LA CHINE PEUT-ELLE REMPLACER L'OCCIDENT AU SAHEL ?
Alors que la France perd rapidement son influence dans la région du Sahel en Afrique de l'Ouest et qu'un un président américain imprévisible est au pouvoir, la Chine pourra t-elle combler le vide ?

Alors que la France perd rapidement son influence dans la région du Sahel en Afrique de l'Ouest et qu'un un président américain imprévisible est au pouvoir, la Chine pourra t-elle combler le vide ?
La région du Sahel couvre 10 pays : Burkina Faso, Cameroun, Gambie, Guinée, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal et Tchad. Les troupes françaises ont été expulsées dans trois d'entre eux - le Mali, le Burkina Faso et le Niger - à la suite de coups d'État militaires. Le Tchad, le Sénégal et la Côte d'Ivoire ont également mis fin à la présence militaire française.
Les troupes étaient présentes en raison de la menace sécuritaire posée par des groupes extrémistes tels que Boko Haram et la Province de l'Afrique de l'Ouest de l'État islamique.
Le Niger a aussi dénoncé un accord permettant le maintien d’environ 1 000 soldats américains engagés dans une mission de lutte contre le terrorisme, reprochant aux ÉtatsUnis une attitude « condescendante ».
Bien qu'il ait été justfifié que la présence des puissances occidentales n'a pas résolu les défis sécuritaires de la région, leur retrait crée un vide.
Je suis un chercheur en sciences politiques et en relations internationales qui étudie. les relations sino-africaines depuis plus de dix ans.
Je soutiens que Pékin pourrait tirer parti du vide au Sahel d'au moins trois manières : en augmentant ses investissements dans les minerais critiques ; en résolvant la crise de la Cedeao (due par la sortie du Niger, du Burkina Faso et du Mali du bloc régional) ; et en augmentant ses ventes d'armes.
Cela est d'autant plus vrai que la Chine n'est pas étrangère dans la région du Sahel. Par exemple, elle finance la construction du siège de la CEDEAO à Abuja, au Nigeria pour un montant de 32 millions de dollars US.
Trois avantages pour la Chine
Premièrement, la Chine pourrait étendre son influence, et les quatre prochaines années offrent d'énormes opportunités à cet égard.
L'approche transactionnelle et imprévisible que pourrait adopter Donald Trump en matière de relations internationales pourrait forcer les pays africains à se tourner vers la Chine. Par exemple, ils pourraient avoir besoin de l'aide de la Chine pour combler le vide créé par la décision des États-Unis de démanteler l'USAID et de geler l'aide internationale au développement.
Le Nigeria a rejoint le Brics en tant que pays partenaire quelques jours avant l'investiture de Trump. Le Brics est un groupe d'économies émergentes déterminées à faire contrepoids à l'Occident et à réduire l'influence des institutions mondiales. Il a été créé en 2006 et était initialement composé du Brésil, de la Russie, de l'Inde et de la Chine. Cette décision de la plus grande économie du Sahel est l'expression de son engagement envers la Chine. Elle pourrait avoir des répercussions sur d’autres pays sahéliens.
Ce vide offre à Pékin l'opportunité de renforcer ses investissements et sa position de premier bénéficiaire des minerais essentiels, tels que l'or, le cuivre, le lithium et l'uranium, dans la région du Sahel.
En 2024, la production d'or en Afrique de l'Ouest était estimée à 11,83 millions d'onces. Le Ghana, le Burkina Faso, la République de Guinée et le Mali étaient les principaux contributeurs.
Deuxièmement, la Chine est dans une position unique pour jouer un rôle dans la résolution de la crise de la Cedeao.
Suite aux coups d'État militaires, la Cedeao a sanctionné le Mali, le Burkina Faso et le Niger. La Cedeao a même menacé le Niger d'une invasion militaire. En réaction, les trois pays ont décidé de quitter la Cedeao pour former l'Alliance des États du Sahel.
En tant qu'acteur neutre dont la politique de non-ingérence s'applique aussi bien aux régimes civils que militaires, Pékin est en mesure de faire négocier la Cedeao et l'Alliance des États du Sahel avant la date de départ définitif du 29 juillet 2025.
Si elle réussit, la Chine ressemblerait davantage à une puissance pacifique, une image contestée par d'autres.
En s'appuyant sur ses projets de soft power comme les Instituts Confucius et les bourses d'études, la Chine pourrait se présenter comme le « sauveur » de l'intégration de la Cedeao.
A l’image de son soutien au projet ferroviaire Tazara qui a permis à la Tanzanie et à la Zambie de se doter d’une ligne ferroviaire, alors que les ÉtatsUnis et l’Europe étaient soit réticents, soit absents.
Troisièmement, il y a les ventes d'armes chinoises.
Les armes chinoises sont déjà présentes au Sahel. En 2019, le Nigeria a signé un contrat de 152 millions de dollars avec la China North Industries Corporation Limited (Norinco) pour acquérir des équipements militaires destinés à la lutte contre Boko Haram. Depuis lors, les drones et autres équipements chinois sont devenus un élément clé de la stratégie nigériane de contre-terrorisme.
Le retrait des pays occidentaux du Sahel pourrait donner un nouvel élan au marché des armes chinoises. En effet, ces pays seront probablement réticents à vendre des armes aux États sahéliens qui ont expulsé leurs forces.
Les sanctions contre la Russie ont également augmenté la probabilité de voir des armes chinoises dans le Sahel.
Par exemple, quelques mois après le départ de la France et des États-Unis de la région, certains rapports ont suggéré que des mercenaires russes dans la région du Sahel utilisaient des armes chinoises. Norinco, le premier fabricant d'armes de Chine et le septième fournisseur d'armes au monde, a ouvert des bureaux de vente au Nigeria et au Sénégal.
En juin 2024, le Burkina Faso a reçu 100 chars d'assaut de la Chine. Trois mois plus tard, le Mali a signé un accord avec Norinco pour renforcer sa lutte contre le terrorisme.
Une route semée d'embûches
Le principe de non-ingérence de la Chine peut convenir aux gouvernements civils et militaires du Sahel. Cet atout stratégique peut lui être bénéfique à certains égards, mais il comporte aussi des risques imprévus.
Les intérêts locaux dans la région sont souvent divergents, et l'implication croissante de Pékin pourrait être perçu – à tort ou à raison – comme un soutien à l’un des camps au détriment des autres. Cela pourrait exposer les intérêts chinois comme cibles potentielles.
Il reste incertain que la Chine ait la capacité ou la volonté de combler entièrement le vide laissé par les puissances occidentales évincées. Toutefois, à court terme, Pékin semble bien positionné pour tirer profit de la situation au Sahel.