LE PROJET AU PAYS DES BISOUNOURS
Il faut néanmoins s’interroger sur les rumeurs qui déclarent que le travail du cabinet Performances Group coûterait plus de 2 milliards de francs Cfa au contribuable..
Après en avoir entendu parler depuis une dizaine d’années, et guetté sa préparation depuis 7 mois environ, les Sénégalais ont pu enfin avoir une vision concrète du contenu du fameux «Projet» qui est destiné à changer notre vie à tous. Rien que pour cela, nous devons tous nous sentir fortement soulagés. Après avoir tenu tout un pays en haleine, nous savons enfin tous, le chemin que nos dirigeants vont nous faire parcourir pour que le Sénégal puisse devenir, dans 26 ans au plus tard, un pays «souverain, juste et prospère».
Il faut être aigri et pétri de jalousie pour ne pas se rendre compte que cet «Agenda national de transformation Sénégal 2050» est en totale rupture et constitue une grande avancée par rapport au fameux Plan Sénégal émergent (Pse) de Macky Sall. Les titres déjà donnent une idée de la différence de vision.
Quand l’un voulait faire émerger le pays, l’autre ne veut rien moins que le transformer, c’est-à-dire créer un Sénégalais nouveau, si tant est que cela est faisable.
Ensuite, on notera que, comme ses ambitions qui, en un moment, à en croire ses «amis», s’arrêtaient à Diamniadio, la vision du Président Macky Sall avec son Pse, n’allait pas plus loin que 2035. Le nouveau régime, lui, se donne 15 ans de plus pour arriver à 2050. De plus, il ne compte pas sur les apports de l’étranger pour façonner le pays. Forte ambition, qu’il faut saluer chaleureusement, surtout qu’il aura besoin, dans un premier temps, de plus de 18 000 milliards de francs Cfa pour atteindre ses objectifs, alors que le Pse dans sa Phase 3, n’avait besoin que d’un peu moins de 15 000 milliards pour la période 2019-2023. Mais les initiateurs du «Projet», le Président Diomaye et son Premier ministre, sont assurés d’atteindre leurs objectifs.
Bien sûr, ils mettent en garde contre une certaine tendance à la précipitation. Sonko a-t-il jeté un coup d’œil dans l’assistance ? On peut le penser en l’entendant déclarer que son régime ne cherchera pas, comme certains, à «accélérer la cadence». Mais on sait qu’avec cette déclaration, il y un gros pavé qui est tombé dans les jardins de la Présidence, du côté des bureaux des Envoyés spéciaux. Mais parfois, on ne contrôle pas toujours ses propos. En assurant ne vouloir faire appel qu’à l’expertise locale pour élaborer ce référentiel du développement national, le chef du gouvernement avait clamé et déclamé que cela ne coûterait pas aussi cher qu’avec le travail de McKinsey. On veut bien le croire. Il faut néanmoins s’interroger sur les rumeurs qui déclarent que le travail du cabinet Performances Group coûterait plus de 2 milliards de francs Cfa au contribuable..
C’est Pierre Goudiaby Atepa, la référence du Patronat national auprès de nouvelles autorités politiques, qui a joué l’entremetteur avec le nouveau régime. Et tout le monde sait que le brillant architecte-ingénieur ne fait pas dans la philanthropie. De plus, Victor Ndiaye, membre du Club des investisseurs (Cis) que dirige Atepa, s’y connaissait déjà en plans de développement. N’a-t-il pas fortement contribué à l’élaboration du Pap 3 du Pse, sous la férule de l’ancien Premier ministre Amadou Ba ? Ce serait sans doute pour cela qu’il s’est dit qu’il n’y avait pas de raison que l’on paie très cher un travail à un cabinet étranger, et qu’on le fasse travailler lui, pour le même travail, pour la gloire de la Nation. Mais, rappelons-le, le montant reste à vérifier.
Quoi qu’il en soit, l’intrusion de Victor Ndiaye explique les nombreuses similitudes entre les deux documents, Pse et «Projet». A commencer d’abord par les objectifs. Le Pse se structurait sur 3 axes majeurs qui sont la transformation structurelle de l’économie et la croissance, le développement du Capital humain, la protection sociale et le développement durable, et enfin, la Bonne gouvernance, le renforcement des institutions, la paix et la sécurité.
Le «Projet» lui veut se développer autour de 4 axes qui sont la gouvernance et l’engagement panafricain, le développement et l’aménagement durable du territoire, le capital humain et la justice sociale et la compétitivité de l’économie et la création d’emplois.
Sur d’autres plans également, en parlant de la relance de l’industrie, du développement de l’agroalimentaire ou même des produits de construction, le «Projet» donne le sentiment d’avoir juste réactualisé les objectifs du Pse. Or, en dehors du financement, le Pse de son côté, en butte à l’efficience de la mise en œuvre, n’avait pu soulever l’enthousiasme du secteur privé. On est bien curieux de voir comment les maîtres d’œuvre du «Projet» comptent parvenir à un résultat meilleur. D’autant plus qu’ils ne semblent pas faire montre de plus d’ambition. Mais il faut répéter que le nouveau document est censé pouvoir nous conduire bien plus loin que celui qui a été élaboré en son temps sous la férule de Macky Sall. Les nouveaux dirigeants, des patriotes comme ils se nommaient, ont toujours affirmé qu’ils avaient eux plus d’amour pour le pays que Macky Sall, qui a passé son temps à planter des infrastructures dont Ousmane Sonko a dit hier qu’il ne restera bientôt plus que des ruines. Ils affirment avoir plus d’ambition. Et ils veulent en finir avec les relents de la Gouvernance de Macky. Aussi bien au sein de l’Administration publique que dans le secteur privé.
Il était révélateur de voir, dans le panel appelé à commenter la présentation du référentiel, que c’est Antoine Ngom qui prenait la parole au nom du Patronat. Tout en reconnaissant ses compétences et sa capacité, on se doit de souligner que le président d’Optic n’est pas le plus important dans la structuration hiérarchique du Conseil national du Patronat (Cnp). Etait-ce une manière pour Baïdy Agne et ses collègues vice-présidents d’exprimer leur bouderie d’une quelconque manière ? L’absence de la deuxième organisation patronale en importance, la Cnes, n’est pas non plus passée inaperçue.
On sait que ce ne sont pas les commerçants membres de l’Unacois, qui sont en mesure à eux seuls, d’impulser l’industrialisation du pays, en dépit de leur important nombre. Depuis des années, les gouvernements successifs ont des difficultés pour les formaliser, comme l’a souligné en de termes moins crus, Ousmane Sy Ndiaye. S’appuyer sur eux pour relancer l’économie, c’est se préparer à faire du pays un gros souk, tout le monde le sait.
Il faudrait peut-être croire que nos dirigeants ont une baguette magique pour transformer notre secteur privé, en ce qu’ils veulent qu’il soit. En attendant, s’ils veulent des résultats concrets, ils auraient intérêt, pour le bien de tous, à s’ouvrir aux investisseurs qui ont déjà pignon sur rue. Parler de secteur privé à l’intérieur du pays, alors que l’on n’a pas fini de combattre l’exode rural et les tentatives d’émigration clandestine, cela peut-il être réaliste ? Comme ils l’ont eux-mêmes dit, il ne s’agira pas de couper les ponts de manière brutale avec l’étranger, mais d’apprendre progressivement à s’en passer. M. le Premier ministre ne l’a-t-il pas dit lui-même, là où ils s’attendaient à trouver un immeuble au rez-de-chaussée, ils sont tombés au quatrième sous-sol du fait des données erronées laissées par leurs prédécesseurs. C’est sans doute cela qui a faussé leurs calculs et les a poussés, le 26 septembre dernier, à déclarer que la situation du pays était plus mal que ce qu’on leur avait annoncé. Quelle que soit la réalité, pareille situation ne se redresse pas d’un seul coup, et la croissance durable ne peut s’atteindre en un laps de temps.
Après avoir fait toutes ces affirmations, on peut se demander comment les nouvelles autorités peuvent prétendre avec confiance, écarter tout ce qui a été fait durant les douze années du régime de Macky Sall, et s’assurer qu’ils ne construisent pas sur du sable. Si leur référentiel se présente tel qu’il est, c’est pourtant parce que, qu’ils le veuillent ou pas, il est basé sur les chiffres produits depuis l’époque de Macky Sall. D’ailleurs, Victor Ndiaye, ainsi que les fonctionnaires des ministères de l’Economie et des Finances, qui ont eu à travailler sur ces deux projets, seraient-ils humainement capables de produire deux documents totalement différents ? Par ailleurs, et même malgré les rodomontades, on voit que le nouveau référentiel est souvent moins ambitieux que le Pse. Ce dernier, sans mettre en avant les hydrocarbures dont on ne savait pas, en 2014 et en 2019, en quelle année on en verrait les effets, ne les avaient pas intégrés dans leurs chiffres de croissance. Mais Macky et les siens avaient fait des projections de 7% de croissance, et plus à partir de 2023, jusqu’à plus de 10% bien après. Grâce à son Pse, les effets du Covid n’ont pas empêché de réaliser plus d’1% de taux de croissance là où même des économies développées étaient tombées en récession. Mais cela était peut-être aussi de faux chiffres, pourrait-on nous déclarer aujourd’hui. Néanmoins, le référentiel de Diomaye-Sonko ne pense pas produire plus de 6% de croissance dans ses meilleures années. Avec ce genre de chiffres pourrait-on vraiment obtenir une transformation systémique de la société sénégalaise ? N’oublions pas que nous avons une population très jeune et appelée à grandir. C’est vrai que pour nous rassurer, on nous a déclaré qu’il suffisait d’avoir des dirigeants décidés et honnêtes pour réussir nos objectifs de développement d’ici 26 ans. Alors, à ce moment, nous serons sans doute dans le pays des Bisounours.