LE PATRIOTISME ECONOMIQUE EST UNE ABERRATION
La fronde contre les intérêts étrangers a pris des proportions telles que l’on a vu des mouvements se créer, tels «Frapp France Dégage !», dirigé par Guy-Marius Sagna, le «Club 50% de Préférence nationale», initié par Abdoulaye Sylla.
Il y a quelques jours, j’ai failli faire un terrible accident sur l’autoroute Ila Touba, quelques kilomètres après avoir dépassé l’intersection qui sort de la ville de Thiès. Alors que le véhicule dans lequel j’étais roulait à près de 90 km heure, un troupeau de moutons a surgi devant nous sans crier gare, pour traverser la route et se rendre de l’autre côté. Il a fallu de très bons réflexes au chauffeur pour éviter une embardée qui aurait pu nous coûter cher, et sans cogner un quelconque animal du troupeau. Cela était assez remarquable car l’on venait de dépasser, quelque part plus haut, un gros véhicule de transport en commun totalement disloqué, après un choc avec un autre véhicule.
Le plus remarquable, c’est que sur les lieux de l’accident, il n’y avait aucune trace de balisage, ni de cône de protection, pour éviter à d’autres usagers de la route de percuter ce véhicule, alors que l’on approchait du crépuscule. Arrivés au péage, nous avons voulu nous informer auprès des préposés s’ils étaient au courant de l’accident du bus de transport. Ils ont semblé tomber des nues. Mais la meilleure, c’est quand ils nous ont fait comprendre qu’il n’y avait aucune autorité à laquelle cette information pouvait être référée.
Une pareille situation rend quasi normale la comparaison avec la gestion du tronçon du péage par les Français d’Eiffage. Tous ceux qui empruntent la route savent qu’il est quasiment impossible de rester en stationnement sur ce tronçon, sans qu’un véhicule de dépannage ne vienne s’enquérir de la situation, et propose éventuellement une solution. Et les normes de sécurité sont telles qu’il est actuellement quasi impossible d’y trouver des animaux en divagation. Ces deux exemples illustrent assez bien les modes de gestion par des nationaux et par des étrangers.
Depuis bien longtemps, il est devenu courant pour les Sénégalais, de s’offusquer de la mainmise des étrangers sur de larges pans de l’économie nationale. La rengaine est toujours de dire que les pouvoirs publics font la part belle à des intérêts étrangers, alors que ces derniers ne gèrent pas mieux que des nationaux, et souvent même, ne réinvestissent pas leurs dividendes sur place. Cette fronde contre les intérêts étrangers a pris des proportions telles que l’on a vu des mouvements se créer, tels «Frapp France Dégage !», dirigé par Guy-Marius Sagna, le «Club 50% de Préférence nationale», initié par Abdoulaye Sylla. Comme leurs noms l’indiquent, ces structures veulent remplacer les entrepreneurs étrangers par des nationaux. Des intentions très louables, mais dont on ne sait par quels moyens les réaliser.
On peut s’accorder qu’il y a des secteurs où l’expertise sénégalaise n’a pas à être confrontée à la concurrence étrangère, car y ayant largement fait ses preuves, comme dans les Bâtiments et travaux publics (Btp). Il n’est donc pas acceptable que l’Etat laisse s’installer des filiales de grands groupes étrangers ici, pour qu’elles viennent disputer des parts des marchés publics à nos nationaux, alors que ces derniers n’ont pas la capacité de «compétir» sur les marchés d’origine de ces groupes. Il est du devoir de l’Etat d’aider et de soutenir ces entreprises nationales pour leur permettre d’atteindre un niveau de compétitivité qui leur permettrait de réaliser des ouvrages complexes, au lieu de les écarter au profit d’entreprises étrangères, qui s’empressent de rapatrier dans leurs pays tous les bénéfices qu’ils réalisent ici.
C’est en imposant dans les contrats publics, aux entreprises soumissionnaires, des conditions très claires concernant les transferts de technologie, ou l’emploi de la main-d’œuvre locale, surtout celle non qualifiée, que l’Etat permettra à de véritables capitaines d’entreprises nationaux d’émerger.
Au contraire, ceux qui font le plus de bruit actuellement, sont biberonnés aux fonds publics. Une fois qu’ils en sont privés, ils ne parviennent pas à trouver d’autres marchés ou à relancer leurs entreprises. Sous le Président Wade, qui se vantait de créer des milliardaires, on a vu fleurir des entreprises très dynamiques. La plupart ont disparu une fois le «Parrain» éjecté du pouvoir. Il est à craindre que le même phénomène se répète avec certaines autres, quand le Président Macky Sall aura quitté le Palais de l’avenue Senghor.
Le Sénégal a besoin de capitaines et de véritables entrepreneurs. L’Etat a le devoir d’aider ceux qui en ont les capacités à développer leurs boîtes. Mais cela ne peut se faire qu’à des conditions très claires, et non pas en leur «avançant» de l’argent public. Mais le «patriotisme économique» est aussi une aberration, dans un contexte où le Sénégal a besoin de capitaux publics pour développer plusieurs projets. Ce ne sont pas nos milliardaires locaux qui pourraient financer la rechercher ou l’exploitation du pétrole, comme ils ont été incapables de financer les autoroutes. On ne peut donc pas leur en confier la gestion. Mais l’Etat a le devoir de les aider à développer les ressources physiques et intellectuelles qui leur permettront, dans un avenir plus ou moins proche, de peser dans les entreprises qui créent la valeur ajoutée de notre économie.