LE FÉMINISME EST UN HUMANISME
Une nouvelle génération de féministes radicales émerge et celle-ci est rafraîchissante pour le courant progressiste sénégalais. Les égéries de cette offensive féministe savent que les libertés s’arrachent
Le sit-in du samedi 3 juillet dernier, à l’initiative d’un collectif de féministes sénégalaises, a été un acte salutaire. Ce type de manifestations est utile dans un contexte où les questions liées aux droits des femmes ne semblent être la priorité de beaucoup de nos élites politiques. A cela s’ajoute une indifférence du ministère en charge des droits des femmes, plus occupé à mobiliser des militantes pour le parti qu’à être à l’avant-garde pour faire bouger les lignes. L’Etat ne soutient pas assez les femmes dans leur combat pour l’égalité et la fin des discriminations dont elles souffrent dans notre pays. En Suède, en 2015, le gouvernement a distribué à chaque élève âgé de seize ans We should all be feminists, essai féministe mondialement connu de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie. C’est ainsi qu’on éduque toute une jeunesse, qu’on lui fait prendre conscience de la sacralité du principe d’égalité.
C’est à travers la décision politique qu’on fait avancer rapidement les causes progressistes. Mais les pressions des militants, de la société civile et de la presse ont un impact sur les lois qui régissent le fonctionnement des pays. Les manifestations à travers le monde sur le racisme, le climat, les politiques d’austérité, le libre-échange, les violences policières ont reconfiguré la manière de faire la politique dans de nombreux pays et permis des avancées. Chez nous, grâce au travail des années durant de mouvements féministes, l’Assemblée nationale a adopté trois lois majeures. Il y a eu la loi sur la parité de 2010, celle sur la possibilité pour la femme sénégalaise de transmettre sa nationalité à ses enfants ou à son mari en 2013, et celle sur la criminalisation du viol et de la pédophilie en 2020.
Des avancées, par la lutte pour davantage de droits et de libertés, sont possibles ; d’où l’intérêt de poursuivre la pression sur des sujets aussi difficiles que le genre et les questions y afférentes. Les sociétés sont rétives au changement, mais dans le long terme les luttes féministes vont déboucher sur des transformations radicales.
Je suis solidaire de toutes celles qui ont exprimé dans la rue leur colère contre la culture du viol, les violences basées sur le genre et les nombreuses oppressions dont sont victimes les femmes sénégalaises. Une nouvelle génération de féministes radicales émerge, et celle-ci est rafraîchissante pour le courant progressiste sénégalais. Les luttes actuelles pour les droits des femmes incombent à ce féminisme nouveau, qui utilise les codes de son époque malgré les sottes moqueries et les messages haineux qui représentent les spasmes de l’ancien monde et les résistances des hommes pour garder un contrôle sur le corps des femmes. Par une approche inter-sectionnelle des discriminations vis-à-vis des femmes, ces jeunes militantes s’érigent contre l’objectivation et l’infantilisation dans la représentation des femmes par les médias, contre les violences et les oppressions déshumanisantes. Elles ont aussi le rôle de lutter pour que chaque femme dispose librement de son corps et pour une élévation des consciences afin de bâtir une société de l’égalité.
Cette nouvelle génération de féministes est dépositaire d’un héritage issu d’une longue histoire de luttes féministes dans notre pays, avec entre autres Yeewu yewwi, mouvement né à gauche et incubé au sein d’And jef, dans la foulée de l’euphorie provoquée par Mai 68.
Les égéries de cette offensive féministe, Aminata Mbengue, Fatou Warkha Sambe, Maïmouna Yade, Aïcha Awa Ba, Gabrielle Kane, Aïda Niang savent que les libertés s’arrachent, face aux conservatismes et aux discours réactionnaires qui tentent une offensive intellectuelle et militante pour semer une terreur aujourd’hui intellectuelle (demain physique ?) auprès des militants progressistes, voire auprès des républicains.
Samedi, ces jeunes femmes étaient une trentaine, négligées, moquées, insultées par une certaine presse et par des gens biberonnés au patriarcat. Mais demain, ces femmes seront des milliers, des millions et vont bousculer l’ordre patriarcal établi. Elles imposeront une société nouvelle, consacrant la promesse de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui soutient que les êtres humains naissent libres et égaux. Parce qu’elle défend l’égalité, la justice et la dignité, le féminisme est un humanisme.
Avec toutes les initiatives partout dans le monde pour faire avancer la lutte pour les droits des femmes, plus rien ne sera comme avant, et les hommes assis sur leurs privilèges depuis des siècles ne résisteront pas au vent du changement. Pour une fois, les hommes doivent souffrir de se taire et écouter ces femmes prendre la parole.