CONTRIBUTION AU DEBAT SUR LES LANGUES NATIONALES
Sur la question si délicate du choix d'une seconde langue officielle à côté du français, je pense pouvoir apporter ma modeste contribution dans le débat en cours, pour avoir sillonné le pays de long en large et expérimenté quasiment toutes les réalités...
Sur la question si délicate du choix d'une seconde langue officielle à côté du français, je pense pouvoir apporter ma modeste contribution dans le débat en cours, pour avoir sillonné le pays de long en large et expérimenté quasiment toutes les réalités culturelles du pays. Fort de cette expérience, je crois devoir légitimement conseiller d'adopter une approche très prudente du sujet. En effet, l'attitude la plus réfléchie, à mon avis, doit être observée chaque fois qu'on est amené à prendre une décision de nature à engendrer un bouleversement dans le cours des choses auxquelles les populations sont habituées.
Personnellement, je pense que les partisans de l'option consistant à élever une seule langue nationale, en l'occurrence le wolof, au rang de seconde langue officielle à côté du français, ne semblent pas mesurer la complexité et le sérieux de la question qui ne sera sûrement pas sans effets imprévisibles. C'est pourquoi je considère qu'il serait hasardeux de décider de la chose, sans tenir compte de la réalité de ce pays multilingue et sans hiérarchisation entre les différentes langues pratiquées notamment de façon principale dans les zones de peuplement respectives de chaque ethnie et, accessoirement, dans le reste du Sénégal au sein des centaines de milliers de familles qui vivent dans l'ancrage de leurs cultures propres et communiquent dans leur langue.
La région de Dakar en est un exemple concret car, malgré la pratique très répandue et plus large du wolof dans l'espace public, elle est aussi un creuset de toutes les cultures et langues du pays. Ce scénario est observable également dans tous les grands centres urbains du pays où le wolof cohabite avec les autres langues utilisées généralement dans l'espace familial.
Ce qui est loin d'être la règle en milieu rural où les populations, selon leur appartenance ethnique, parlent leurs langues respectives. Les arguments développés par monsieur Boubou Senghote et ses appréhensions doivent être pris très au sérieux, d'autant plus qu'ils corroborent ceux très pertinents avancés par les Pr. Samba Diouldé Thiam et Souleymane Bachir Diagne dont on connaît le sérieux et la rigueur dans leurs analyses qui doivent inviter à la réflexion, aux fins d'écarter toute précipitation avant de décider non pas sous une quelconque pression populaire, mais juste sous celle exercée par quelques intellectuels ou non qui ont eu à émettre leurs avis et vœux personnels sur la question. Une poignée d'intellectuels, malgré leur qualité reconnue, ne doit pas pouvoir ébranler les fondements ou les structures étatiques. Un Etat, c'est plus sérieux et plus responsable que ça.
Malheureusement, comme cela a été déploré, l'autorité politique de la décennie écoulée semble avoir donné son onction à cette demande ou à cette revendication, sans prendre soin au préalable d'examiner de façon approfondie toutes ses implications possibles dans l'immédiat et dans le futur. La question des langues est très sérieuse, délicate, complexe et même dangereuse quand on manque de tact, quand on ne sait pas s'y prendre avec lucidité et responsabilité. Car une multitude de paramètres et de considérations sont à prendre en compte avant toute décision, s'il n'y a vraiment pas une autre alternative.
C'est pourquoi, j'estime qu'un choix aussi sérieux, une décision si lourde de conséquence, gagnerait à être discutée et confiée à un panel de scientifiques et de spécialistes de la question, notamment des ethnologues, des linguistes, des sociologues, des anthropologues, des historiens, des géographes, en sus d'autres personnalités reconnues pour leur compétence et leur sagesse, sans compter les associations de langues qui auront à s'y pencher au besoin, même pendant plusieurs années, avant de soumettre leurs conclusions aux gouvernants.
Mais voilà qu'au lieu de cette démarche plus raisonnable, on semble se précipiter pour élire une seule langue sur la base de l’unique critère du plus grand nombre de locuteurs du point de vue statistique, occultant ainsi le fait que les statistiques cachent toujours des disparités qu'on doit savoir interpréter, pour éviter des erreurs dans l'application pratique sur le terrain.
Par exemple, même si l'on considère que le wolof est une langue comprise par plus de la moitié de la population, il serait tout de même hasardeux d'en tirer une conclusion dont l'application contiendrait les germes d'une tension sociale qui n'est pas souhaitable pour le pays. Car, il ne faudrait pas l'occulter, dans un certain nombre de zones géographiques et culturelles du pays, le wolof est minoritaire à tous points de vue. C'est le cas, par exemple :
- de la Casamance dans ses trois régions administratives (Kolda, Sédhiou et Ziguinchor) ;
- du Sénégal Oriental dans ses deux régions administratives (Kédougou et Tambacounda) ;
- du bassin du Fleuve notamment le Fouta dans la région administrative de Matam et dans le département de Podor (région de Saint-Louis) ;
- de la région de Louga notamment le Ferlo dans le département de Linguère et dans une partie du département de Louga ;
- de la région de Saint-Louis dans le département de Podor comme je l'ai déjà indiqué et une bonne partie du département de Dagana ;
- de la région de Fatick notamment dans les départements de Fatick et de Foundiougne et, dans une moindre mesure, dans le département de Gossas.
Pense-t-on aux populations des autres groupes ethniques de ces régions, de ces entités géographiques et culturelles très denses qui se verraient obligées d'adopter une autre langue que la leur simplement parce qu'on a un souci d'uniformisation ? Je pense que non et qu'il est possible de chercher à la rigueur à intégrer le maximum de langues possibles, au lieu de reproduire la mauvaise leçon de la langue coloniale imposée à tous au lendemain des indépendances, parce que les nôtres qui n'avaient pas droit de cité étaient perçues comme étant de simples patois baragouinés par des sujets pour lesquels les colons et leurs substituts formatés à leur image, n'avaient que mépris.
En conclusion, je pense que s'obliger à prendre une décision en écartant toute attitude prudente comme l'ont fait les anciens Présidents Léopold Sédar Senghor, Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, pourrait se révéler problématique à l'avenir, puisque cette impréparation et ce manque de vision ne manqueront pas de révéler des goulots extrêmement complexes, précisément des résistances de la part des populations des régions concernées où les langues locales sont particulièrement dynamiques.
À mon avis, s'il faut vraiment décider, et je trouve que rien n'oblige à le faire dans la précipitation, il faudrait militer pour l'option d'un choix plus large de groupe de langues en tenant compte, dans un premier temps, des six premières à avoir été codifiées. Une telle option serait, de mon point de vue, plus logique, plus juste et plus compréhensible au regard du travail accompli dans le cadre de la valorisation de ces langues dotées d'un système alphabétique qui a coûté une somme colossale en termes de temps, d'efforts et d'énergie pour les rendre plus attrayantes auprès des populations et ce, pendant de longues années. D'ailleurs, comme l'a rappelé quelqu'un, ce système plurilinguistique existe effectivement dans un certain nombre de pays en Afrique et au-delà.
Enfin, ce choix devra tenir compte de la nécessité absolue d'envisager, dans le futur, la possibilité d'une extension aux autres langues codifiées en fixant, par exemple, un seuil limite d'au moins 200 000 locuteurs pour être éligibles à l'officialisation. Et cela, tout en développant, de façon connexe, une politique soutenue de promotion et de valorisation des langues minoritaires qui ne seraient pas incluses dans la liste pour des raisons liées au fait que ce sont des langues purement locales rayonnant dans un groupe de villages ou dans une zone spécifique de moindre envergure.
Oumar Dieng - Kaolack