LE G20 DOIT SE PENCHER SÉRIEUSEMENT SUR LA CRISE DE LA DETTE ET DU DÉVELOPPEMENT DE L'AFRIQUE
"Lorsque les gouvernements n'ont pas fait défaut sur leur dette extérieure, le service de la dette extérieure atteint des niveaux socialement insoutenables, car il dépasse souvent les dépenses publiques en matière de santé ou d'éducation."
2024 est une année symbolique à bien des égards pour les partisans d'une réforme économique mondiale. Elle marque le 80e anniversaire du système de Bretton Woods et le 50e anniversaire de l’agenda du Nouvel ordre économique international des Nations unies. Le sommet du G20 des 18 et 19 novembre, organisé par le Brésil, est tout aussi important. Après avoir obtenu le statut de membre permanent l'année dernière, l'Union africaine (UA) représentera le continent aux côtés de l'Afrique du Sud.
A l’instar des autres régions du Sud global, l'Afrique est confrontée à un certain nombre de chocs externes qui nécessitent une réponse multilatérale efficace qui a fait défaut jusqu'à présent. Les développements induits par les prêts agressifs de créanciers privés avides de rendements élevés, la pandémie de covid 19 et deux guerres majeures - l'une en Europe et l'autre au Moyen-Orient - ont plongé la plupart des pays du continent dans une crise d'endettement et de développement.
Lorsque les gouvernements n'ont pas fait défaut sur leur dette extérieure, le service de la dette extérieure atteint des niveaux socialement insoutenables, car il dépasse souvent les dépenses publiques en matière de santé ou d'éducation. Cette situation met non seulement en péril les efforts de développement déployés par les pays africains au cours des deux dernières décennies, mais elle retarde également les investissements urgents qui doivent être réalisés en termes d'adaptation aux - et d'atténuation des - effets déjà visibles des changements climatiques.
La récurrence des crises de la dette sur le continent n'est pas un hasard. C'est malheureusement une conséquence quasi inéluctable du fonctionnement du système monétaire et financier international.
Pour stimuler leur développement économique, les pays à revenu faible et moyen doivent avoir accès à des importations essentielles - machines, équipements, technologies, etc. - qu'ils doivent généralement acheter en devises fortes. En principe, dans une perspective développementaliste, la plupart d'entre eux devraient être des importateurs nets. Cependant, ces déficits commerciaux développementalistes, tels qu'ils ont été observés dans un pays comme la Corée du Sud au cours de son industrialisation, doivent ultimement être financés en augmentant la capacité à exporter et/ou en attirant des financements étrangers - aide, dette, investissements directs étrangers.
Les pays africains sont principalement des producteurs de matières premières et, en tant que tels, ils sont généralement handicapés par la volatilité des prix des matières premières. Ils souffrent également de la faiblesse des revenus associés à ces exportations en raison d'un système fiscal mondial asymétrique qui permet aux multinationales de rapatrier légalement des niveaux considérables de bénéfices et de dividendes et d'accroître davantage l'hémorragie financière subie par le continent par l'évasion et la fraude fiscales, la fausse facturation des échanges et d'autres pratiques frauduleuses.
Si les pays africains parvenaient à conserver au niveau national une part plus importante de leurs recettes d'exportation, ils pourraient se trouver dans une situation où leurs besoins de financement extérieur seraient réduits. Mais ce n'est souvent pas le cas. Pour ne rien arranger, ils souffrent d'une offre insuffisante de financement en devises étrangères destiné au développement. Avec le tarissement des financements concessionnels, les pays africains sont davantage exposés d’une part à des financements privés étrangers avec des coûts rendus encore plus élevés par le pouvoir incontrôlé des agences de notation et d’autre part à un modèle d'ajustement défavorable sous les auspices du FMI auquel ils sont soumis.
Dans un système mondial équitable, les pays en développement devraient être en mesure d'enregistrer des déficits de leur balance commerciale et de leur balance courante à travers un financement adéquat et de mécanismes de soutien des taux de change. Comme ces instruments multilatéraux sont soit absents, soit déficients, les pays en développement sont généralement punis par les politiques du FMI et de la Banque mondiale lorsqu'ils sont confrontés à une crise de la dette.
En effet, le FMI interprète à tort les déficits développementalistes comme des exemples de laxisme fiscal. C'est pourquoi il impose des politiques d'austérité aux pays débiteurs - à savoir des excédents primaires préjudiciables qui anéantissent leurs perspectives de croissance - et conditionne son aide à des politiques telles que la libéralisation du compte de capital, une mesure qui entraîne une volatilité financière accrue et des sorties nettes de capitaux. Quant à la Banque mondiale, elle encourage généralement la privatisation, notamment celle des secteurs qui génèrent des revenus en devises.
Le résultat est que les pays débiteurs, au lieu d'être aidés à émerger des crises en position de force, sont pénalisés à court terme par une croissance économique plus faible et un appauvrissement massif, et à moyen et long termes par un affaiblissement de leur capacité à générer des revenus d’exportation.
En d'autres termes, lorsque les vivent une crise de dette, le mieux qu'ils puissent attendre des institutions de Bretton Woods est un cautère sur une jambe de bois, ce qui signifie que leur capacité à engranger des revenus extérieurs est encore plus compromise, ce qui les rend plus vulnérables à de futures crises de la dette. De nombreux pays africains, au moins depuis les années 1980, en ont fait l’expérience. La Zambie est un cas paradigmatique.
La dette publique extérieure de la Zambie a été significativement annulée, passant de 128 % du RNB en 2000 à 7,4 % du RNB en 2006. Cependant, en 2020, son gouvernement a été contraint de faire défaut. Trois facteurs ont été à l'œuvre.
Tout d'abord, le pays n'a pas profité du boom des matières premières pour accumuler des devises, les multinationales s'étant accaparé la majeure partie des recettes d'exportation. Deuxièmement, le pays a émis des eurobonds coûteux pour financer son développement et faire face aux chocs climatiques. Troisièmement, comme les financements en devises ont été investis dans des projets d'infrastructure qui n'ont pas stimulé sa capacité d'exportation, sa solvabilité extérieure s'est rapidement détériorée. La pandémie de covid-19 a accéléré l'entrée dans une crise de dette qui devait se produire un jour ou l'autre. Malheureusement, le processus de restructuration de la dette de la Zambie sous l'égide du FMI a été long, inadéquat et ne s'est pas attaqué aux causes profondes.
La communauté internationale du développement devrait se rendre compte que la situation de la dette extérieure de la plupart des gouvernements africains n'est tout simplement pas viable pour leurs populations et l'environnement. Une aide urgente est nécessaire sous la forme d'une annulation rapide et significative de leur dette extérieure. Nous savons tous qu'il ne s'agit pas d'une question de capacité financière pour les pays les plus riches, mais plutôt de volonté politique.
Au-delà de l'allégement des dettes, la réalisation des objectifs en matière de développement et de climat nécessitera des financements extérieurs adéquats : (i) des liquidités à court terme pour faire face aux chocs négatifs tels que la détérioration des termes de l'échange, les événements climatiques, etc. (ii) des financements en devises étrangères à long terme abordables – afin de s’assurer que le service de la dette ne représente pas une lourde charge eu égard à la capacité nationale à générer des recettes extérieures ; (iii) des dons et des transferts de technologie pour faire face aux problèmes climatiques et environnementaux, en lieu et place des prêts.
Enfin, il est impératif de soumettre l'analyse de la viabilité de la dette du FMI à une plus grande transparence et à un suivi plus rigoureux. Des millions de vies à travers le monde dépendent de cette analyse politique plutôt que technique.
La réunion du G20 aura rendu un grand service à l'Afrique et au monde si elle inclut et reflète ces préoccupations et priorités que l'Afrique partage avec la plupart des pays du Sud.