L’ENJEU CULTUREL ET LINGUISTIQUE DANS L’ÉTAT-NATION AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SENEPLUS - Le projet de formation d’un type idéal d’un l’homme franco-sénégalais nourri des valeurs de la France et enraciné dans ses appartenances ne semble plus d’époque
Les actualités culturelles de la mondialisation
La mondialisation a créé 3 types d’actualités qui reconfigurent les enjeux de la culture, des langues et identités dans le destin du pays.
La réorganisation de l’espace.
Du fait de la connexion planétaire avec le numérique, l’internet et les réseaux satellitaires, la question de l’espace, des territoires, est devenue historiquement un enjeu politique, économique et identitaire. Un espace mondialisé entraîne d’un point historique et logique a des regroupements régionaux qui lui correspondent. La mondialisation est, sous cet angle, multiplicateur potentiel de la puissance nationale. Elle présente l’opportunité d’émergences d’espaces régionaux élargis et de construction de cohésions sociales et culturelles plus larges et plus fortes. Ainsi les actuels micros États-nation n’expriment que la dispersion de puissance des sociétés africaines sans aucune possibilité d’assurer leur développement intégral.
L’actualité de la démocratie participative
La mondialisation a entraîné une certaine remise en cause de l’État-nation et de la souveraineté nationale. De nombreux acteurs sociaux porteurs de nouvelles légitimités et d’expertise émergente avec qui l’État doit désormais négocier. Ainsi les catégories sociales, les communautés culturelles brimées ou marginalisées voient leur possibilité d’expression s’affirmer et leur capacité à peser sur l’échiquier politique, renforcé. « En tout état de cause, souligne Zaki Laidi (2000), les grandes configurations d’idées planétaires, les valeurs et les processus qui prennent le monde seront obligés de négocier avec les acteurs et les sociétés locales et de s’y adapter ».
Les affirmations identitaires
La mondialisation en unifiant les localités et les communautés de la planète a en même temps étalé au grand jour la pluralité culturelle du monde. Elle a restitué à la culture son actualité historique et sa dimension fondamentale. Le capital le précieux n’est pas tant le capital en milliards de dollars, mais le capital de savoir, l’intelligence et la capacité d’innovation, la sagesse spirituelle à préserver la planète et la paix. La culture est la dimension organisatrice fondamentale de la résistance, de l’émancipation politique et du développement économique et social intégral. C’est pourquoi elle est au centre de la compétition pour le leadership de la gouvernance mondiale. L’enjeu du durcissement de cette compétition est qui va avoir la direction culturelle du monde, qui va avoir l’hégémonie de civilisation.
La question fondamentale
Mais les États-nation peuvent-ils arriver à relever le grand défi avec la configuration politique de la plupart d’entre eux. Vu leur souveraineté confisquée, Willy Jackson (2000 : 58)[1]s’est posé la question : « L’Afrique peut-elle, dans le contexte actuel de son insertion dépendante dans la mondialisation, concevoir des politiques cohérentes de développement des capacités » ?
L’inadaptation aux changements
Des changements en profondeur et des mutations inédites affectent la société sénégalaise de part en part. En effet les rapports de genre, de génération, d’ethnies, de région, d’autorité, de savoir, de communication et de pouvoir sont aujourd’hui au Sénégal dans un processus critique de redéfinition. Mais face à ces défis majeurs, l’État-nation sénégalais reste dans le conservatisme politique du fait précisément du maintien du modèle de développement colonial français et des alliances d’intérêts qui s’y rattachent.
Alors que les lignes dans le pays bougent au plan social, intellectuel, artistique et culturel, et que des tendances lourdes négatives s’identifient nettement, mais aussi des signaux d’un possible renouveau, le mode de gestion politique des dirigeants est resté idem, sans initiative, sans imagination. Les discours et les pratiques politiques restent ainsi décalés des processus de transformation et dynamiques de changement qui travaillent la société sénégalaise.
La crise de l’appareil éducatif
L’école publique francophone comme gage de réussite, lieu de production d’une élite subordonnée est aujourd’hui en profonde crise. Le projet de formation d’un type idéal d’un l’homme franco-sénégalais nourri des valeurs de la France et enraciné dans ses appartenances ne semble plus d’époque. Le statut hégémonique de la langue française, langue officielle de travail et d’enseignement et les humanités gréco-latines civilisatrices ne sont plus d’époque.
Une reconfiguration des langues
La mondialisation libérale a ouvert un vaste champ communicationnel selon un nouveau modèle de gravitation des langues. (Calvet 2005 : 229-233).[2] De nouveaux rapports de force s’établissent autour de la langue hyper centrale, l’Anglais devenu le ciment des systèmes de bilinguisme. En même temps se produisent à la fois l’éclatement en micro-communautés linguistiques et l’affirmation élargie des grandes langues régionales du continent. La langue française est en train donc de perdre de son statut de langue coloniale de chasse gardée pour devenir de plus en plus dans l’espace culturel africain francophone en plein renforcement identitaire, une langue utilitaire comme l’anglais, une langue de communication avec le monde.
La détérioration politique
La détérioration politique est consécutive à l’abandon du système d’exercice de l’hégémonie politique et des stratégies de reproduction spécifique à l’État sénégalais depuis Senghor. Certains des différents appareils idéologiques, institutionnels, les soupapes de sûreté, les courroies de transmission et de contrôle hégémonique se sont affaiblise ou ont disparu, pendant que le relais confrérique ne fonctionne plus en bloc homogène. Il en résulte un affaiblissement de la communication politique devenue minimale entre l’État et la société, la jeunesse et les dirigeants.
La culture de la violence
Lorsque le pouvoir est concentré entre les mains d’un groupe restreint alors que la masse des administrés en éveil de conscience s’accroît en nombre alors s’applique la loi tendancielle au durcissement, à l’usage de la force répressive. C’est alors que s’instaure une violence d’État à partir de la zone centre du pouvoir face aux contradictions sociales nées des inégalités et de la crise aggravée. Celle-ci engendre au niveau de la jeunesse en désarroi, une mentalité suicidaire avec le Barça ou Barsax, mais aussi une violence domestique accrue. Depuis les années 2000, on a assisté à un accroissement de la violence dans le pays avec les viols, agressions, meurtres sacrificiels, crimes odieux, témoins d’une société malade. De nouveaux phénomènes sont apparus, annonciateurs de désordres...grèves de la faim répétées, suicides fréquents, immolations par le feu, profanations de cimetières, actes de pédophilie, rapts et meurtres d’enfants. On assiste malgré la force du lien communautaire, de la culture religieuse ambiante, à une surprenante individuation radicale, cela dans une atmosphère où tout semble se défaire : autorité, hiérarchie, justice, sécurité.
Le monde a changé, la société sénégalaise a changé. Ce n’est pas le cas de l’État-nation arcbouté sur lui-même, sur des options et des politiques qui manifestement ne correspondent plus à l’évolution historique, aux besoins vitaux et nouveaux des citoyens et de la jeunesse.
L’État-nation se trouve fragilisé dans un contexte régional d’insécurité du fait du terrorisme jihadiste, de la crise sanitaire du Covid, des conséquences économiques et sociales du conflit ukrainien. C’est pourquoi l’évolution du monde et les bouleversements en cours dans les sociétés africaines annoncent l’actualité à l’ère du dépérissement nécessaire des micro-États-nations, héritage le plus lourd de la colonisation spoliatrice. L’enjeu est le remembrement politique unitaire, le développement économique prodigieux du continent et le renouveau de ses civilisations.
[1] Willy Jackson (2000). Mondialisation, exode des compétences et développement des capacités en Afrique, in Exode des compétences et développement des capacités en Afrique, éd. CEA/CRDI/OIM, p.58.
[2]Jean Louis Calvet (2005). L’avenir des langues africaines en liaison avec les problèmes de développement, in Mondialisation, cultures et développement (Isidore Ndaywel E Nziem et Julien Kilanga Musinde (dir). Paris : éd. Maisonneuve et Larose, pp.229-233.