CREATION DE BANQUE AU SENEGAL ET CONTRAINTES DES NORMES PRUDENTIELLES DE BALE 3
Le propos est sous tendu par l’annonce par le groupe bancaire français « la Société Générale » de sa volonté de céder ses participations dans certaines de ses filiales africaines.
Le propos est sous tendu par l’annonce par le groupe bancaire français « la Société Générale » de sa volonté de céder ses participations dans certaines de ses filiales africaines.
Pour rappel, cette décision fait suite à celle du groupe BIAO/BNP en 1990/1991, suivie de celle du Crédit Lyonnais, de BCPE puis de la BNP pour ce qui concerne la France ; du côté britannique, Barclays Bank et la Standard Chartered Bank se sont également désengagées du continent.
En somme, c’est l’Europe qui a opéré un retrait de ses banques du continent, si l’on sait que la part de l’Afrique dans l’économie allemande a toujours été marginale.
Ce mouvement centrifuge a été noté dès les années 90, correspondant à la chute du mur de Berlin qui avait suscité un espoir en termes de « business » sur l’ensemble du continent européen. A l’époque, on avait qualifié ce retrait du continent d’ « afro-pessimisme » pour bien marquer le phénomène.
En réalité, c’est cette tendance qui se poursuit actuellement si l’on sait que le mouvement inverse de nouvelle création de banque européenne en Afrique ne s’est pas produit.
Ceux qui croient qu’il s’agit d’une politique de désengagement stratégique de la France d’Afrique seraient confortés en cela par les départs successifs de la BIAO, du CRÉDIT LYONNAIS (LCL) de la BCPE et de la BNP, pour la plupart filiales de banques européennes systémiques, qui ont tour à tour abandonné d’importantes parts de marché à de nouvelles banques africaines dynamiques.
Pour d’autres, l’actuel mouvement de désengagement des banques européennes aurait démarré, selon des analystes, lors de la crise financière de 2008, génératrice de grosses pertes qui ont eu pour principale conséquence le renforcement drastique des normes prudentielles dès 2010.
Les normes prudentielles édictées au fur et à mesure des crises systémiques ont eu comme conséquence de solliciter, de la part des banques, des apports en fonds propres de plus en plus consistants avec comme effet des débours de trésorerie croissants impactant la rentabilité financière des fonds engagés pour asseoir la solvabilité.
Ces demandes de débours en renforcement de fonds propres étaient effectuées par les groupes bancaires européens pour la couverture des risques « filiales » y compris celles d’Afrique considérées comme étant à risques.
Il est en effet notoire que l’Afrique est considérée par les marchés financiers comme un continent à risques, quand bien même il y aurait peu de faillites bancaires sur le continent, en particulier en zone UEMOA, depuis près de 40 ans. Les dispositions de Bâle 3, particulièrement répressives en matière de solvabilité, pourraient donc expliquer le retrait de ces banques systémiques d’Afrique, d’autant que le continent ne constituerait qu’environ 1% des flux financiers mondiaux, ce qui pousserait les managers à opter pour des choix financiers hors du continent.
En toutes hypothèses, il demeure que ce désengagement reste circonscrit aux banques européennes. A titre d’exemple, la banque américaine Citibank est encore présente dans le paysage bancaire africain malgré les diverses crises bancaires aux USA.
Au résultat, les banques européennes sont remplacées par les groupes bancaires marocains (Attijariwafa Bank) et nigérians (UBA, FNB) et le groupe panafricain Ecobank à capitaux majoritairement nigérians.
En 2023, malgré les nouvelles normes prudentielles, une crise bancaire systémique s’est déclenchée à partir de la banque américaine « Silicon Valley Bank », qui n’était plus en mesure de faire face aux demandes de retraits de ses déposants.
Par un jeu de participations croisées et de correspondances, cette crise s’est prolongée en Europe avec la faillite du « Crédit Suisse » vite absorbé par l’Union des Banques Suisses (IBS) pour éteindre le feu qui menaçait d’autres banques européennes.
Les règles de Bâle 3 sont ainsi créées pour protéger les banques européennes des faillites bancaires internationales, américaines en particulier.
Dès Bâle 1 (ratio Cooke du nom du Président de ce comité), l’exigence d’un relèvement des fonds propres du groupe BIAO, par la Banque de France, exposé au risque de défaut de paiement de crédits « offshore » octroyés dans quelques pays d’Europe de l’Est, avait entraîné l’appel en responsabilité de la BNP, actionnaire de référence dudit groupe dans les années 90. La BNP s’était exécutée mais avait décidé, en réaction, de procéder à la liquidation du groupe Biao, dont les filiales furent cédées à la Méridien Bank d’Andrew Sardanis, et atterrirent plus tard dans le portefeuille du groupe marocain ATTIJARIWAFABANK.
Nous déplorions d’ailleurs, dans une de nos contributions, que le Sénégal ait raté en son temps l’opportunité de se doter d’une banque nationale solide, au regard de l’important actif de cette banque, dont une part du portefeuille « crédit » était certes constituée de créances irrécouvrables mais avait été dûment couverte par des provisions de la part de l’actionnaire de référence.
Il n’y a pas eu de faillite bancaire dans la zone UMOA depuis 40 ans !
Pour en revenir au décrochage des banques européennes du continent africain, nous pensons qu’il n’est pas le fait des Etats européens pris individuellement mais plutôt celui des grands groupes bancaires et financiers internationaux dont ces Etats sont les « otages ».
Les banques européennes systémiques quittent le continent sur la base de décisions stratégiques, basées sur leurs propres orientations stratégiques, indépendamment des politiques menées par les Etats nationaux. Les comités de Bâle se succèdent donc les uns aux autres, du fait du contournement par les banques européennes des règles relatives aux ratios de solvabilité, qui n’ont pas permis d’éviter les crises bancaires systémique.
Appliquées sans édulcoration à l’écosystème bancaire africain, hyper contrôlé comme en UMOA, les dispositions de BÂLE 3 ont largement participé à éloigner les PME et TPME de l’accès au crédit et orienté les banques vers la gestion de trésorerie et non le financement de l’économie. Ainsi donc, au-delà des difficultés de financement de l’économie liées à la politique monétaire en zone euro, il faut rajouter une paralysie des banques africaines en matière d’octroi de crédits découlant de la réglementation européenne drastique de couverture des risques (par les fonds propres). La preuve en est qu’il n’y a pas eu de faillite bancaire en Afrique/UMOA depuis près de 40 ans, ce qui jure d’avec la situation en Europe et aux Etats unis, où les crises financières se poursuivent au gré des évolutions de taux d’intérêts tantôt bas pour financer la croissance et l’endettement, tantôt hauts pour juguler l’inflation.
Ces crises traversent les frontières du fait de l’internationalisation des capitaux financiers et des participations bancaires croisées, et ce malgré ce corset de fer des normes prudentielles de Bâle.
Pour ce qui concerne le Sénégal, les nouvelles autorités ont annoncé la création d’une banque qui résulterait d’une sorte de fusion des structures financières dédiées aux petites et moyennes entreprises.
Au regard du paysage bancaire international et africain, ainsi que des contraintes énumérées supra, la question est de savoir quel type de banque créer ? Avec quel « tour de table » ? Avec quelle orientation stratégique ?
Par ailleurs, la décision de créer une banque a-t-elle comme unique préoccupation de financer les Pme en manque d’accès au crédit, ou alors traduit-elle une vision plus large de créer un groupe bancaire ? On sait que les banques sont les bras armés des opérateurs économiques ou des pays ; Attijari l’est pour le Maroc, et UBA pour le Nigéria.
On sait par ailleurs que le Sénégal accuse du retard par rapport aux autres pays africains (Nigéria, Togo, Bénin, Côte d’Ivoire, Gabon) en matière d’initiative publique de création de banque ou de soutien à la création de banques privées à dimension africaine.
Aussi, une réflexion devrait être engagée pour définir les contours d’un paysage bancaire sénégalais plus étoffé, répondant aux besoins des opérateurs privés, jeunes en particulier.
En toutes hypothèses, un groupe bancaire enfermé dans une loi bancaire et des normes prudentielles réductrices restreindrait la voilure de toute nouvelle institution ; c’est pourquoi la création de fonds de garanties forts devrait s’ajouter au dispositif, ce qui permettrait de circonscrire les risques inhérents au financement des PME et du secteur informel.
C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles la bataille à moyen terme pour le desserrement de l’étau monétaire et financier en UEMOA doit être engagée.
Abdoul Aly KANE