LA FIN DU PLAFOND DE VERRE DES PRIX LITTÉRAIRES ?
Tous ceux qui ont lu et rendu compte de La Plus Sécrète Mémoire des hommes ont omis de signaler que le roman est coédité par Jimsaan au Sénégal. Ce détail interpelle. Il préfigure peut-être l’avenir de la vie littéraire sur le continent
Du Nobel au Goncourt en passant par le Booker Prize, les écrivains africains ont franchi une étape importante en 2021. Il faut désormais poser les bases d’une véritable politique culturelle continentale.
Nous le savons tous : notre littérature comme notre économie est extravertie. Voilà pourquoi l’on doit se réjouir de cette moisson littéraire inespérée, que vient de récolter notre continent.
Célébrons en premier lieu, l’auteure du Parlement conjugal, la Mozambicaine Paulina Chiziane, lauréate du prix international Camões.
Cette distinction détone pour trois raisons. D’abord, le statut littéraire du Mozambique au sein du continent : excepté Mia Couto, peu de ses écrivains ont réussi à franchir la frontière francophone. Ensuite, le symbole que représente la lauréate : c’est la première fois dans l’espace lusophone qu’une femme reçoit ce prix décerné par la fondation de la bibliothèque nationale du Portugal et le ministère brésilien de la Culture. Enfin, le statut de l’écrivaine qui, à l’instar de la Cap-Verdienne Cesaria Evora, vient de ce que Pierre Michon appelle « une vie minuscule ». Paulina Chiziane n’est pas Chimamanda Ngozi Adichie ni Leonora Miano. Mais son sacre couronne l’ascension fulgurante des romancières africaines au cours de cette décennie. C’est ici l’occasion de regretter la disparition brutale d’un phare, Yvonne Vera.
Anomalie littéraire
Le Nobel a été décerné au Tanzanien Abdulrazack Gurna. Si les cinq lauréats africains de ce graal littéraire sont arabophone – l’Égyptien Naguib Mahfouz – ou anglophones – les Sud-Africains John Maxwell Coetzee et Nadine Gordimer, le Nigérian Wole Soyinka, et Gurna –, l’Afrique francophone n’a pas démérité. La poésie de Tchicaya U Tam’si, malheureux finaliste en 1986 contre Soyinka, aurait mérité le Nobel tout comme l’œuvre romanesque de Ahmadou Kourouma ou de Amadou Hampâté Bâ. Et je ne mentionne même pas ici les Martiniquais Aimé Césaire et Édouard Glissant. Cette anomalie littéraire, qui, je l’espère, pourra être corrigée un jour, invite à l’introspection.