LES GRANDES VICTOIRES RÉPUBLICAINES DU PROFESSEUR DIÈYE
EXCLUSIF SENEPLUS - Il est celui dont les éclairages juridiques ont rendu d’indépassables services à l’ensemble du corps social auquel il a appartenu jusqu’à son plus qu’inattendu dernier souffle

Qui est mieux placé que ses anciens étudiants pour parler du Professeur Abdoulaye Dièye ? En voici un - Amadou Ba -, croisé sur le réseau social et professionnel LinkedIn, dont le témoignage sur l’exemplarité de l’universitaire se passe de commentaire : « Le Professeur Abdoulaye Dieye a guidé nos premiers pas à la Faculté de droit de Dakar. Ses enseignements en système politique sénégalais, en droit administratif, droit constitutionnel et droit foncier ont toujours orienté le pédagogue dans une dimension compréhensible de l’étude du droit public. Il fut un excellent pédagogue doté d’une courtoisie exemplaire et d’une humilité débordante envers les étudiants de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP). »
Que dire d’autre ? Rien ou presque ? Oh, que si ! Le Professeur Abdoulaye Dièye était l’un des principaux interlocuteurs des journalistes qui veulent informer juste et vrai, des hommes et femmes politiques intègres, des activistes bien inspirés, des organisations de la société civile, du citoyen abusé ou désabusé et j’en oublie. Tout cela, en un seul homme, interpelle les intellectuels. Mais qui sont-ils, les intellectuels ? Celui de Sirinelli et Ory « ne se définit pas par ce qu’il est, mais par ce qu’il fait ». Il « est quelqu’un qui se caractérise par son intervention sur le terrain du politique en tant qu’il met en débat les affaires de la cité ». « L’écart entre [les] promesses des penseurs de métier et la situation des hommes est plus scandaleux qu’il ne fut jamais », écrivait Paul Nizan. Le résultat est le même lorsque, de l’avis de Pierre Bourdieu, « la pensée critique [se réfugie] dans le "petit monde" académique, où elle s’enchante elle-même d’elle-même, sans être en mesure d’inquiéter qui que ce soit en quoi que ce soit ». C’est qu’« une théorie doit servir…», disait Gilles Deleuze. « Je n’essaie pas de protéger ma vie après coup par ma philosophie, ce qui est salaud, ni de conformer ma vie à ma philosophie, ce qui est pédantesque, mais vraiment, vie et philo ne font plus qu’un », expliquait, pour sa part, Jean-Paul Sartre. Et depuis que « la politique est partout », « (...) l’intellectuel, au sens où (…) l’entend Edward Said, est (…) quelqu’un qui refuse quel qu’en soit le prix (…) les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir (…). Non pas seulement qui, passivement, les refuse, mais qui, activement, s’engage à le dire en public ». L’intellectuel de Cheikh Anta Diop enfin serait celui dont « la qualité essentielle du langage authentiquement révolutionnaire est la clarté démonstrative fondée sur l'objectivité des faits ». À la fois intellectuel de Sirinelli et Ory, Nizan, Bourdieu, Deleuze, Sartre, Said et du grand parrain de son université, le Professeur Abdoulaye Dièye est celui dont les éclairages juridiques ont rendu d’indépassables services à l’ensemble du corps social auquel il a appartenu jusqu’à son plus qu’inattendu dernier souffle.
La science victorieuse de Dièye
Les nombreuses victoires, toutes républicaines, du Professeur Abdoulaye Dièye, sont avant tout celles du citoyen dont la présence, dans les assemblées indignées, rassurait et dépassionnait les débats sans rien enlever à leur gravité. Et puisqu’elles sont nombreuses les victoires, qu’il me soit permis de partager ici l’une d’elles, celle dont j’ai toujours entre les mains les dits et non-dits on ne peut plus convaincants hier, aujourd’hui et encore demain.
Le 23 août 2011, le Mouvement du 23 juin (M23) organise un forum à l’hôtel Ngor Diarama à Dakar sous le thème révélateur : « Pourquoi le président sortant Abdoulaye Wade ne peut pas être candidat à sa propre succession à l’élection présidentielle sénégalaise du 26 février 2012. » Des constitutionnalistes (d’abord au nombre de cinq) répondirent unanimement et sans équivoque aux deux questions cruciales que les Sénégalais se posaient :
« Le président de la République sortant Abdoulaye Wade peut-il constitutionnellement briguer un nouveau mandat (troisième du genre) ? »
« Le Conseil constitutionnel est-il compétent pour se prononcer sur la recevabilité ou non de la candidature du président sortant Abdoulaye Wade ? »
S’agissant de la première question, il ressort de l’intervention des juristes qui ont participé au forum qu’aussi bien l’esprit que la lettre de la Constitution de 2001, interdisaient au président de la République sortant de briguer un nouveau mandat en 2012. L’esprit a été confirmé par le président de la République lui-même qui en 2007, en réponse à une question d’un journaliste de RFI (Christophe Boisbouvier) à l’occasion d’une conférence, a affirmé avoir « bloqué le nombre de mandat à deux ». S’agissant de la lettre, il est important de noter que l’intervention du pouvoir constituant originaire a pour effet de substituer un ordre constitutionnel à un autre. Il est ainsi question d’application immédiate. Sur cette base, le président élu en 2000 sous l’empire de la Constitution de 1963 pour un mandat de 7 ans allait se voir appliquer le principe de la durée de 5 ans en vigueur de la Constitution de 2001. C’est pour lui permettre de faire ses 7 ans que les dispositions transitoires de l’article 104 ont été prévues. L’article 104 n’est donc pas superfétatoire. Il vient apporter une dérogation au principe de l’application immédiate en précisant que le président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu'à son terme. Toutes les autres dispositions de la présente Constitution lui sont applicables. Dérogation est ainsi apportée au principe de la durée seulement. Ce qui revient à dire que l’alinéa 2 de l’article 27 qui limite le nombre de renouvellements du mandat à un lui est applicable dès 2007. Le premier mandat a été consommé en 2007, le second le sera en 2012. Un troisième mandat est impossible
Concernant la deuxième question, il faut bien admettre qu’aux termes de l’article 2 de la loi organique n° 92-23 du 30 mai 1992, le Conseil constitutionnel reçoit, conformément aux dispositions des articles 24, 25, 28, 29, 31 et 35 de la Constitution les candidatures à la Présidence de la République. Il arrête la liste des candidats, statue sur les contestations relatives aux élections du président de la République et des députés de l’Assemblée nationale et en proclame les résultats.
Nulle trace de l’article 27. Sur ces bases certains estiment que le juge n’a pas à se prononcer sur la question de la recevabilité de la candidature du Président sortant. Il n’apprécierait la validité d’une candidature qu’au regard des seules dispositions des articles 28 et 29 de la Constitution et LO 112 du code électoral, qui prévoient que le candidat doit avoir exclusivement la nationalité sénégalaise, jouir de ses droits civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins le jour du scrutin, savoir écrire, lire et parler couramment la langue officielle, être en règle avec la législation fiscale, se conformer à l’article 4 de la Constitution, avoir déposé le cautionnement, être présenté par un parti politique ou une coalition de partis politiques légalement constituée ou être accompagné de la signature d’un certain nombre d’électeurs s’il s’agit d’un candidat indépendant.
- D’abord le texte sur le Conseil constitutionnel date de 1992 période pendant laquelle les dispositions de l’article 27 n’existaient pas. Le travail d’actualisation qui aurait dû être fait ne l’a pas été.
- Ensuite l’article LO 116 du code électoral dispose : « pour s’assurer de la validité des candidatures déposées et du consentement des candidats, le Conseil constitutionnel fait procéder à toute vérification qu’il juge utile. » On le voit bien, la marge d’appréciation du Conseil ne fait l’objet d’aucune limitation. Celui-ci peut donc examiner la validité des candidatures au regard du code électoral et de toutes les dispositions pertinentes de la Constitution, les articles 27 et 104 y compris
- Enfin, même si (hypothèse d’école) le juge constitutionnel se déclarait incompétent, que fera-t-il quand un candidat se fondant sur l’article LO 118, lui fait parvenir une réclamation sur l’inscription d’une autre candidature ? La loi prévoit qu’il doit statuer sans délai. Ce ne sera certainement pas pour répéter qu’il est incompétent. »
Le 13 octobre 2011, la messe et la prêche, auxquelles le M23, regroupant plus de 149 organisations de la société civile, des partis politiques, des mouvements citoyens et des personnalités indépendantes, était suspendu, avaient alors été dites et bien dites grâce notamment au Professeur Abdoulaye Dièye. Connu pour son bel esprit d’équipe, Dièye associa sa voix à celle du quintuor dont les quatre autres membres étaient les constitutionnalistes Babacar Guèye, Mounirou Sy, Ameth Ndiaye et Me Doudou Ndoye, Avocat, juriste (…).
Les professeurs de droit des Universités Demba Sy, El Hadj Mbodj et Ababacar Guèye livrèrent, à d’autres occasions, les mêmes conclusions.
Telle fut la méthode qui consacra la « Révolution », c’est-à-dire la conjonction entre la contestation et une grande idée, celle de défense de l’ordre constitutionnel pour l’égale soumission de tous à la loi fondamentale. En communiquant de la sorte, le Mouvement du 23 juin enclenchait la phase révolutionnaire de la protestation qui ne s’arrêta qu’après la victoire républicaine à laquelle le nom du Professeur Dièye ne peut être dissocié.
Plus personne n’ignore la suite dont l’un des points culminants est la formation de la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI) dont Dièye fut le rapporteur et le défenseur infatigable. Les candidats à l’élection présidentielle du 24 mars 2024 sauf un, Mahammed Boun Abdallah Dionne (Paix à son âme), - le président Diomaye compris -, signataires des conclusions de la CNRI, saluent aujourd’hui la vie et l’œuvre du Professeur Dièye.
De l’homme politique notoire Madior Diouf qui nous quitta, il y a seulement quelques jours sans nous avoir auparavant appelés à son chevet, je rappelais dans un court post les considérables contributions éthique, intellectuelle et politique. Aux professeurs Diouf et Dièye, partis là-haut presque en même temps, la merveilleuse récompense réservée aux justes est sans l’ombre d’un doute la meilleure consolation pour les familles, les collègues, les étudiants, les amis et le peuple dont ils sont issus.
Abdoul Aziz Diop est ancien porte-parole du M23, ancien président de la commission communication dudit mouvement et co-rédacteur de l’ouvrage collectif « M23 : Chronique d’une révolution citoyenne » (Les Éditions De La Brousse, Dakar, 2014).