LE SOUVERAINISME A L’EPREUVE D’UNE MONDIALISATION DECADENTE
La tentation souverainiste en Afrique trouve ainsi son prolongement en Europe, où se manifeste le rejet d’une Union Européenne centralisatrice, assez éloignée des réalités nationales et des peules
Les élections européennes viennent de livrer leurs résultats avec une victoire sans appel, en France, de la liste menée par le Rassemblement national (RN). Une victoire qui, du fait de son ampleur, a conduit le Président Macron à dissoudre l’Assemblée nationale afin de se doter d’une nouvelle légitimité, entamée par le choix anti européen des électeurs.
La tentation souverainiste en Afrique trouve ainsi son prolongement en Europe, où se manifeste le rejet d’une Union Européenne centralisatrice, assez éloignée des réalités nationales et des peules. Une Union Européenne accusée aussi d’être de connivence avec les Etats unis d’Amérique pour contrôler l’économie mondiale.
La montée des souverainismes dans le monde renvoie ainsi à un rejet d’une mondialisation dont les avantages sont engrangés par l‘oligarchie économique mondiale, soient des multinationales possédant un pouvoir disproportionné d’influence sur les politiques économiques et sociales des Etats nationaux.
Dans ce contexte, un pont semble s’établir entre les tenants du souverainisme en France avec leurs alter ego d’Afrique.
Lors d’un récent débat à la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale dédié aux relations entre la France et l’Afrique, le député français Nicolas Dupont-Aignan a abordé des questions cruciales concernant le franc CFA et son impact sur l’indépendance des pays qui l’utilisent.
Il a évoqué la question de la souveraineté monétaire en ces termes : “On a perdu l’habitude dans notre pays (Ndlr, la France) de se rappeler qu’il n’y a pas de souveraineté nationale sans souveraineté monétaire. Depuis tant d’années, nous (la France) sommes victimes industriellement, économiquement et politiquement de cette dépendance à l’euro. Ainsi, nous avons perdu l’habitude de la souveraineté.
Cependant, je comprends totalement la volonté des peuples africains de retrouver leur liberté monétaire, car celle-ci est indissociable de la construction de leur avenir.”
Concernant le Sénégal le député souverainiste avait ajouté ceci : « Il faudrait peut-être comprendre qu’un jour ces pays d’Afrique auront besoin de retrouver une production agricole et industrielle. Prenons l’exemple du Sénégal : ce pays importe tout, et avec une monnaie trop chère arrimée à l’euro, il ne peut pas se développer. Il est quand même incroyable de voir que tous les pays ont utilisé la dévaluation (pour s’adapter aux conditions du marché) pour se développer et qu’on le nie à ces pays » (sic !).
Le propos est on ne peut plus clair
Avant le député Dupont-Aignan, d’autres figures du landerneau politique français avaient eu à s’exprimer sur la question de la souveraineté économique et monétaire africaine. Mme Marine Le Pen, en direction des élections présidentielles de 2017, avait promis de sortir la France de la monnaie unique européenne si elle était être élue présidente. Lors d’une visite au Tchad, l’alors patronne du Rassemblement national avait tenu les propos suivants sur le FCFA : « J’entends les plaintes des Etats africains qui considèrent par principe qu’ils doivent avoir leur propre monnaie et que le franc CFA est un inconvénient à leur développement économique. Je suis tout à fait d’accord avec cette vision ».
M. Jean Luc Mélenchon de La France Insoumise (LFI) n’en a pas dit moins sur le FCFA lors de sa récente visite au Sénégal dans une conférence conjointe avec le Premier ministre Ousmane SONKO tenue à l’Université de Dakar.
Il faut tout de même préciser que l’arrivée au pouvoir dans notre pays du PASTEF a eu un effet amplificateur sur la perception de la ferme volonté de remise en cause irréversible d’une monnaie et d’une politique monétaire coloniales en vigueur depuis les indépendances, et inapte à impulser tout développement économique.
En effet, Bassirou Diomaye Faye, président démocratiquement élu, et son Premier ministre Ousmane SONKO sont dotés d’une légitimité politique indiscutable. On ne saurait donc leur reprocher d’être arrivés aux commandes par la force des armes, tel qu’on a pu le rétorquer aux dirigeants des pays de l’AES (Alliance des Etats du Sahel c’est-à-dire Mali, Burkina et Niger).
En France, l’heure est donc aux propositions économiques mutuellement profitables — ou « gagnant-gagnant » — à l’endroit des anciennes colonies. Ces déclarations relancent la question de la création d’une monnaie africaine ou de monnaies nationales (ou alors les deux) ainsi que des liens de coopération à nouer pour renforcer leur crédibilité source de pérennisation.
Des élections européennes de dimanche dernier ressort donc une convergence certaine dans la quête commune des populations d’Europe et d’Afrique d’une forme de souveraineté profitable, face à ce qu’on appelle l’oligarchie mondiale qui enjambe les pays pour définir les zones mondiales de profits, et aligner en conséquence ses décisions d’investissements.
La concentration capitalistique via les opérations de fusions et d’absorptions au niveau mondial a recomposé les « tours de table » des grandes entreprises, et rendu la nationalité originelle de l’entreprise sans objet.
Ainsi, nombre de pays ont été délestés de leurs structures industrielles acquises à force d’épargne privée de leurs citoyens et d’allocations de ressources publiques, créant désindustrialisation et chômage sur le Vieux continent.
Les transferts de processus industriels ont connu un développement spectaculaire au début des années 80, en particulier vers les pays d’Asie, réputés pour la maximalisation des taux de marge qu’ils permettent de réaliser grâce au rapport qualité/coût de la main d’œuvre, à la capacité d’absorption de leur marché intérieur, à la faiblesse des coûts de transport et, surtout, grâce à des taux de change monétaire favorables.
Souverainisme africain versus mondialisation
Pour schématiser, le souverainisme prôné en Afrique pour sortir du schéma de développement post-colonial est en butte à une mondialisation économique qui a augmenté sa voilure avec la chute du mur de Berlin.
Le capital mondial se concentre de plus en plus avec le développement des marchés financiers contrôlés par de grands groupes qui détiennent l’essentiel des actions des « transnationales » et interviennent sur les marchés secondaires pour racheter les dettes des Etats, aux fins d’en contrôler les politiques économiques.
Avec les Banques centrales nationales et supra nationales, les agences de notations et les institutions financières internationales, le système économique international n’est plus contrôlé par les Etats en proie aux déficits budgétaires et besoins de financements de leurs systèmes sociaux.
Au-delà de l’Afrique, les populations européennes amorcent aujourd’hui un retour vers un souverainisme à l’échelle de leurs nations, soit 30 ans après Maastricht et aussi après 25 ans de monnaie unique (euro), obligeant les Etats à se conformer à des normes et autres critères de convergence que les populations estiment restrictives en matière de protection sociale et de pouvoir d’achat.
Dans ce système oligarchique mondial où le Sénégal pèse peu économiquement, la tâche assignée à notre pays depuis la colonisation aura été de servir de laboratoire pour la mise en œuvre de réformes favorables à la mondialisation ainsi que la diffusion d’idées, de concepts et de stratégies économiques prônant l’insertion dans le marché mondial.
Les concepts/indicateurs comme « taux de croissance », « taux d’inflation », « résilience », « dividende démographique » et tant d’autres encore, s’ils traduisent une réalité sous d’autres cieux, n’ont pas eu la justesse et la percussion nécessaires pour faire le point sur l’état de nos économies et les conduire sur les sentiers du développement.
Lorsque les institutions internationales de financement nous parlent de taux de croissance de 5, 6, 7% voire plus, les caractérisant de quasi exceptionnels par rapport à ceux enregistrés dans le monde, elles ne prennent pas soin de « garder toutes les proportions ».
Plus fortes croissances en Afrique, richesse au Nord : cherchez l’erreur !
La dernière édition du rapport semestriel « Performances et perspectives macroéconomiques de l’Afrique» de la BAD (Banque africaine de Développement) annonce que l’Afrique comptera, en 2024, onze des vingt pays ayant la croissance économique la plus forte au monde. Parmi ces onze pays, le Sénégal occupe la deuxième place, avec un taux de 8, 2%, aprèsle Niger dont le taux de croissance est projeté à 11, 2%.
Dans le même registre, l’OCDE prévoit un taux de croissance du PIB de 0,7 % en 2024 pour la zone euro. Les fortes croissances sont du coté de l’Afrique, alors que la richesse est du coté du Nord.
Le Président américain Obama avait déclaré en 2014 à ce sujet que « l’ensemble du PIB de l’Afrique (2,74 trillions de dollars) était à peu près égal à celui de la France (2,83 trillions de dollars).
C’est dire que comparer des taux de croissance de pays à niveaux de développement différents est inopérant et source de confusion.
Cette comparaison pourrait laisser croire que le taux de croissance des pays africains, supérieur par rapport à ceux de l’Europe, seraient susceptible d’ouvrir la voie à un rattrapage économique, alors qu’il n’en est rien.
Le Niger, considéré comme le pays le plus pauvre du monde, n’a que faire d’un tel indicateur prévoyant 11,2 % de croissance mais destiné en réalité à masquer les effets dévastateurs de la pauvreté et du sous-développement.
Par conséquent, il est établi que la hausse du taux de croissance du Produit Intérieur Brut (PIB) ne traduit que partiellement la performance d’une économie dans l’absolu ; celle-ci est dépendante du niveau de richesse pris comme point de départ de la mesure.
La richesse additionnelle générée est la seule donnée significative.
Son niveau doit être mis en rapport avec les besoins de couverture des budgets nationaux (pour réduire le recours à l’endettement systématique), les besoins d’autofinancement des infrastructures structurantes et de prise en charge des besoins d’éducation et de protection sociale (systèmes de santé prenant en charge les plus pauvres, systèmes éducatifs élevant le niveau de formation des élites et du monde du travail en général), et de relèvement du pouvoir d’achat des populations agressé par l’inflation.
Pour ce qui concerne le taux d’inflation, il est considéré en UEMOA comme l’objectif majeur de politique monétaire (le taux d’inflation annuel moyen doit être inférieur ou égal à 3%).
Lorsqu’on nous annonce, dans les rapports de politique monétaire, la baisse du taux d’inflation d’une année à l’autre, on se garde de nous présenter le cumul des hausses précédentes, afin que nous puissions juger de leur impact réel sur un pouvoir d’achat à propension baissière, parce que non indexé sur ce taux.
Les fortes hausses de prix des produits alimentaires de l’ère COVID, par exemple, n’ont pas été suivies de baisses alors même que les principaux facteurs (énergie, stockage, ruptures de chaînes de valeurs, transport) ont connu des baisses.
A notre sens, ces concepts et indicateurs affublés à nos économies doivent être assimilés à des « buzz words » qui servent ceux qui en usent mais n’ont pas vocation à mesurer le bien-être des populations pour mieux l’améliorer, objectif majeur de tout gouvernant élu. Ces concepts doivent donc être remisés au profit d’autres plus significatifs (indicateurs de précarité sociale, de couverture sanitaire, des niveaux d’éducation etc.).
L’indice de développement humain de l’ONU, qui fait exception à la règle, est peu convoqué dans les analyses économiques des pays d’Afrique.
La question centrale est de savoir comment allier une croissance économique positive depuis près de 20 ans dans notre pays et une pauvreté également croissante des populations
On a le sentiment que, pour les organismes économiques et financiers internationaux, la croissance est l’objectif principal et la pauvreté l’accessoire.
A quoi sert-il aux populations de savoir que le Sénégal est sur la liste des pays à plus fort taux de croissance du PIB dans le monde puisqu’elles disent elles-mêmes que « la croissance ne se mange pas » !.
S’extraire du système dénoncé par tous ceux qui en appellent à la souveraineté économique passe d’abord par l’appréhension de la réalité structurelle de l’économie, la définition des voies et moyens de sa réorientation, avec en ligne de mire sa transformation structurelle.
Le phasage et le monitoring des programmes mis en œuvre nécessiteront la définition d’autres types d’indicateurs plus adaptés que les « indicateurs standards » qui se sont avérés jusque là inopérants.