SENGHOR, DUC DE NORMANDIE
L’escalope normande et le Thiéboudiène sénégalais se marient bien pour donner un plat succulent. Néanmoins, l’absence de matérialisation de cette relation séculaire par un jumelage ou échanges culturelles interroge
Poète, Agrégé de grammaire, Docteur honoris causa de 37 universités dans le monde, chantre de la négritude, Léopold Sédar Senghor est le président africain le plus connu en France. De nombreuses rues et établissements scolaires (Collèges, Lycées) portent son nom. Son charisme, sa culture, ses positions avant-gardistes, notamment sur la civilisation de l’universel, l’ont mis au sommet de la pyramide en France.
Le vingtième anniversaire de sa mort a donné lieu à plusieurs cérémonies dans le pays de son vieil ami, Georges Pompidou, deuxième Président français de la cinquième République. La Normandie, sa terre d’adoption, où il est décédé à l’âge de 95 ans, a voulu lui rendre un hommage à la hauteur du grand homme qu’il était. Senghor avait embrassé la région normande et a fait de Vierzon, ville située en basse Normandie, à 90 Kilomètres de Rouen, «une annexe de Dakar».
Il y séjournait souvent avec sa femme Colette Hubert qui était originaire de cette bourgade. C’est en Normandie, qu’il écrivait ses poèmes et ses discours, parce que, selon ses proches, il voulait avoir une certaine distance avec l’Afrique. Senghor a conceptualisé la négritude avec Aimé Césaire, et a aussi inventé la «Normandité» en 1986, «désignée comme le caractère issu du métissage entre différents peuples celtiques et germaniques».
Le premier Président du Sénégal a toujours eu des relations particulières avec les travailleurs sénégalais installés dans cette région, à tel point, qu’il s’est démené avec le soutien de Jean Lecanuet, ancien candidat à la Présidence de la République et maire de Rouen, Pierre Lendemaine (qui deviendra Consul honoraire du Sénégal à Rouen) et Ahmed Ould Dada, ancien Président de la République Islamique de Mauritanie, pour accéder à la construction des foyers de migrants afin de loger dignement ces ouvriers qui travaillaient dans l’industrie automobile, la Chimie et le textile. Il inaugurera la «Résidence El hadj Omar», située au 71, rue du Renard, à Rouen, en 1974. Vingt ans après sa mort, la Mairie de Rouen a voulu marquer l’empreinte de Senghor dans sa commune.
La commune, représentée par Mamadou Saliou Diallo, conseiller municipal, qui a été, par ailleurs directeur du Foyer situé au 50 rue Stanislas Girardin, accompagné d’une forte délégation municipale, notamment de Sileymane Sow, adjoint au maire chargé des relations internationales et d’autres élus de la municipalité. La députée, originaire du Sénégal, Sira Sylla, était présente également. Ils ont tous montré que Senghor était aussi rouennais et qu’il demeure encore dans l’inconscient collectif des citoyens de cette ville. Un de ses poèmes a été lu par Diallo Coulibaly qui connait très bien l’histoire des foyers qui s’appelaient : «Abri des travailleurs Sénégalais et Mauritaniens».
Etudiant, il a été aussi présent lors des rencontres entre le premier Président du Sénégal et ses compatriotes. La presse écrite et audiovisuelle s’était mobilisée pour donner une visibilité à ce moment solennel. En effet, depuis le 20 décembre 2021, la résidence située au 50, rue Stanislas Girardin porte officiellement le nom de Léopold Sédar Senghor. Une plaque descriptive de son parcours, y a été également installée. Nous pouvons dire encore que Senghor avait eu raison de parler de la civilisation de l’universel. En effet, ce foyer qui accueillait uniquement des sénégalais et mauritaniens, est désormais ouvert au monde. Il est devenu une résidence sociale et ses locataires sont originaires de différents pays : sénégalais, mauritaniens, soudanais, syriens, etc.
La mixité culturelle, chère à Senghor, a pris vie dans ce foyer de 149 chambres. Cette résidence gérée par ADOMA accueille également une association de chantiers d’insertion, dirigée par Djibril Soumaré et présidée par Djiby Diakité, qui emploie une vingtaine de personnes et concocte des plats (Thieb, Mafé, Yassé, etc .)
L’escalope normande et le Thiéboudiène sénégalais, (qui vient d’être inscrit au patrimoine immatérielle de l’humanité, par l’UNESCO), se marient bien pour donner un plat succulent. Néanmoins, l’absence de matérialisation de cette relation séculaire par un jumelage ou échanges culturelles interroge. Nous pouvons dire que le Sénégal a marqué définitivement son empreinte dans la ville aux cent clochers et feu Senghor pourrait prendre le titre : «Duc de Normandie».