DÉBUT 90, LA PARENTHÈSE ENCHANTÉE
Au gré des méandres tracés par les algorithmes et de l’effet de consanguinité des réseaux sociaux, un extrait vidéo réunissant Omar Pène, Daro Mbaye, Youssou Ndour, Ismaël Lô et Demba Dia a ramené à la surface un flot de souvenirs.

Au gré des méandres tracés par les algorithmes et de l’effet de consanguinité des réseaux sociaux, un extrait vidéo réunissant Omar Pène, Daro Mbaye, Youssou Ndour, Ismaël Lô et Demba Dia a ramené à la surface un flot de souvenirs. Il a replongé le frêle adolescent que j’étais – oui, oui, je n’ai pas toujours été dodu et ventru – dans les premières années 90.
Une époque d’insouciance, de liberté et de rêves. « Hello Kevin, Kevin from London, Kevin my brother », fredonne Omar Pène de sa voix unique, dans un studio de la Rts, en ce jour de mai 1991 qui restera gravé dans l’histoire musicale du Sénégal. Ce jour-là, les figures emblématiques de la musique sénégalaise étaient réunies autour de lui, invité principal de « Boulevard en musique », une émission culte des années 90 animée par Khalil Guèye. Journaliste à la stature imposante, Khalil Guèye était une figure incontournable du paysage audiovisuel sénégalais, fort d’un Cv impressionnant qui comptait Cbs, Cnn, Voa et Bbc. Cette émission était le reflet d’une période particulière. Celle d’une renaissance, d’un vent nouveau soufflant sur la scène musicale.
En 1989, l’éclatement du Super Diamono était officialisé : Ismaël Lô prenait son envol en solo, tandis que les frères Adama et Lamine Faye quittaient le groupe pour produire des artistes comme Coumba Gawlo, Kiné Lam, Moussa Ngom ou encore Mapenda Seck. De son côté, Omar Pène, en compagnie du bassiste Bob Sène et de Lappa Diagne, survivant du groupe dissous, amorçait un retour en force avec le Super Diamono New Look. Khalil Guèye revenait alors de France après le tournage du film « Toubab Bi » dans lequel il jouait le rôle de Prince. Il avait sécurisé un studio avec la Rts, mais il manquait encore une bonne sonorisation. C’est là qu’intervint Demba Dia, lui aussi fraîchement rentré du pays de Marianne, qui mettait à disposition l’une des meilleures logistiques de concert au Sénégal. Parmi les invités, Youssou Ndour poursuivait son ouverture vers l’Amérique. Il adoptait un look inspiré du réalisateur new-yorkais Spike Lee : veste ample sur un polo à capuche, posé sur un jean bleu délavé. Le tout orné d’une casquette sans encore le X.
« Boulevard en musique » a joué un rôle clé dans la relance de la carrière d’Omar Pène. Quelques semaines après son passage dans l’émission, il sortait son premier album avec sa nouvelle formation, « Passeport spécial vacances », durant l’hivernage 1991, suivi de « Ndam le Paysan ». Dès lors, il était lancé et adoptait définitivement la signature Omar Pène et le Super Diamono, (exit le New Look) suivant ainsi la voie tracée par Youssou Ndour et Baaba Maal. L’auteur de « Supporter » nourrissait, comme beaucoup de Sénégalais, de grandes espérances pour la Coupe d’Afrique des Nations, que le Sénégal accueillait du 12 au 26 janvier 1992. Mais le rêve tourna court : une élimination décevante face au Cameroun (0-1) en quart de finale, le 19 janvier, marqua brutalement la fin de cette parenthèse enchantée. Le pays bascula alors dans une période plus sombre. Les tensions politiques montèrent avec l’élection présidentielle de 1993, marquée par la victoire contestée d’Abdou Diouf face à Abdoulaye Wade.
Le meurtre de Me Babacar Sèye, le 15 mai 1993, scella une année que l’histoire retiendra comme une Annus horribilis. L’année suivante ne débuta pas sous de meilleurs auspices. Le 12 janvier 1994, la dévaluation du franc CFA de 50 % frappa de plein fouet l’économie sénégalaise, aggravant encore le climat social et politique. Le président Abdou Diouf, longtemps perçu comme un technocrate effacé dans l’ombre de Senghor, s’affirmait de plus en plus. Il imposait son style, « une main de fer dans un gant de velours », selon les mots mêmes de son prédécesseur. Pourtant, les années 90 s’enfonçaient dans la morosité, entre crises économiques et tensions politiques, malgré des tentatives de redressement du plan Sakho-Loum.
L’an 2000 apparaissait alors comme un horizon lointain, un espoir de renouveau. Lors d’une rencontre à Paris, Abdou Diouf confia à Khalil Guèye combien « Boulevard en musique » avait été une bouffée d’air dans cette période tourmentée. Les services de renseignement considéraient ces quatre heures de direct comme une véritable soupape, un moment de répit pour un pays en quête d’apaisement. À l’heure du numérique, des tendances éphémères et du culte de l’instantané, se retourner sur cette époque, c’est comme figer le temps dans une photographie. Saisir un regard, un frisson, une émotion. Retrouver, l’espace d’un instant, une vie qui semblait éternelle.