DIOMAYE, PRÉSIDENT MALGRÉ LUI
Nombreuses sont les personnes qui disent être restées sur leur faim ou même très déçues, après avoir suivi l’entretien que le président Bassirou Diomaye Faye a accordé à des journalistes sénégalais
Nombreuses sont les personnes qui disent être restées sur leur faim ou même très déçues, après avoir suivi l’entretien que le président Bassirou Diomaye Faye a accordé à des journalistes sénégalais. L’exercice était très attendu, dans la mesure où il constituait la première sortie médiatique du nouveau chef de l’Etat. Il a sacrifié à la tradition de s’adresser aux médias pour tirer les enseignements des cent premiers jours de gouvernance et fixer un cap. Mais Bassirou Diomaye Faye n’a pas éclairé davantage la lanterne de ses compatriotes. Sans doute qu’il n’a pas été aidé par l’obséquiosité dont les journalistes n’ont cessé de faire montre durant tout l’entretien. Ils ont même poussé la courtoisie ou la bienséance, jusqu’à remercier Bassirou Diomaye Faye d’avoir préféré s’adresser en primeur aux médias nationaux. Quel est le chef d’Etat au monde qui a eu l’outrecuidance d’accorder sa première interview à des médias étrangers ? Notre consœur de la RTS, Fatou Sakho, qui distribuait la parole à l’occasion, a pu laisser croire que les questions étaient déjà convenues. C’est ce qui expliquerait peut-être qu’aucune question n’a été posée au président Bassirou Diomaye Faye sur sa perception du conflit irrédentiste en Casamance et les solutions qu’il préconiserait pour le régler. Cette question, une épine douloureuse dans le pied du Sénégal, reste le plus durable conflit armé au monde, avec son lot macabre de victimes. Pour autant, elle demeure encore taboue pour le chef de l’Etat du Sénégal (voir notre chronique du 22 avril 2024).
Les silences radio du Président Faye
Cacherait-il son jeu ? On n’a aucune idée du calendrier de réformes institutionnelles que le chef de l’Etat envisagerait de conduire. Pourtant, il n’a pas échappé au public que lors du Conseil des ministres du mercredi 10 juillet 2024, le président de la République a évoqué «un agenda législatif qui doit viser une révision de la Constitution et des codes spécifiques». On ne saura donc pas l’échéance de la dissolution de l’Assemblée nationale et de la tenue, dans la foulée, d’élections législatives anticipées, même si le Président Faye souligne qu’il n’a pas encore pu tenir sa promesse de suppression du Conseil économique, social et environnemental (Cese) et du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct); parce qu’il ne dispose pas encore d’une majorité parlementaire pour procéder aux réformes constitutionnelles nécessaires. Exit la voie référendaire pour la réforme de la Constitution ? Il est difficile de ne pas croire que le président de la République joue sur le registre de la ruse, qui ne devrait d’ailleurs tromper personne. La dissolution de l’Assemblée nationale est une fatalité, car nul ne saurait envisager qu’un nouveau régime puisse continuer de se coltiner une Assemblée nationale de 165 députés, dans laquelle il ne compte pas plus de 40 d’entre eux qui lui sont affiliés ou favorables. C’est dire que le président Faye attend simplement d’arriver à l’échéance à laquelle la dissolution lui sera autorisée par la Constitution, pour signer le décret pertinent. Il se donnerait ainsi l’avantage de surprendre ses adversaires politiques qui ne seraient pas suffisamment préparés à des élections anticipées. En évitant soigneusement d’évoquer la perspective d’une dissolution, il s’épargne d’en rajouter à la colère des députés contre le Premier ministre Ousmane Sonko, qui a refusé de faire une Déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Les députés mécontents avaient, il faut le rappeler, brandi la menace de faire adopter une loi constitutionnelle qui priverait le président de la République de tout pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale. Bassirou Diomaye Faye tiendrait à apaiser la querelle entre son Premier ministre et l’Assemblée nationale. Mais il cherche laborieusement à justifier la posture indélicate de son Premier ministre et a, avec une maladresse sidérante, cautionné l’hérésie qu’il y aurait plus de qualité dans les débats si le Premier ministre Sonko faisait sa Déclaration de politique générale devant un jury populaire, composé d’experts, plutôt que devant les députés. L’autre incongruité aura été que le Président Faye semble s’entêter à ne pas trop daigner s’incliner devant la mémoire des centaines de jeunes migrants clandestins dont les corps ont été engloutis ou rejetés par les océans.
Quand le président se soumet à son Premier ministre
Bassirou Diomaye Faye a laissé son monde pantois, quand il préconise d’équilibrer les pouvoirs constitutionnels en transférant des pouvoirs du président de la République à un Premier ministre qui, du reste, est non élu par le Peuple. Il s’est montré si soumis à Ousmane Sonko qu’on ne pourrait pas trop le croire sincère. Il se déclare prêt à procéder aux réformes nécessaires : «Je lui ai dit que cela se fera quand il voudra.» Expliquant ses discussions pour apaiser la tension entre le Premier ministre et les députés, Bassirou Diomaye Faye a dit : «Le Premier ministre a levé le pied sur sa volonté de faire une déclaration devant une assemblée populaire, le 15 juillet 2024.Maynama ko »en wolof (que l’on peut traduire par : «il me l’a concédé» ou «il l’a accepté pour moi» ou encore «il m’en a fait la faveur»). Chacun appréciera la portée du propos.
Le président Faye est aussi prêt à lui céder son fauteuil ou à l’y installer à la première occasion. « J’encourage Ousmane Sonko à ne pas lorgner le fauteuil, mais à bien le regarder.» Le président Faye s’est employé à plaire à son Premier ministre. Il le dit dans sourciller et, avec désinvolture, ajoute qu’il a toujours travaillé pour que Ousmane Sonko occupe le fauteuil présidentiel et qu’il continuera de le faire. «Il est compétent pour la fonction. Il fait un excellent travail, formidable. Si j’ai pu faire un agenda international pareil, c’est parce qu’il est le meilleur Premier ministre du Sénégal.» Il tient néanmoins à souligner : «Le Premier ministre n’était pas mon ami. Seulement, avant notre sortie de prison, quand on nous a permis de nous asseoir ensemble, je lui ai suggéré qu’on devienne désormais des amis pour éviter d’être divisés par les gens. Nous étions partenaires dans un projet, en toute loyauté, mais nous n’étions pas des amis.» On ne sait plus qui croire entre le président et son Premier ministre, car Ousmane Sonko parlait de leur amitié légendaire au point qu’il lui avait trouvé un petit nom. Pour sa part, Bassirou Diomaye semble forcer les traits de cette relation d’amitié, jusqu’à la caricature, dans le moindre des détails, comme du genre : «Il est venu aujourd’hui chercher mon fils pour qu’il passe la journée chez lui» ; ou encore : «Après la réunion du Conseil des ministres, nous restons pendant plus de deux heures pour nous parler.» Le président français Emmanuel Macron revendiquait l’amitié de son Premier ministre Edouard Philippe, qui a répondu un jour : «Quand vous avez un président et un Premier ministre, leurs relations ne se placent pas sur le registre de l’amitié.» Au Sénégal, Abdou Diouf et Habib Thiam semblaient l’avoir compris de la sorte.
Le président Faye a fini par apparaître blasé, presque désintéressé par sa fonction. Il affirme ne courir derrière rien, ne revendique aucune préséance et n’a nullement la prétention de s’imposer, en quoi que ce soit. Une sorte de Roi d’Angleterre qui se passerait même de ce qu’on lui fasse la révérence. Franchement, n’eut été son embonpoint naissant, on aurait pensé que le président Faye commence à en avoir marre de tout ça. Même dans sa vie personnelle, il dit se suffire de presque rien et «vit heureux avec peu». Assurément, un tel paradigme ou principe de vie est aux antipodes de l’ambition de développer un pays et de créer des richesses pour ses populations. C’est ce qui expliquerait certainement que la politique économique et sociale du gouvernement tend à faire baisser les prix, pour faire réaliser quelques petites économies de bouts de chandelle aux ménages, plutôt que de créer une dynamique de faire gagner plus de revenus aux populations. Les personnes qui attendaient ou espéraient que le président de la République fixe un cap, définisse une politique économique et sociale claire, prendront encore leur mal en patience. Bassirou Diomaye Faye a même fait montre d’une circonspection étonnante quant au fameux «Projet», référentiel de politiques économiques, toujours vanté et qui s’est révélé être une chimère. Pour une fois, Bassirou Diomaye Faye n’a pas prononcé ce vocable devenu le générique de Pastef. On retiendra que sa politique économique consistera à lever des ressources intérieures par la fiscalité. C’est sans doute une bonne approche, d’autant que la fiscalité constitue un instrument de politique économique essentiel qu’il faudrait manier avec dextérité et prudence, car en la matière «les taux tuent les totaux».
Lapsus ou mauvaise conscience ?
Le choix porté en la personne d'Abdoulaye Bathily, désigné comme «Envoyé spécial» pour mener une médiation entre la Cedeao et les pays de l’Alliance des Etats du Sahel, en rupture de ban avec l’organisation communautaire, semble être judicieux. Bathily a la réputation, l’entregent et le carnet d’adresses nécessaires pour réussir une telle mission. Mais la question de la déclaration de patrimoine semble constituer une hantise pour le nouveau président de la République. Il a buté sur l’expression de «Déclaration de politique générale», plusieurs fois, en prononçant en lieu et place celle de «déclaration de patrimoine». Un lapsus révélateur dirait-on. Le parterre d’intervieweurs ne pouvait donc plus s’épargner de lui demander la publication de sa déclaration de patrimoine. Dans ces colonnes, on le défiait, ainsi que son Premier ministre, de publier leur déclaration de patrimoine («Diomaye-Sonko, osez montrer vos biens», 8 juillet 2024). Bassirou Diomaye Faye, visiblement embarrassé par l’interpellation, renvoie tout bonnement la responsabilité de la publication au Conseil constitutionnel. Il n’est pas sans savoir que le Conseil constitutionnel n’a jamais pris sur lui de publier les déclarations de patrimoine. L’institution a toujours laissé le soin aux impétrants présidents de la République de le faire, de leur propre gré. Pourquoi devra-t-elle faire avec Bassirou Diomaye Faye ce qu’elle n’avait pas fait avec Macky Sall ou Abdoulaye Wade ? On ne saura donc pas à combien s’évalue le patrimoine de Bassirou Diomaye Faye et sa composition. Ainsi, le chef de l’Etat peut s’autoriser, sans trop de risques, de s’indigner que des hectares de terres aient pu être donnés à Mbour IV à des personnes, feignant d’oublier que dans une publication de son patrimoine (exercice auquel il n’était pas obligé), faite avant l’élection présidentielle, il avait laissé constater qu’il était bénéficiaire d’attributions de plusieurs hectares de terres dans la même région. Nul n’est dupe : si Bassirou Diomaye Faye veut tenir sa promesse, il n’a qu’à prendre sur lui de publier sa déclaration de patrimoine.
En outre, Bassirou Diomaye Faye, sans l’air d’y toucher, n’a pas manqué de se défausser sur son prédécesseur, Macky Sall. Il a notamment indiqué qu’il n’a pas trouvé sur place les attributions budgétaires relatives aux fonds politiques. Voudrait-il parler de la dotation du premier trimestre 2024 ou de la totalité du budget annuel ? La clarification est indispensable, d’autant que dès son installation, le gouvernement s’était félicité du respect scrupuleux par le gouvernement précédent, des taux d’exécution budgétaire au premier trimestre de l’année. Selon le rapport d’exécution budgétaire pour le premier trimestre de l’année 2024, publié par le ministère des Finances et du budget, «les dépenses du Budget de l’Etat (base ordonnancement) sont réalisées à hauteur de 1358, 71 milliards de francs CFA, représentant 24, 30% des crédits ouverts au 31 mars 2024». Le paradoxe restera, qu’après avoir déclaré n’avoir pas trouvé les crédits des fonds politiques sur place, le président Faye a essayé de justifier la pertinence ou la nécessité d’un tel chapitre de dotation financière en invoquant des prises en charge sociales qu’il a déjà consenties. Avec quels crédits alors a-t-il pu réaliser de telles largesses ? On rappellera que Macky Sall avait sorti la même vanne contre son prédécesseur Abdoulaye Wade, affirmant n’avoir pas trouvé de fonds politiques disponibles. C’était le 28 juin 2012 à Ziguinchor, à l’occasion d’une conférence de presse à l’intention des médias nationaux, pour faire le bilan de ses cent premiers jours à la tête du Sénégal. Sans doute que les situations économiques et financières n’étaient pas les mêmes car à la Présidentielle, Abdoulaye Wade disait à qui voulait l’entendre que les caisses de l’Etat étaient vides et que s’il n’était pas réélu, les salaires des fonctionnaires ne seraient pas payés à la fin du mois d’avril 2012. A tous ceux qui se faisaient du mauvais sang, quant au séjour prolongé et coûteux du chef de l’Etat à l’hôtel, depuis son élection, Bassirou Diomaye Faye a précisé qu’il a fini par rejoindre le Palais présidentiel à la fin du mois de juin 2024.Il n’était resté à l’hôtel que parce qu’il avait besoin de faire procéder à certains travaux pour adapter le Palais à sa propre condition de vie sociale et que son domicile privé n’offrait pas les garanties de sécurité suffisantes. Comparaison n’est pas raison, mais Abdoulaye Wade et Macky Sall continuaient de loger dans leurs domiciles privés, le temps nécessaire pour réaliser des travaux au Palais. Ils habitent le même quartier que Bassirou Diomaye Faye. Dites-donc, c’est ce petit coin bourgeois, Fann-Mermoz-Point E, qui nous fournit toujours des chefs d’Etat ?