LA LEÇON DE CHEIKH ANTA DIOP AUX DIRIGEANTS AFRICAINS
S’il n’est pas donné à n’importe qui d’avoir le savoir encyclopédique qui était le sien, il est à la portée de tout un chacun de s’inspirer des qualités dont il a fait montre tout au long de sa carrière politique et de sa brillante vie
Après avoir visionné Kemtiyu, le film-documentaire d’Ousmane William Mbaye retraçant la vie et l’œuvre du Professeur Cheikh Anta Diop, beaucoup de choses me sont passées par la tête. Mais, outre le savoir multidimensionnel de l’homme, ce qui a attiré mon attention le plus, c’est son courage, sa pugnacité et sa foi en ses convictions.
S’il n’est pas donné à n’importe qui d’avoir le savoir encyclopédique qui était le sien, il est à la portée de tout un chacun de s’inspirer des qualités dont il a fait montre tout au long de sa carrière politique et de sa brillante vie en tant que savant-chercheur : dignité, patriotisme, humilité, constance dans les convictions et ouverture aux critiques, fussent-elles désobligeantes. Ces qualités sont d’autant plus nécessaires dans le contexte sociopolitique actuel de notre pays que certains de nos hommes politiques et intellectuels sont comme des girouettes qui tournent au gré des vents des alternances. Arrogants, réfractaires à la contradiction, ils sont prêts à brader dignité et honneur à de vils prix. Loin d’être patriotes, ils ne sont mus que par leurs intérêts personnels et pécuniaires. Dès lors, leurs convictions sont aussi monnayables que des objets en vente aux enchères. Par conséquent, devant le parti le plus offrant, ils n’hésitent pas à tourner casaque.
Cheikh Anta Diop a été tout le contraire de cela. Par ses prises de position et ses engagements, il a démontré que le rôle de l’intellectuel et de l’homme politique n’est pas de se ranger du côté de la facilité, du confort du pouvoir et des forts…mais de défendre la dignité humaine, la justice et les causes nobles quel qu’en soit le prix. Il en a parfois fait les frais en passant par exemple quelques jours à la prison de Diourbel pour des vétilles. Il a aussi été laissé en rade et « confiné » à son laboratoire de l’IFAN par les sous-fifres d’un gouvernement hostile qui obéissaient à la France au doigt et à l’œil. Pendant cette période, il gagnait moins qu’un assistant à l’Université qui porte aujourd’hui son nom (témoignage du professeur Assane Seck à qui il avait montré un jour son bulletin de salaire). Pourtant, il était resté tout droit dans ses convictions et n’avait jamais fait de compromissions avec ceux qui étaient au pouvoir. Il aurait pu le faire, s’il ne cherchait que l’argent et les honneurs. Car on lui avait proposé à plusieurs reprises un poste de ministre. Mais tant que les conditions qu’il posait n’étaient pas respectées, il déclinait toujours l’offre. S’il avait mis ces convictions-là et son patriotisme de côté, il aurait certainement baigné dans l’or toute sa vie en acceptant un poste au gouvernement ou en monnayant son savoir hors de son pays natal ou même en évitant d’aborder certains sujets qui lui avaient valu les nombreuses attaques de beaucoup d’intellectuels faussaires au service de certaines idéologies. Il avait préféré plutôt combattre pour la vérité, car ayant compris très tôt que le savoir ne doit pas se prosterner devant le pouvoir; que le clinquant du monde disparaîtra un jour et emportera avec lui celui qui en a fait son veau d’or ; qu’il fallait laisser de très bons enseignements à la postérité. Ce qui a rendu parfois sa vie difficile. Par des mots à peine couverts, un de ces enfants, en l’occurrence Massamba Diop, dit dans le film-documentaire que sa famille éprouvait parfois des problèmes financiers. Mais elle tenait le coup dans la dignité.
Cheikh Anta Diop n’est pas mort riche, mais il a laissé à l’humanité un héritage enrichissant. S’il est célébré aujourd’hui à travers le monde, c’est tant pour son savoir que pour sa constance et son intransigeance dans les convictions qu’il a défendues jusqu’à sa mort. S’il s’était mis au service de quelque idéologie perverse ou d’une cause dénuée de noblesse, on n’aurait retenu de lui que son travail intellectuel. Mais il a enseigné aussi bien par le verbe que par l’action. Cette pensée de Benjamin Franklin lui va bien comme un gant : « Si vous ne voulez pas qu’on vous oublie, le jour ou vous serez mort et pourri, écrivez des choses qui valent la peine d’être lues, ou faites des choses qui valent la peine d’être écrites. » Il a réussi à faire les deux. Son nom restera alors dans les mémoires, tant il a marqué l’histoire. La flamme de sa gloire posthume ne vient que d’être allumée. Elle illuminera toute l’humanité très bientôt. Puisse le bon Dieu l’accueillir dans le plus haut des paradis.
Ndoye Bosse est auteur de : L’énigmatique clé sur l’immigration ; Une amitié, deux trajectoires ; La rançon de la facilité.