LE NAUFRAGE DE LA VIOLENCE
EXCLUSIF SENEPLUS #Enjeux2019 - Depuis 2000, nous assistons à un glissement du spirituel vers le temporel, et vice et versa, qui marque l’érosion progressive de notre vivre ensemble - Le Sénégal s’interroge, il se retrouve sur des sentiers obscurs
#Enjeux2019 - Et si nous étions à notre tour frappés par la malédiction des ressources naturelles ? Le Sénégal s’interroge, il se retrouve sur des sentiers obscurs, et une inquiétude générale s’est peu à peu installée. Du côté du pouvoir, une fébrilité sourde semble avoir atteint son paroxysme.
Pourquoi cette surenchère de la violence ? Depuis 2012 le pays est géré d’une main de fer. À ce moment précis, nous pouvons nous attarder sur l’existence d’un traumatisme sénégalais. La nostalgie d’un passé sanctionné par les urnes rend difficile la visibilité des citoyens face à la prochaine échéance présidentielle. Le tintamarre autour des biens mal acquis a longtemps occupé l’espace médiatique entrecoupé au bout de cinq ans par un référendum dont le but était de dissimuler un aménagement constitutionnel en vue des prochaines joutes électorales. Ces sept dernières années ont été marquées par une absence de dialogue à tous les niveaux. La répression brutale des manifestations citoyennes a altéré les leviers indispensables au dialogue.
Dans ce contexte inédit, une armée de plumitifs s’est imposée partout cornaquée par des spécialistes de la manipulation politique. La perspective d’une rente pétrolière a permis au pouvoir de s’offrir toutes sortes de mercenaires politiques allant du simple journaliste au religieux converti à l’argent facile. Les unes des journaux du pays se caractérisent par leur violence, sans filtre aucun. Les revues de presse sur les ondes de certaines radios privées maintiennent une situation quasi insurrectionnelle tout au long de l’année. Une sorte de folklore journalistique qui nous est propre.
C’est dans cette ambiance surchauffée que vivent les jeunes sénégalais les plus démunis. À l’ombre de leurs idoles "lutteurs", les jeunes désœuvrés envahissent le champ politique pour survivre, le temps d’une élection. L’image du chef de l’État est brouillée par sa proximité avec les milieux professionnels de la lutte. Dès lors la parole présidentielle est désacralisée, raillée à la moindre incartade. Une parole absente lorsque les jeunes perdent la vie sur le chemin de l’Europe. Cette indifférence pesante sur ces « pirogues rouges » du sang de nos enfants imprime dans les esprits une violence qui couve silencieusement.
Dans le même temps, les autorités parrainent des fêtes, des concerts, des anniversaires de stars à la musique saccadée et nasillarde noyée dans un flot musical permanent rallié à la cause capitalistique la plus vorace de l’histoire de notre pays. Des rappeurs résistent et dénoncent les politiciens pris la main dans le pot de confitures.
L’utilisation des moyens de l’État pour faire campagne est une autre forme de violence envers le peuple. Le réflexe républicain s’impose comme une évidence. L’ancien chef d’État-major des armées le général Mansour Seck est sorti de sa réserve en s’interrogeant : « Quel patriote souhaite ce chaos pour notre cher Sénégal ? Vivement des démocrates réellement responsables ». En cas de dérives, c’est l’autorité suprême (le chef de l’État) qui doit prendre la parole sans attendre et poser des actes. La prise en compte de cette « vacance institutionnelle » en période électorale aurait permis l’anticipation d’éventuels troubles. Il aura fallu des affrontements sanglants pour que l’on daigne enfin prendre les dispositions appropriées. Comment faire la distinction entre le père de la Nation et le chef de parti qui « revendique » un second mandat lorsque surviennent des actes de violence opposant son camp à celui des autres candidats ? Selon le spécialiste de la sociologie politique Phillipe Braud :
« Ce qui caractérise l’État de droit, par opposition à tous les régimes tyranniques ce n’est pas l’impossible renonciation à la force, mais la soigneuse codification de ses conditions d’emploi. »
La violence politique, c’est la couardise assumée au sein de l’État qui se réfugie derrière l’ordre républicain, par conséquent, les forces de l’ordre sur lesquelles repose une paix sociale artificielle au service d’une patrimonialisation de l’État sans précédent. Chaque jour inaugure une intention philistine qui se couvre du manteau de la loi pour piétiner les droits élémentaires du citoyen appauvri. Ce sont ces apprentis sorciers qui organisent la dangereuse immixtion des confréries religieuses dans les affaires politiques, contribuant ainsi à donner le coup de grâce à notre compromis sociopolitique. Ce miracle social, spécificité sénégalaise, a servi pendant plusieurs décennies de garde-fous contre la montée des fondamentalismes religieux. Depuis l’an 2000, nous assistons à un glissement du spirituel vers le temporel et vice et versa, qui marque l’érosion progressive de notre vivre ensemble.
L’homme politique et théologien, Abd El-Kader (1808-1883) nous ouvre une précieuse fenêtre :
« Le savant est l’homme par lequel s’opère facilement la distinction entre la franchise et le mensonge dans les paroles, entre la vérité et l‘erreur dans les convictions, entre la beauté et la laideur dans les actes ».
Qui défend le peuple ? Comment occulter les ravages de l’argent, exquis instrument du monde qui, au-delà d’une certaine ritournelle sur ses miracles, plombe la vie sous nos cieux ? Le mutisme de certains religieux à propos de la violence est en partie lié à la rapidité avec laquelle l’atmosphère politique s’est dégradée dans un contexte électoral particulièrement tendu. Avec son cortège de morts et de blessés graves. L’embrasement de la campagne électorale a commencé avec la fin des inaugurations présidentielles en cascade. L’État dans une posture ambiguë n’a pas su prévenir la montée de la violence. Les milices armées dopées par un esprit partisan se sont multipliées, consacrant ainsi une faillite des pouvoirs publics dans leur rôle de garant de la sécurité publique.
Les Sénégalais souhaitent choisir librement leur prochain président de la République. La prise de conscience de la jeunesse donne à ce scrutin du 24 février 2019 une dimension inédite. Deux camps s’affrontent en réalité pour la première fois, celui d’un Ancien Monde désuet qui a montré toute sa capacité de nuisance et un autre, dans son temps, qui refuse l’arbitraire, la corruption et le népotisme. Une politique qui prend en compte les intérêts des populations n’est pas un luxe pour un pays aux atours géologiques et géostratégiques comme le nôtre.
La paix ne constitue-t-elle pas la plus grande richesse du Sénégal ? Ceux qui ne l’ont pas compris nourrissent le terreau de la violence. L’ombre de Mamadou Dia planera inévitablement sur le scrutin présidentiel, car son combat pour un Sénégal debout pour l'Afrique demeure d’une bouleversante actualité.
Rejetons l’agenda des derniers valets sénégalais de la françafrique parce que :
Nous sommes le pays de Mamadou Dia et de Cheikh Anta Diop.
Nous sommes le peuple des assises nationales.
Nous sommes le pays du dialogue islamo-chrétien.
Inventons la possession en commun du Sénégal, car l’unique faiseur de rois c’est le peuple souverain qui votera le 24 février prochain dans la paix et la communion des esprits.
Almamy Mamadou Wane est écrivain, essayiste et poète. Éditorialiste à SenePlus.com. Il a publié plusieurs essais politiques. Il est l’auteur du livre "Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance". Dans son dernier ouvrage "Le secret des nuages" paru à l'Harmattan il y a quelques semaines, il revendique une poésie sociale qui se veut au service de la collectivité.