L’AMNISTIE: UN LEVIER DANGEREUX ET INUTILE
Acte du pouvoir législatif qui accorde le pardon aux auteurs d’un même délit de droit commun ou politique, l’amnistie est une institution grave qui anéantit les faits délictuels.
Depuis un certain temps, la piste de l’amnistie semble être privilégiée dans le landerneau politique sénégalais pour la réhabilitation des sieurs Khalifa Ababacar SALL et Karim Meïssa WADE dans leurs droits civiques et politiques. Mais avant de proférer un quelconque point de vue sur la question, arrêtons-nous un peu sur cette institution.
Acte du pouvoir législatif qui accorde le pardon aux auteurs d’un même délit de droit commun ou politique, l’amnistie est une institution grave qui anéantit les faits délictuels. Elle fait disparaître l’infraction, et, son auteur, supposé ne l’ayant jamais commise, est blanchi à jamais. De cette définition, on peut tirer deux observations majeures :
Tout d’abord sur le plan politique et social, en accordant le pardon au délinquant, l’amnistie contribue à apaiser le climat social et sociétal. Sociologiquement, nos sociétés sont par essence pardonneuses où la conciliation (maslaha) est érigée en mode de vie, mais, où également les gens sont beaucoup plus politiqueurs que travailleurs. Dans ces sociétés où la politique est une pratique permanente pour tous, où le train de vie se mesure à la politique, l’amnistie semble avoir tout son sens car elle œuvre à raccommoder le tissu social en rapprochant les cœurs et les esprits. Indéniablement, ici, l’amnistie a des vertus salvatrices parce que permettant à nos entités de fonctionner tant bien que mal malgré toutes les pesanteurs sociopolitiques.
Mais du point de vue économique, l’amnistie porte gravement atteinte aux intérêts de la société. En absolvant les grands voleurs dont regorgent nos administrations, elle encourage la délinquance économique et financière aux forts relents de campagnes d’émulation. Dans nos États où la reddition des comptes est utilisée à des fins de pérennisation au pouvoir, les citoyens arrachent leurs droits au forceps. La démocratie y est galvaudée, les principes de gouvernance sobre et vertueuse sont foulées aux pieds, la défense des droits et liberté, même constitutionnels, est bafouées, la liberté d’expression est quotidiennement violée notamment par des tentatives de musèlement de la presse. Dans ce sillage, le népotisme, le paternalisme, la gabegie, érigées en règle de gouvernance; la surfacturation, le gré à gré, monnaie courante en matière de passation des marchés publics; la protection et la préservation des intérêts des multinationales et les exonérations d’impôts, facteurs de spoliations financières et foncières; la promotion de professionnels de la politique incompétents; la chasse aux sorciers; l’acharnement sur les opposants et la reconversion de responsables cleptomanes à des fins de politique politicienne pour la conservation du pouvoir; la rivalité au blanchiment d’argent, et le refuge aux paradis fiscaux…;sont autant de faits qui incitent à l’impunité.
De l’indépendance à nos jours, le Sénégal a connu plusieurs lois d’amnistie (de Léopold Sédar SENGHOR à Abdoulaye WADE au moins trois lois d’amnistie ont été votées : respectivement en 1972 avec l’affaire Mamadou DIA, 1988 avec l’affaire Abdoulaye WADE et en 2005 la loi Ezzan avec l’affaire Me SEYE) qui ont fait perdre à l’État beaucoup de milliards
Quid alors du recouvrement des droits civiques et politiques de Khalifa Ababacar Sall et de Karim Meïssa Wade ?
La crainte c’est que le pouvoir pourrait être tenté de protéger par la loi d’amnistie des responsables cités dans des scandales financiers. C’est pourquoi il serait beaucoup plus sage d’éviter l’amnistie pour explorer la voie de la loi électorale. En effet, en révisant les articles L.29, L.30 et L.57 du code électoral sénégalais, on aiderait les sieurs SALL et WADE à retrouver leurs droits d’être électeur éligible dans la plus grande simplicité.
Au total, en accordant le pardon à ses filous, qui ne pensent qu’à s’enrichir aux dépens des honnêtes citoyens, l’amnistie paupérisent les populations en enlisant nos pays dans la pauvreté extrême savamment organisée et entretenue par des dirigeants véreux de sagesse très chétive. Nous vivons dans des pays pauvres très endettés (PPTE) qui ne sauraient accepter et encourager de telles pratiques qui nous dépouillent impunément de nos ressources. Nous devons alors changer de paradigmes en arrêtant net ces agissements ignobles et récupérer cette manne pour enfin financier notre envol économique et social.
Pr Abdoulaye BA
Enseignant-chercheur à l’UCAD
Email : baabdoulayeba64@gmail.com