LES HÉROS DE LA RÉSISTANCE ... À LA CRITIQUE
Si certains considèrent que critiquer le Projet est un crime de lèse-majesté, peut-être est-ce simplement parce que la vision qu’en ont ceux qui le défendent est tellement lumineuse qu’elle ébloui. Oui, c’est doit être ça
La nomination de certaines personnalités non affiliées à Pastef, à des postes de responsabilités étatiques a fait sortir de l’univers du parti au pouvoir, des acteurs réfractaires à la critique. Ce n’est pas la première fois que cela arrive. Des choix portés sur les personnes qui avaient critiqué le « Projet » et/ou ses initiateurs ont été rapportés ou demandés à l’être, parce que ces dernières avaient émis des objections, des critiques, avant que le parti n’accède au pouvoir.
Ah, la mélodie du panafricanisme des auteurs et promoteurs du Projet ! Ce mots qui fait vibrer les âmes, soulever les foules et réveiller les tambours d’une souveraineté flamboyante. A entendre leurs discours, on pourrait croire que la souveraineté est un cocktail de bissap pour l’extérieur, mais agrémenté d’une pincée de "ne dites que du bien de notre Projet" à l’intérieur.
Derrière les grandes proclamations se cachent des partitions bien plus discordantes. Le Projet donc, oui avec un grand P, doit être « englouti », jusqu’en 2050, sans aucun froncement de sourcils. Ceux qui ont ou qui osent encore demander s’il est une idée lumineuse se retrouvent ou se sont retrouvés exilés au royaume des bannis. C’est là que la souveraineté prend un tournant intéressant : à l’extérieur, on clame haut et fort que le Sénégal est un pays qui se tient debout, mais à l’intérieur, mieux vaut s’asseoir et garder ses idées pour soi.
Ça donne un peu l’impression d’un orchestre où le chef veut jouer une symphonie panafricaine, mais exige que les violons et le piano soient accordés comme les koras, ignorant que les uns sont des instruments à cordes et que l’autre est de touches. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une fanfare de décibels uniformément dociles. C’est l’obsession pour le consensus interne forcé. Vous savez, ce moment où le chef d’orchestre se retourne vers une salle clairsemée et demande : « Qui est avec moi ? » Devinez quoi ? Tout le monde l’est ! Comme par magie. C’est beau, n’est-ce pas ? Une unité parfaite, obtenue par le silence stratégique des derniers musiciens
Ceux qui ne sont pas férus de cette musique, deviennent les victimes d’un autisme politique sur les réseaux sociaux, qui offrent bien plus de places que dans un stade de foot. Ils sont devenus un terrain de jeu où les arguments jouent à saute-mouton avec la logique. Il suffit d’un tweet pour déclencher une guerre civile virtuelle, où les grossièretés se le disputent aux insanités. Et la surenchère finit par ressembler à une compétition de surdité collective. Chacun est enfermé dans sa bulle « idéologique », hermétique à toute intrusion dans la réalité. « L’autre ? Quel autre ? Celui qui ne s’est pas battu ? Celui qui n’a pas mené le combat ? Celui qui a fait partie du « système » alors que nous, nous sommes anti-système ? » semblent répondre ces valeureux soldats du clavier.
Pour justifier la transhumance à la veille élections législatives anticipée, la facétie a été poussée avec la fameuse théorie de la dichotomie entre les « adversaires » et les « ennemis » du Projet. La rhétorique du Bien et du Mal, du transhumant acceptable et celui banni car le promoteur du Projet ne l’a pas couvert de son gracieux pardon.
Et pourtant, l’idée d’une souveraineté réelle et d’un panafricanisme sincère est noble. Elle résonne dans le cœur de beaucoup de Sénégalais. Car l’exigence d’une Afrique digne et souveraine, débarrassée des scories humiliantes de la colonialité est réelle chez tous. Partout sur le continent on appelle à la liberté et à la dignité. La manière avec laquelle la commémoration de Thiaroye a été célébrée, révèle quelque chose de ce désir de changement que le politique a le droit d’encadrer et de traduire en idée et en matérialité.
Mais peut-être faudrait-il commencer par cultiver cette souveraineté en interne, en apprenant à accepter la dissonance et les débats. Parce que, à ce rythme-là, le Projet risque de se retrouver avec une souveraineté monophonique – et avouonsle, ce n’est pas très fun pour une symphonie. Alors, souverainistes et panafricanistes, un peu de courage ! Laissez les critiques jouer leur mélodie. On ne construit pas une nation forte en étouffant les notes discordantes, mais en les intégrant à l’ensemble. Et qui sait, peut-être que le "Projet" pourrait finalement devenir une véritable œuvre collective ? Après tout, ce n’est pas un orchestre de yes-men qui fera vibrer le cœur du peuple, mais une symphonie de voix diverses, mais unies dans sa commune souveraineté. La politique n’est pas le règne du consensus permanent, de la soumission à un discours voire pire un homme. C’est le règne du dissensus car des idées opposées cohabitent pour produire du bien commun.
Après tout diriger, c’est tout un art. Savoir jongler entre souveraineté extérieure et harmonie intérieure n’est pas chose facile pour des novices. Si certains considèrent que critiquer le Projet est un crime de lèse-majesté, peut-être est-ce simplement parce que la vision qu’en ont ceux qui le défendent est tellement lumineuse qu’elle éblouit. Oui, c’est doit être ça. Ç’est ça.