LA REVANCHE DES CONTEXTES AU SÉNÉGAL
Quand le système arrive au terme de ses prouesses, le changement devient alors un impératif social. On assiste à la fin d’un règne d’une l’oligarchie politique sénégalaise réputée pour son sentiment de prééminence qui lui fait voir de haut ses concitoyens
Appelé au choix de son devenir à travers l’élection présidentielle, la nation sénégalaise a montré une fois de plus sa maturité démocratique par les urnes. Face à son destin, le Sénégal a arraché sa souveraineté aux mains de ses oppresseurs au soir du 24 mars 2024. Choix ou sanction, l’élection présidentielle a été fortement marquée par une bipolarité de concepts. Rupture ou continuité, système ou antisystème, valeurs ou contre-valeurs, fixité ou changement, l’éclosion de la dualité s’est manifestée tout au cours de la campagne électorale sans nuance de compromis. Ces terminologies bicéphales relatives aux acteurs novices et ceux plus expérimentés en politique traduit la profonde distorsion des idéologies dans une société inégalement construite. Effectivement, l’élection présidentielle sénégalais du 24 mars 2024, plus une élection mais un référendum, met en exergue le vœu social du peuple à mettre fin aux pouvoirs et privilèges des classes dominantes.
Les concepts et postures des candidats ont joué un rôle fort important dans les résultats électoraux si l’on s’en tient aux premières tendances car entre dynamique et continuité, entre stabilité et bouleversement, le choix social était porté de gré sur le changement ou plutôt même sur une mutation complète de l’institution étatique.
En effet, la longue permanence de la société sénégalaise qui s’est imprégnée dans un système politique hérité de l’occident nécessitait un retour à l’endogénéité et appelait à une rupture des formes et pratiques politiques d’antan. D’ailleurs, G. Balandier explique en ce sens : « l’histoire présente devient le véritable révélateur de la réalité sociale. Elle montre des configurations sociales en mouvement et brise l’illusion de la longue permanence des sociétés ; celles-ci prennent davantage l’aspect d’une œuvre collective jamais achevée et toujours à refaire ». Pour ainsi dire que les sociétés se construisent dans les décombres des turbulences et que les inégalités sociales appellent toujours à une refonte globale du système social et des normes établies par les dominants. Quand le système arrive au terme de ses prouesses et que les normes ne traduisent plus la volonté collective, le changement devient alors un impératif social. Dans une telle perspective, il appert que l’élection présidentielle sénégalaise rend compte des différences sociales, des écarts différentiels existant entre les grands groupes sociaux privilégiés et les individus lambda qui en sont membres.
En conséquence, il est important de noter que la formation sociale des inégalités a toujours été décriée par une société dont les dirigeants minimisent son éveil. Ce revers historique dans les résultats de vote interroge sur la montée en puissance d’une jeunesse au bout de ses aspirations. Une jeunesse qui s’est constituée en mouvement de veille et d’éveil luttant pour l’historicité et la redéfinition complète de l’ossature socio-politique. Une lutte des classes entamée depuis l’apogée en politique du leader de Pastef Ousmane Sonko qui à travers ses discours a dépeint la complexité sociale du pouvoir et de sa gestion. Le vœu de changement de paradigmes exprimé par un peuple qui a souffert de l’indifférence de ses dirigeants relate le mal être profond que les Sénégalais ont vécu au sein du système de gouvernance républicaine.
Outre que la correction infligée au gouvernement, le score des autres candidats anachroniques comme Idrissa Seck et Khalifa Sall témoigne du fossé existant entre l’idéologie classique en politique et la vision moderne d’une jeunesse socialisée à débusquer toutes les gymnastiques ubuesques des acteurs politiques. Ces derniers doivent comprendre et saisir les dynamiques sociales et géopolitiques de leur milieu pour au moins continuer à peser sur l’échiquier politique ou même éviter de succomber politiquement car l’inertie vaut condamnation à l’effacement ou à la disparition en politique. On assiste à la fin d’un règne d’une l’oligarchie politique sénégalaise réputée pour son sentiment de prééminence qui lui fait voir de haut ses concitoyens.
Le rendez-vous du changement qui a été pris au soir du 24 Mars par la nation sénégalaise avec l’histoire atteste de son vœu de redynamisation, de réconciliation et de retissage des liens sociaux dans une société qui est profondément en crise socio-politique. L’émergence d’une nouvelle élite ayant souffert ensemble avec le bas peuple pourra probablement être source d’une nouvelle réorganisation et d’un nouveau reconditionnement de l’organisation des structures sociales sénégalaises. Ce changement de régime doit être en mesure d’établir une rupture avec la répartition inégale des droits, des pouvoirs, des richesses et de tous les autres avantages et désavantages entre les diverses fractions d'une population. Cela-dit, la reconstruction sociale d’un Sénégal nouveau ne peut se réaliser que si les élites politiques ont la capacité de s’ajuster aux circonstances, et aux modifications qui s’imposent à elles, menaçant le fonctionnement social ; les nouveaux acteurs politiques sont non seulement appelés à redéfinir un projet de société englobant toutes les couches sociales et à proposer une politique conventionnelle qui leur permet de s’adapter à la réalité controverse d’une société polémogène, déstructurée et incrustée de désespoir. Définitivement, l’ailleurs-meilleur doit être un pan de l’histoire que la jeunesse du pays va se remémorer car vous auriez apparemment décidé de faire du changement un vent nouveau afin de faire renaître l’espoir.
Alioune Dione est socio-anthropologue, auteur Afrique et Contemporanéité.