LA RESTRUCTURATION DE AIBD SA, UN ENGAGEMENT NATIONAL POUR L’EXCELLENCE
Une refonte complète du modèle économique et de gouvernance s'impose, avec des actions concrètes sur la fiscalité excessive, les monopoles d'établissement et les synergies insuffisantes entre AIBD SA et Air Sénégal SA

Notre pays le Sénégal, en tant que territoire en développement en Afrique de l’Ouest, a formulé dans le passé, plusieurs visions et stratégies économiques et politiques pour stimuler son développement et améliorer les conditions de vie de ses citoyens.
Aujourd’hui, une stratégie globale est poursuivie dans le cadre de la vision Sénégal 2050 pour transformer son économie, renforcer sa gouvernance et réformer ses secteurs clés pour maintenir encore une hypothétique position de leader dans le secteur aérien en Afrique de l’Ouest.
Contexte
L’État du Sénégal a affiché son ambition de positionner stratégiquement le Sénégal comme un hub aérien régional majeur et Dakar comme une escale technique préférentielle en Afrique de l’ouest.
Cette vision implique cependant, plusieurs initiatives et des étapes clés pour arriver à se positionner comme un hub aérien significatif en Afrique de l’Ouest :
- améliorer et développer les infrastructures existantes pour répondre aux standards internationaux ;
- augmenter le nombre de destinations accessibles en développant des partenariats avec des compagnies internationales pour de nouvelles lignes, de nouvelles connectivités et attirer plus de passagers en transit ;
- soutenir le développement de compagnies nationales robustes et compétitives, capables de desservir des liaisons locales, régionales et internationales ;
À ces points clés,
- veiller en collaboration avec l’Anacim, sur les aspects réglementaires de sécurité et de sureté aux normes internationales ;
- en plus d’investir dans des programmes de formation pour développer une main d’œuvre hautement qualifiée dans le secteur,
- encourager les partenariats entre le secteur public et secteur privé pour financer les projets d’infrastructures et d’innovation,
- tirer parti du hub aérien pour stimuler le secteur du Tourisme et attirer des investissements.
Cette vision doit également mobiliser le soutien gouvernemental avec une volonté politique pour la mise en œuvre de stratégies coordonnées visant à établir le Sénégal comme un point nodal du trafic aérien régional.
En tout état de cause, c’est sur la base d’une telle vision que d’importants investissements ont été consentis et des réformes engagées pour sa réalisation.
L’Aéroport International Blaise Diagne, AIBD SA représente dix (10) ans de travaux et plus de 600 millions d’euros, Air Sénégal SA, un Capital social initial de 40 Milliards XOF et autant en acquisition d’actifs et compensation de pertes d’exploitation.
Après huit (8) ans d’exploitation, malgré les réformes ayant sous tendu ces investissements colossaux, le saut qualitatif attendu n’est pas au rendez-vous et les résultats économiques et financiers affichés sont bien en deçà de ce que le Sénégal est en droit d’attendre.
AIBD SA et Air Sénégal SA, deux acteurs interdépendants, maillons centraux de la chaine de valeur où AIBD SA fournit l’infrastructure nécessaire à Air Sénégal SA pour son développement et Air Sénégal SA apporte le trafic nécessaire à AIBD pour sa croissance, sont ainsi devenus les maillons faibles du système aérien sénégalais.
Leur défaillance pourrait affecter durablement l’économie du secteur aérien et indirectement la viabilité de secteurs clés de l’économie nationale, comme le tourisme consubstantiel au transport aérien, mais aussi, l’accessibilité internationale, l’attractivité économique et la compétitivité territoriale du Sénégal.
Contexte spécifique
Certains indicateurs de performance notamment, ceux de novembre 2024 affichent un véritable effondrement du volume du trafic du fret aérien de 17,4%, de la quantité de mouvements d’aéronefs de 7,3% et du nombre de passagers de 4,6%, illustrant un secteur en perte de vitesse et en quête de relance.
Entre absence de performances économiques, difficultés financières, faible rentabilité, la restructuration devient nécessité pour assurer la viabilité à long terme. Restructurer pour encourager l’investissement et le développement durable du secteur, attirer plus de compagnies aériennes pour augmenter le trafic et compenser un marché aérien sénégalais non compétitif par rapport à ses voisins.
Malgré les efforts déployés, une grande partie du trafic aérien transite par quelques aéroports, en particulier ceux du Caire, de Johannesburg, de Casablanca et d’Addis-Abeba, de nombreuses autres routes ne sont pas ou peu desservies.
Le gouvernement, dans le cadre des politiques de rupture et d’assainissement des secteurs de croissance, a retenu la nécessité d’entreprendre la restructuration de ces opérateurs.
L’État dispose pour cela, de tous les leviers d’actions, en tant qu’actionnaire, concédant mais aussi, fournisseur de services de la navigation aérienne à travers l’ASECNA, superviseur et régulateur du système aérien à travers l’ANACIM, dépositaire des prérogatives d’autoriser les opérateurs, d’organiser le secteur et d’attribuer le ciel, les droits de trafic.
Problématique
Le transfert des opérations de l’aéroport Léopold Sédar Senghor vers l’aéroport International Blaise Diagne en 2017, n'a pas été l'occasion pour l’État du Sénégal de combler certaines défaillances structurelles pour bénéficier de plus de connectivité, de plus d’emplois et de croissance que permet le secteur en le réorganisant et l’alignant sur les objectifs nationaux de moyen et long terme, un impératif pour garantir sa résilience et sa croissance.
On s’est plutôt contenté de dupliquer les mêmes travers jadis observés à l’aéroport international Léopold Sédar Senghor.
Il en résulte une série d’adaptations opérées au fil des ans, en lieu et place de véritables restructurations, ce qui a engendré des insuffisances croisées rendant quasi-impossible leur compréhension et l’atteinte des objectifs assignés.
Alors que nos aéroports souffrent des mêmes handicaps et font tous face aux mêmes épreuves : insuffisance d’infrastructures, défauts de gestion et de gouvernance, utilisation sous-optimale des ressources, mauvaise planification induisant une faible rentabilité, le tout avec une connectivité limitée qui décourage les investissements directs étrangers et le tourisme à cause des couts d’exploitation élevés, des frais imposés aux compagnies qui réduisent la compétitivité et exacerbent une concurrence régionale, avec des hubs régionaux émergents qui détournent le trafic vers des aéroports mieux équipés ou mieux situés stratégiquement.
Facteurs de progrès
Il est donc crucial de promouvoir des partenariats PPP, améliorer la gestion et la gouvernance, encourager les politiques qui soutiennent le développement durable des infrastructures avec plus de coopération régionale pour améliorer la connectivité, et la compétitivité globale.
En termes d’infrastructures
La programmation de la mise à niveau de l’infrastructure (AIBD) s’impose par l’extension de l’aérogare Terminal passager, Terminal fret, Création d’une Zone de transit (hub), Création de hangar Cargo-fret, hangar abri avion, hangar de maintenance et une Zone technique.
En termes de mode de gestion
La privatisation de la gestion n’est pas la solution magique, pas plus que la concession ou la nationalisation, mais plutôt le choix d’une gouvernance d’entreprise qui fait la distinction entre l’actionnariat (l’État) et le management et dans laquelle le gouvernement définit la stratégie sur les sujets majeurs et au jour le jour, la direction composée de gens de métiers de l’aviation exécute les tâches de gestion. Procéder au rééquilibrage entre la société de patrimoine et celle de gestion et pourquoi pas consolider les deux missions.
En termes de fiscalité
Un réel handicap pour le transport aérien africain et pas seulement sénégalais et où le Sénégal s’illustre dans le top 10 des pays de l’Afrique de l’ouest et du centre aux redevances les plus élevés. Le régime des taxes et redevances plombe le coût des billets, influence la croissance du secteur et rend les vols hors de portée.
En termes de partenariats public-privé
Veiller à concilier davantage, les intérêts pas toujours convergents de l’État, du Partenaire technique et du Privé.
En termes de coûts d’exploitation
Veiller à l’effectivité des politiques de réduction de couts dans la gestion quotidienne ; les couts élevés associés au faible trafic de passagers entraînent des hausses de tarifs.
En termes de monopole d’établissement
Les situations de monopoles au niveau des plateformes aéroportuaires rendent les services inefficaces et contribuent fortement à obérer les coûts de production, alors que les retours sur investissement s’établissent à environ (-2,6%) pour la plupart de nos aéroports Ouest-africains et qu’en-dessous de 1 million de passagers, un aéroport n’atteint pas encore son seuil de rentabilité.
En termes de synergies AIBD SA-Air Sénégal sa
AIBD SA doit se concentrer sur sa capacité à construire un véritable hub capable de rivaliser avec ceux de l’Afrique de l’Est pas seulement d’Abidjan et de Lomé pendant qu’Air Sénégal SA travaille sur des stratégies d’alliances et à résoudre les problèmes de surcapacité.
AIBD SA doit travailler sur le tissu régional et le développement des aéroports secondaires pendant qu’Air Sénégal SA se transforme en un véritable levier de développement du tourisme au Sénégal et de la connectivité.
AIBD SA doit tendre vers « les aéroports de demain » avec des modèles économiques en réponse aux attentes des consommateurs et le besoin de nouvelles sources de revenu, en allant vers plus d’intégration avec ses partenaires aériens et non-aériens, en utilisant des technologies centrées sur le passager pour réduire les couts, améliorer l’expérience de voyage et accroitre la fidélité, en renforçant l’acceptation environnementale et sociétale.
AIBD SA doit intégrer des leviers d’actions clés, étendre ses services en renforçant et en digitalisant les commerces ; utiliser des systèmes d’incitation des compagnies, développer des partenariats sur mesure et des services réinventés.
Changer de méthode de développement des projets, du fait des budgets souvent déficitaires qui font peser leurs charges sur les compagnies aériennes qui les répercutent sur les prix des billets rendant les voyages plus onéreux, avec conséquences de baisser à terme, le trafic.
Enfin, AIBD SA doit tenter de répondre aux problématiques clés suivantes :
- Où en sont les aéroports du Sénégal par rapport aux plans stratégiques passés et à l’environnement du marché ? Quelle est la feuille de route stratégique de AIBD ? Quels axes stratégiques peuvent en être dérivés et comment les mettre en œuvre ?
- Dans quelles activités : commerces, aéronautiques, parking, immobilier, assistance, catering etc., les aéroports du Sénégal doivent- ils investir ? Comment les revenus des activités non-régulées doivent-ils être réinvestis ou réalloués ? Quelle stratégie d’investissement ?
- La structure de redevance actuelle est-elle compétitive par rapport aux autres aéroports de la région et hors région ? Quel est le positionnement des aéroports sénégalais en termes de taxes d’aéroport ? et l’ impact négatif potentiel sur le trafic. Quelle stratégie doit-être définie pour renégocier la structure des redevances ?
- Quelle est l’intensité de la relation entre AIBD et ses principales compagnies ? Quels sont les divers drivers du trafic des aéroports du Sénégal ? Les infrastructures des aéroports du Sénégal sont-elles adaptées aux perspectives d’évolution et les impacts en termes de revenus et d’investissements requis ?
- Comment aligner les intérêts de la compagnie nationale et ceux des aéroports du Sénégal (Air Sénégal SA et AIBD SA), quelle génération et quel partage de valeur ? en réponse à quelle stratégie et quelles ambitions de l’État ? Les directions de AIBD SA et celle de Air Sénégal SA, partagent-elles la même vision des enjeux et priorités ? quelle valeur ajoutée peut-être ciblée ? Sur quel support politique, Ministère ou Régulateur (ANACIM), les deux entreprises peuvent-elles compter pour collaborer ? Comment une structure commune de coopération peut-elle être mise en place et comment les actions communes peuvent-elles être améliorées à court termes ?
- Comment maintenir un positionnement attractif ? accroitre la fidélité des compagnies et des passagers ? Comment accroitre la consommation des passagers au sein de AIBD ? Comment équilibrer les baisses de revenus liés au trafic et les revenus complémentaires ? Comment améliorer l’efficacité et la performance aéroport en termes de gouvernance de chaque aéroport et gouvernance commune de tous les aéroports grâce à une organisation rationalisée ?
- Comment s’assurer que l’organisation de AIBD SA délivrera le plus haut niveau de service ? Comment améliorer la performance opérationnelle et les fonctions support pour plus de productivité et de gain de temps ? Comment réduire les couts tout en étant plus efficace ?
Mamadou Lamine Sow est spécialiste en transport aérien.