DIOMAYE FACE À LA DEMANDE DE RÉPARATIONS DE L’AFRIQUE
EXCLUSIF SENEPLUS - Les initiatives du mouvement pour les 'réparations' de 1991 à 2009 peuvent inspirer la résolution que l'UA devrait adopter pour le compte de l’Afrique-monde. Il s’agit d’une occasion historique pour le président sénégalais
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Ce texte reprend et met à jour un article publié le 26 juillet 2019 sous le titre « Réparations ».
La 38ème session ordinaire de l'Assemblée de l'UA (session des chefs d'État et de gouvernement) se tiendra à Addis Abeba du 15 au 16 février. L’ordre du jour comprend le lancement officiel du thème de l'année 2025 : "Justice pour les Africains et les personnes d'ascendance africaine par le biais des réparations".
C’est une nouvelle occasion pour l’Union Africaine d’interpeller les pays européens et américains qui ont colonisé l’Afrique, l’ont exploité et ont esclavagisé ses populations pendant plusieurs siècles, se rendant ainsi coupables de crimes contre l’humanité et de génocides, de procéder à des réparations à son égard comme ils l’ont fait à l’endroit du peuple juif.
Bien que l'ordre du jour de cette session comprenne de nombreux sujets brulants, l’avancée de l'agenda 1963, le renforcement de la zone de libre-échange, l’accélération du développement économique et les guerres en RDC et au Soudan, il est impératif que la question des réparations soit discutée par les chefs d’Etat et qu’un plan d’action soit établi.
L’urgence de la question
Cette question vient en effet à son heure avec la montée du racisme contre les Africains dans le monde entier, l’adoption de politiques anti-immigration en Europe et aux Etats-Unis et la fin de l’aide au développement annoncée par le nouveau gouvernement américain de M. Trump.
Il y a en même temps la résurgence de la question et l’extraordinaire mobilisation de la communauté noire africaine-américaine et des mouvements progressistes à l’intérieur des Etats-Unis et des communautés afrodescendantes à travers le monde entier.
Sous la pression de la communauté africaine-américaine, la Chambre des Représentants des Etats-Unis a ainsi dû s’engager à étudier la question des « réparations » pour ce qui concerne les Africains-Américains et a organisé le 19 juin dernier 2019, lors d’une session d’information, une « commission » pour « étudier et formuler une proposition en vue de payer des réparations aux Africains-Américains. Le nouveau président américain ne donnera évidemment suite à cet engagement que contraint et forcé.
Parler au nom de l’Afrique-monde
Dans ce contexte, l’Union Africaine doit adopter sur cette question une résolution forte, non pas au nom de ses seuls 55 Etats membres mais au nom et pour le compte de « l’Afrique-monde » (Global Africa), selon le concept du panafricaniste tanzanien Ali Mazrui, c’est-à-dire de l’Afrique continentale et de toutes ses diasporas, aussi bien celles issues de la traite négrière que celles crées par les mouvements de migrations hors du continent survenues pendant la période coloniale puis néocoloniale .
Cette résolution sera ensuite présentée aux Nations Unies à l’adresse non des seuls Etats-Unis, mais de l’ensemble des États européens. Elle devra prendre en compte la longue histoire du mouvement de réparations et la dépasser.
Une brève histoire du mouvement de la réparation pour l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme
L’idée de réparations à l’endroit des Africains-Américains et autres Afrodescendants et des Etats africains pour l’esclavage, la colonisation et le néocolonialisme est en effet ancienne et instructive. Elle a été formulée aux Etats-Unis dès le lendemain de la proclamation de l’Emancipation des esclaves en 1863, avec l’engagement du gouvernement américain d’alors, jamais réalisée, de concéder à chaque famille d’esclave libre « 40 acres de terre et une mule ».
En Afrique, elle n’a été mise sur la table de l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A) qu’en 1991 quand elle a fait l’objet de la « résolution 1339 », approuvée par le Conseil des ministres tenue du 27 mai au 1 juin 1991.
Puis à l’issue d’une réunion tenue à Abuja le 28 juin 1992, l’OUA a mis en place un « groupe d’éminentes personnalités » présidée par le milliardaire et homme politique nigérian chief M.K.O Abiola avec pour mission de mettre en œuvre le projet de réparations convenu.
Notons que le groupe d’éminentes personnalités comprenait l’historien nigerian J.F.Ade Ajayi, le Professeur Samir Amin, le Congresman Africain-américain Ron Dellums, le Professeur Joseph Ki-Zerbo, Graca Machel, Miriam Makeba, le Professeur Ali Mazrui, l’ancien président du Cap-Vert Aristide Perreira, Amadou Mactar Mbow, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Ghana sous Kwame Nkrumah, Alex Quaison Sackey et le diplomate jamaicain Dudley Thompson.
C’est à initiative de ce groupe que se tint la première conférence panafricaine sur les « dédommagements pour les descendant-e-s des victimes de la mise en esclavage des Africains, la colonisation et le néocolonialisme », organisée du 27 au 29 avril 1993 à Abuja au Nigeria.
La Déclaration de cette conférence indiquait que les pays qui se sont livrés à l’esclavage puis au colonialisme et au néocolonialisme avaient contracté une « dette morale » et une « dette à payer ». Elle demandait aussi le retour des « effets volés, biens culturels et autres trésors pillés ».
Elle indiquait que les réparations pouvaient prendre la forme de « transferts financiers » et d’annulations de dettes et devaient attribuer à l’Afrique une meilleure représentation dans les organes de décision des organisations internationales en particulier un siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies.
Mais la « première conférence panafricaine » eut finalement peu de résultats. Et ce n’est qu’en 1999 que la demande de « réparations » de l’Afrique et des diasporas africaines pour l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme fut relancée par la Conférence de la Commission Vérité (Truth Commission Conference) qui s’est réunie à Accra, avec des délégués de neuf États africains, des Etats-Unis, des Antilles et de la Grande Bretagne.
Cette Conférence conclura que « la mise en esclavage des Africains pendant 400 ans et la colonisation de l’Afrique sont à l’origine de tous les problèmes de l’Afrique d’aujourd’hui » et que l’Afrique devrait recevoir une compensation financière estimée à 77 000 milliards de dollars US.
Cet argument et ce montant seront repris par Mouammar Qadhafi en sa qualité de président de l’Union Africaine le 23 septembre 2009 à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Il demande alors que la colonisation soit déclarée crime contre l’humanité.
Auparavant, la « Conférence mondiale contre le racisme » organisée par l’ONU à Durban (Afrique du Sud, 31 Aout au 7 septembre 2001), a abordé la question des « réparations » mais n’a pu adopter de résolution contraignante du fait de l’opposition de certains Etats dont le Sénégal, par la voix de son président Abdoulaye Wade. Mais la Conférence a tout de même reconnu aux peuples africains et afro descendants « le droit de réclamer des réparations ».
Reprendre le mouvement et aller plus loin
Les différentes initiatives que le mouvement en faveur des « réparations » qui ont été mises en œuvre de 1991 à 2009 sont riches d’enseignements pour fonder la résolution forte que la présente session de l’UA devrait adopter pour le compte de l’Afrique-monde.
L’Union Africaine sur la base d’une telle résolution pertinente pourrait ensuite mettre en place un nouveau « groupe d’éminentes personnalités » qui à l’image de celui de 1992 intégrerait des représentants patentés de la Diaspora africaine américaine et un plus grand nombre encore de représentants des autres diasporas notamment des Antilles « françaises » et « britanniques », d’Amérique du Sud, et de toutes les communautés Afropeans.
La mission de ce groupe sera d’organiser une seconde conférence panafricaine sur les « dédommagements pour les descendant-e-s des victimes de la mise en esclavage des Africains, la colonisation et le néocolonialisme » afin de formuler un texte pour le compte de l’Union Africaine qui l’adoptera formellement avant de le présenter aux Nations Unies.
Ce texte fera référence à la loi française du 21 mai 2001 de la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité dite loi Taubira, défendue alors par Christiane Taubira députée française de Guyane.
Le texte s’appuiera sur les conclusions et recommandations de la première conférence, sur les observations de la Truth Commission d’Accra, sur les arguments présentés par le président Mouamar Kadhafi à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 23 septembre 2009 ainsi que sur la reconnaissance de la « Conférence mondiale contre le racisme » de l’ONU de Durban du « droit des peuples de « réclamer des réparations ».
Il réitèrera solennellement l’appartenance à l’Afrique des diasporas africaines, aussi bien celles établies pendant « la période d’avant la traite négrière, la période de la traite négrière et la période post-traite négrière ou la période de la migration moderne » et leur constitution en 6eme région de l’Afrique, ainsi qu’établi par la résolution de l’Union Africaine de 2003. .
L’importance des réparations
De même que les réparations allemandes à l’Etat d’Israël pour la Seconde Guerre mondiale ont été garanties par la communauté internationale (en fait les vainqueurs de la deuxième guerre mondiale : les USA, la Grande Bretagne, l’Union Soviétique et la France), de même les Nations Unies devront garantir les réparations pour les peuples africains et afrodescendants qui auront été adoptées.
Outre la compensation morale que les réparations apporteront aux milliards d’Africains et d’Afrodescendants à travers le monde, ces réparations se traduiront sous forme d’investissements déterminants en Afrique et dans les différentes communautés africaines à travers le monde.
Les réparations allemandes qui se sont chiffrées à 3 milliards de marks (de 1952) pour la seule partie qui est allée directement à Israël, ont permis de « bâtir 1300 industries, 36 usines.. d’apporter un tiers du financement pour le système électrique du pays, près de la moitié de l’investissement requis pour les chemins de fer d’Israël, etc.» et d’absorber des centaines de milliers d'immigrants venus d'Europe, de l'Afrique du Nord et d'Asie
On voit dès lors comment les réparations pourraient impulser le développement de l’Afrique.
Mais est-il possible d’obtenir effectivement cette « réparation » ? Cela ne se fera assurément pas sans une lutte politique déterminée. Tout dépendra d’abord de la détermination des chefs d’État africains à mener le combat au niveau des Nations Unies à travers l’Union Africaine. Ils doivent se convaincre que c’est là, le seul combat qui vaille et que l’annulation de la dette et la mise en place d’un Plan Marshall pour l’Afrique ne sont que des leurres.
Ils savent en outre, au moins depuis que Donald Trump a été réélu à la présidence des Etats-Unis, que l’aide publique au développement est condamnée à très court terme.
Le rôle historique du président Bassirou Diomaye Faye
Fort du prestige que lui a conféré le combat victorieux du Pastef pour la conquête de la souveraineté du Sénégal, pour le panafricanisme et pour la restitution de la mémoire historique des Africains, Bassirou Diomaye Faye est légitime pour s’ériger en leader du combat pour la « réparation ».
Il s’agit d’une occasion historique pour lui de se signaler à l’attention de l’Afrique et du monde et de mettre à jour l’héritage des leaders historiques du panafricanisme.