inhumés là-bas.» Il est avéré aujourd’hui, après la 3e prise de parole présidentielle depuis le début de la pandémie, que ladite structure dont la vocation est d’éclairer la lanterne du président sur toute décision relative au Covid-19 n’a jamais émis un avis (contrairement aux déclarations des autorités) qui s’opposât au rapatriement des dépouilles des Sénégalais victimes du Covid-19. Et l’allocution du chef de l’Etat du 11 mai dans laquelle il déclare que « sur la base d’avis motivés en ce qui concerne les conditions sanitaires, il sera désormais possible de procéder à ces rapatriements », dénote que les experts du CNGE ne sont pas liés encore une fois à cette rétractation sur le retour post-mortem de nos compatriotes émigrés morts de Covid. Et quand le président Macky Sall décide d’assouplir les mesures restrictives prises le 23 mars, il affirme qu’il « a consulté à cet effet une équipe pluridisciplinaire d’éminents experts nationaux ».
Mais qui sont ces mandarins mystérieux que le président consulte en laissant en rade ceux qui ont la légitimité de lui servir de conseillers en cette période de pandémie ? Et pourquoi le chef de l’Etat enjambe l’expertise des membres du CNGE pour s’attacher les services d’autres sachants qui apparemment ne font que le caresser dans le sens du poil ? Même sur la question de la reprise des enseignements et apprentissages, le Professeur Seydi et ses collègues du CNGE n’ont jamais donné un avis favorable. C’est pourquoi, ces derniers doivent briser l’omerta en clarifiant aux Sénégalais qu’ils n’ont jamais donné leur onction pour la reprise des cours le 2 juin. Au moment où la courbe épidémique est dans une phase ascensionnelle, au moment où le nombre de morts du Covid-19 s’accroit anxieusement, il serait aberrant que les experts du CNGE conseillent au président Macky Sall de jeter en pâture les élèves et leurs enseignants au Sars-Cov2. Et le jour où une catastrophe sanitaire liée au Covid se produira dans un seul établissement scolaire, l’Etat ponce-pilatiste ne tergiversera pas à se défausser sur les lampistes du CNGE. In fine, le président et son ministre de la Santé ne se servent-ils pas des experts du CNGE pour valider toutes leurs exactions et couvrir leur fuite de responsabilité dans la gestion de cette crise sanitaire ? En ce qui concerne l’ouverture des lieux de culte et de commerce, la reculade manifeste et pusillanime du chef de l’Etat est un pare-feu pour contrer ces velléités de révolte incendiaire qui sourdaient de plus en plus chez certains chefs religieux et organisations commerçantes.
Double jeu du président et du ministre de la Santé
Personne ne comprend pourquoi le chef de l’Etat, dans la lutte contre le Covid-19, a pris la personnelle décision de passer des commandes de décoctions de l’artemisia annua chez son homologue malgache sans requérir l’avis de ses experts du CNGE. En le faisant, Macky Sall minimise ou désavoue la bithérapie (hydroxychloroquine /azithromycine) du Pr Seydi qui pourtant fait chaque jour ses preuves dans la prise en charge thérapeutique des malades. Et l’on sait que le Professeur Daouda Ndiaye, qui avait remis en cause l’utilisation de l’hydroxychloroquine par le Docteur Raoult directeur l’IHU de Marseille, s’est engagé avec des spécialistes dans un projet phytothérapique et d’essais cliniques du remède malgache « Covid Organics » contre le Covid-19. Ce projet « scientifique » ne fait qu’attiser le différend latent et incandescent qui existe déjà entre Seydi adepte de la bithérapie raoultienne et Daouda Ndiaye contempteur du directeur de l’IHU de Marseille. Pourtant, cet expert de l’OMS, activiste ou politicien maquignonné derrière son mouvement citoyen « Actions », était, il y a un peu plus d’un an, à la poubelle l’Artemisia pour le traitement antipaludique. Voici ce qu’il déclarait : « Il y a une raison qui justifie aujourd’hui l’interdiction de la plante par l’OMS... Mais tout de suite, je vous dis que je suis contre cette plante… Tout ça est lié à ce qu’on appelle les phénomènes de résistance. Cette plante pourrait guérir tout de suite mais est-ce qu’on doit traiter des patients, traiter toute la population et demain compromettre l’éradication du paludisme. Je dirai non ». Aujourd’hui, c’est ce spécialiste en parasitologie qui adoube la potion artémisienne malgache et se met en première ligne pour parler avec autorité d’une maladie (Covid-19) et de son traitement thérapeutique qui requièrent une expertise en infectiologie, en virologie, en botanique voire en pharmacognosie. Voilà, en un laps de temps, Daouda, guidé par on ne sait quel tropisme obscur, a déposé un protocole de recherches au Comité national d’éthique pour la recherche en santé (CNERS) en brûlant bien des étapes. Et pourtant, il ne lui appartient pas de faire un tel travail puisqu’il incombe au Comité d’Ethique de la Recherche (CER) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar de transmettre au secrétariat du CNERS tout protocole de recherche pour validation. L’avis définitif du CER est émis après cette consultation institutionnelle. Rien de tout cela, et Daouda envisage avec ses spécialistes de faire hâtivement ses essais cliniques en voulant passer outre certaines normes procédurales (qualité, innocuité et efficacité).
Déjà le 4 mai, dans un entretien accordé à I-radio, le Pr Moussa Seydi, dont la liberté de ton indispose le Dr Aloyse Diouf et son ministre, a été catégorique dans l’utilisation de la potion malgache. « Moi, en tant que médecin, je ne l’utiliserai pas. En tant que chercheur, il faut que le médicament puisse agir au niveau du laboratoire, mais également que ce médicament puisse agir aussi chez l’être humain avant que je ne puisse prendre de décision. C’est ce que j’ai fait avec l’hydroxychloroquine et l’azithromycine. En laboratoire, on sait depuis longtemps, que ça agit sur des virus. Mais là (avec l’Artemisia), je n’ai pas tous les éléments. Je ne peux pas l’utiliser comme ça. Il me faut une étude, avec des tests réalisés sur des êtres humains… Je n’ai pas le droit de donner comme ça un médicament à un patient... La rigueur de mon métier ne me permet pas d’agir ainsi. Si je le fais, j’emprunte une autre voie différente de celle de la médecine ».
Mais cette précaution scientifique ne semble guère ébranler le professeur Daouda Ndiaye puisque, dans l’Obs du 7 mai, il déclare que le Sénégal va tester l’Artemisia malgache parce qu’« on ne doit plus perdre du temps du fait de l’évolution rapide de la maladie à coronavirus ». La mise au point d’un nouveau médicament obéit à une longue procédure. Et le chef du service de parasitologie pharmaceutique de la Faculté de Médecine, Pharmacie et Odonto-stomatologie de l’UCAD semble vouloir danser plus vite que la musique. A y voir de plus près, rien dans ce protocole n’évalue les bénéfices potentiels qu’on pourrait tirer de sa recherche.
Ces deux positions antithétiques sur l’utilisation de l’Artemisia annua remettent sur le tapis le différend en sourdine entre Seydi et Daouda. Une autre dualité transparait dans le discours du président de la République quand, directif, ce dernier martèle que les Sénégalais doivent apprendre à vivre avec le virus. Une telle position est défendue par le tonitruant et disruptif Dr Pape Moussa Thior, qui se transbahute de média en média, pour discréditer la gestion de la pandémie par ses pairs du CNGE et du ministère de la Santé. Cet ancien Coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), itérativement, théorise dans des médias la libre circulation du virus aux fins d’atteindre l’immunité collective de la population. « Quand le virus circule, surtout si vous avez une population très jeune, ce qui est notre chance en Afrique, il y a ce qu’on appelle le développement d’anticorps chez cette population jeune. Et, cela va constituer un frein au réseau de distribution de la maladie, et protéger les personnes qui sont vulnérables », dixit Dr Thior à I-Radio. Réplique du Pr Seydi : « Étant donné que cette maladie a l’air non-immunisante, on risque d’aller vers l’hécatombe si on tente cette expérience. Mais une maladie où il y a une possibilité de rechute, si on ne limite pas sa propagation, ça sera une catastrophe ».
Tout laisse croire à l’analyse du laïus présidentiel que Macky Sall penche plutôt vers l’idée de Thior qui opte pour la liberté de circulation du virus en défaveur de celle des experts du CNGE qui prônent une démarche plus prudentielle. A ce désaveu lâchement inavoué du président s’ajoute celui des politiciens tapis au sein du ministère de la Santé qui s’activent à vouloir valider hâtivement le simulacre de protocole de recherche de Daouda Ndiaye et affaiblir Seydi.
Ainsi, le Général, perdu dans le brouillard d’un jeu duplice, navigue à vue et la cacophonie qui règne entre le palais et le ministère de la Santé n’est que le reflet de la cacophonie et du cafouillage qui sous-tendent la gestion bancale et ubuesque de la crise (pardon !) de la guerre sanitaire que le Sars-Cov2 a déclarée à notre pays depuis le 2 mars 2020.