DIOMAYE RÈGNE, SONKO GOUVERNE
Cet esprit de primauté du parti sur la patrie rend le Premier ministre otage de ses affidés et par la même occasion, fragilise le président de la République
Le dimanche 5 janvier 2025, dans la nuit, Ousmane Sonko, Premier ministre et président du parti Pastef, s’est senti obligé de se présenter devant ses militants pour s’expliquer sur les nominations des nouveaux membres Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra). Notamment la très controversée nomination d'Aoua Bocar Ly-Tall. Lors d’un live sur Facebook, pour éclairer sur les motivations de cette décision et apaiser les tensions, il a rejeté toute interprétation politisée de cette nomination : «Le président de la République m’a soumis cette proposition, et je n’y ai décelé aucune anomalie. Si certains pensent que nous identifions tous nos détracteurs, ils se trompent. Le président de la République n’a jamais pris la défense de ceux qui étaient là pour insulter Ousmane Sonko.» Pour lui, l’intérêt général doit primer sur les rivalités personnelles. «Les Sénégalais doivent comprendre que le président de la République est au service de tous les citoyens, sans distinction. Il est impératif que les menaces cessent. Etre patriote ne donne pas le droit de dire tout et n’importe quoi», a estimé le leader de Pastef, non sans souligner qu’il n’y a pas «plus patriote que Bassirou Diomaye Faye qui a fait la prison pour (le) défendre».
Pour faire simple, ce sont des «Pastéfiens» qui attaquent Pastef et c’est le leader, en vrai gourou, qui apaise ses partisans. C’est du «eux dans eux». Normalement, cela ne devrait nullement valoir une ligne, mais dès l’instant que cela touche à la République, cela devient une affaire sérieuse qui mérite qu’on y prête attention. En effet, nous voici dans une nouvelle manifestation de ce que Alioune Tine appelle «l’Etat pastéfien», cette démarche qui voudrait que les intérêts d’une association privée soient au-dessus de République et de l’intérêt général. «De mon point de vue, après avoir assisté à ce qu’on peut appeler un Etat agressif, nous n’avons pas l’impression d’avoir tourné la page de l’Etat-partisan. On a l’impression qu’il se met en place petit à petit un Etat «pastéfien»», avertissait Tine le 7 juin 2024.
Cet esprit de primauté du parti sur la Patrie rend Ousmane Sonko otage de ses affidés et par la même occasion fragilise le président de la République. Que des militants ou même des citoyens trouvent quelque chose à dire sur des nominations, c’est normal et même acceptable en démocratie. Mais que le chef du gouvernement se sente obligé de s’expliquer, ne met pas celui-ci à la hauteur de la fonction qu’il occupe. Car il n’a pas le recul nécessaire pour apprécier les situations. Il a la chance d’avoir une meute qui ne jure que par lui et pour lui au point de voir certains parmi eux s’en prendre violemment au chef de l’Etat sans que cela ne déclenche chez le ministre de la Justice et le procureur de la République, les mécanismes habituels de protection de la clé de voûte des institutions.
Mieux, en disant : «le président de la République m’a soumis cette proposition, et je n’y ai décelé aucune anomalie», Sonko confirme à nouveau Aliou Tine qui prévenait aussi sur «l’inversion qu’il y a au niveau de la hiérarchie du parti au pouvoir (Pastef)…», mais fait arracher les cheveux aux juristes quant au sens à donner à l’article 44 de la Constitution («Le président de la République nomme aux emplois civils»). En effet, le président de la République peut consulter ses collaborateurs, notamment le Premier ministre, sur les nominations qu’il veut faire. Sonko aurait dû dire «le Président m’a consulté …».
Ce lapsus (ou propos fait à dessein) ne fait que confirmer là où se trouve le centre de décisions actuellement au Sénégal en dépit des dénégations. Diomaye règne, Sonko gouverne.
Et il gouverne en s’arrogeant des pouvoirs du président de la République, et même ceux de ses ministres. Et le communiqué du Conseil des ministres du 8 janvier dernier indique que le chef du gouvernement veut se donner le pouvoir de valider désormais toutes les dépenses d’investissement. A ce jour, c’est une mission qui revenait au ministre des Finances, Ordonnateur principal des dépenses et des recettes de l’Etat. Or, ce dernier est sous l’autorité directe du chef de l’Etat, tout comme les ministres des Affaires étrangères ou de la Justice. Tout ce monde a vu le Premier ministre empiéter sur leurs prérogatives.
«Le Premier ministre a décidé que toutes les dépenses d’investissement seront validées à son niveau. Un tableau prévisionnel des opérations financières de l’Etat sera soumis par quinzaine», lit-on dans ledit communiqué qui ajoute que Sonko est «soucieux d’une exécution efficace des politiques publiques», surtout concernant le suivi et l’évaluation des projets «découlant des 26 objectifs stratégiques et des réformes du plan quinquennal 2025-2029». Il s’agit de ne pas oublier que «la rationalisation, la priorisation et l’efficience dans l’utilisation des ressources publiques restent un enjeu majeur pour le gouvernement». Qui trop embrasse mal étreint, dit l’adage.
L’on se rappelle la chanson de Talla Sylla au début des années 2000 sur le président Abdoulaye Wade, caricaturé comme un chauffeur de «Car rapide» qui conduit, encaisse les passagers et même change des écrous. Nous n’en sommes pas loin en tout cas.
Alioune Sall, symbole de l’inaptocratie
Pouvait-il en être autrement ? Nous nageons en plein dans l’inaptocratie, ou ineptocratie. C’est ce système de gouvernement dans lequel les moins capables de gouverner sont élus par les moins capables de produire. Les électeurs sont les autres membres de la société les moins aptes à subvenir à eux-mêmes ou à réussir. Les inaptes sont récompensés par des biens et des services qui ont été payés par la confiscation de la richesse et du travail d’un nombre de producteurs en diminution continuelle. Et le ministre de la Communication semble en être la parfaite illustration. Le ministre de la Communication, c’est une calamité pour tous les secteurs dont il a la charge. La démarche classique, c’est que ce sont les acteurs qui amènent des problèmes et le ministre trouve des solutions. L’autorité publique règle les problèmes du secteur. Mais nous voici en face d’un ministre qui créée des problèmes sur du faux.
Sur l’aide à la presse, il a sciemment présenté les choses de façon à donner aux médias une image de suceurs des deniers publics. Lors de sa conférence de presse en août dernier, il avait présenté la rubrique «Autres » dans l’aide à la presse de façon très manipulatrice pour laisser entendre que c’est une nébuleuse, en oubliant de dire que dans celle-ci il y a le financement des formations des journalistes, le budget des associations telles que le Cored, ou les subventions aux 200 radios communautaires qui foisonnent dans tout le pays.
Quelques jours plus tard, le voici qui ouvre un nouveau front avec les médias, avec cette histoire de reconnaissance des organes de presse. Laquelle reconnaissance s’est faite en violation du Code de la presse sur lequel il a pourtant voulu s’appuyer pour effectuer ce travail digne de Goebbels. Le parallèle entre Goebbels et Pastef est troublant, non pas en raison d’une similitude absolue des contextes ou des idéologies, mais par des méthodes communes de manipulation et de contrôle de l’information.
En contrôlant les médias, en limitant la liberté de la presse et en renforçant une rhétorique divisive, le régime actuel risque de fragiliser encore davantage une société déjà marquée par des tensions profondes. L’histoire enseigne que la manipulation de l’information et la marginalisation des voix discordantes sont les premiers signes d’une démocratie en péril. Les médias, lorsqu’ils deviennent des instruments de propagande, perdent leur rôle fondamental de contre-pouvoir. Ce fut le cas en Allemagne nazie, où la propagande de Goebbels a permis de justifier les pires abus. Ce risque guette aujourd’hui le Sénégal.
Vient ensuite la nomination des membres du Conseil national de régulation de l’audiovisuel (Cnra) pendant que les professionnels de l’information attendaient la mise en place de la Haute Autorité de Régulation de la Communication audiovisuelle (Harca), conformément aux textes pertinents du nouveau Code de la presse, tout en respectant les critères objectifs de nomination. Le «jub, jubal, jubanti» commence par le respect des lois en vigueur, sinon il reste un slogan creux.
Et Alioune Sall semble s’inscrire dans du «maa tey» dans toute sa démarche. Pour preuve, le Cdeps a dénoncé son exclusion de «l’avant-projet de la loi sur la publicité (…), tant dans sa phase d’élaboration que dans l’identification des acteurs du secteur». A l’instar du Cdeps, la Fédération des acteurs de la communication et de l’information du Sénégal (Facs) s’en est aussi prise aux façons de la tutelle, en commençant par son attitude «cavalière et non inclusive». Selon le Ben de la Facs, le ministre de la Communication traîne une autre faiblesse, à savoir «sa méconnaissance manifeste de la structuration du tissu des entreprises de presse du Sénégal majoritairement composé d’entreprises de type informel à l’image du reste du tissu économique sénégalais et l’absence de mesures d’accompagnement de ces entreprises vers la formalisation». On fait mieux quand on sait pourquoi on fait, mais Alioune Sall ne semble pas savoir où aller.
Outre le secteur des médias, les autres pans du ministère (Poste, télécommunications, Economie numérique,…) souffrent de la démarche cavalière d’un ministre sous l’emprise de son Conseiller Vieux Aïdara, sorte de Raspoutine à la sauce tropicale. D’ailleurs, l’on se demande, comme le journal L’Obs, comment se fait-il que ce contumax soit encore en liberté ? En 2015, dans le dossier concernant Karim Wade relativement à l’enrichissement illicite, Vieux Aïdara, exilé depuis 2012, avait été condamné par défaut à 10 ans de prison pour complicité d’enrichissement illicite.
Sûrement que le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, qui se veut chantre de l’application rigoureuse de la loi, « sans état d’âme », ne sait que Aïdara « mâchouille » l’oreille de son collègue. Mais ce qui est certain c’est qu’aucun régime qui veut opérer une rupture systémique ne devrait couvrir dans ses basques pareille personne. Quelles que soient ses idées et ses relations, un repris de justice reste un justiciable comme tout le monde et doit expier sa sentence dans sa globalité avant de prétendre à toute réhabilitation.