LETTRE À UNE ÂME SOLITAIRE PARMI LA FOULE INDIFFÉRENTE
"Mais quel cri de détresse, ce testament attribué au jeune étudiant que vous étiez, confronté à la maladie, à la stigmatisation, au rejet puis à une mort aussi « pénible » que la vie à laquelle elle met un terme de manière si brutale !"

"Lorsque j’écrirai cette lettre, vous ne serez plus de ce monde. Je peine à croire que vous ayez choisi d’écourter votre vie « dans la dignité plutôt que de vivre dans le déshonneur". Un bout de phrase dans une lettre dont l’authentification est encore attendue des services habilités.
Mais quel cri de détresse, ce testament attribué au jeune étudiant que vous étiez, confronté à la maladie, à la stigmatisation, au rejet puis à une mort aussi « pénible » que la vie à laquelle elle met un terme de manière si brutale ! Je peine à croire au suicide pour un esprit aussi généreux à mesure que défilent les mots et que coulent les émotions. Des situations décrites et des sentiments douloureux traduisant le désastre de la solitude. La douleur d’être seul. Seul parmi la foule alors que vous étiez bien présent parmi la multitude.
Seul et absent parce que sans voix pour dire, sans oreille pour être entendu et sans épaule sur laquelle s’appuyer pour oublier les tourments du monde. Seul parce que, dans le vacarme des jours ordinaires, le silence des témoins couvre les complaintes des cœurs meurtris. La pire des solitudes n’est pas de rester avec soi et son ombre ; c’est de rester avec les autres sans être avec eux. La foule est une tromperie qui peut laisser les blessures de la vie béantes. Elle se singularise par son caractère friable parce qu’aucune valeur fondamentale et durable ne sédimente un semblant de vivre-ensemble. Vous avez vécu parmi la foule et non dans la société aux racines solides, semble dire cette lettre. L’empathie vous a cruellement manqué.
Elle a déserté ces relations fondées sur l’indifférence. L’isolement aurait fait de vous un être fragile comme le « jonc qui tremble au vent » d’Hugo juste sorti du deuil. La solitude vous aurait précipité, jeune étudiant, dans une mort sociale faite de souffrance et de tristesse. Des vagues de désespoir s’agrégeant pour renforcer « une tempête dans (votre) cœur ». À chaque fois que cette douleur a été dite, elle est devenue un secret de Polichinelle, alimentant ragots et moqueries. La porte d’une déchéance mentale. Vous auriez choisi de parler à la conscience de l’autre par le langage d’une violence sur soi : la mort. Vous auriez choisi le coup d’arrêt. Pour les autres ?
Certains, je le pense, mourront en restant en vie parce que le remords habitera leur cœur pour peu qu’ils aient un brin d’humanisme et une petite réserve de lucidité. Le livre a été votre refuge dans une passerelle tragique entre votre disparition et le suicide collectif de certains jeunes se lançant dans la gueule de l’Atlantique. « La fuite des indésirables » paraîtra peut-être, pour être le prolongement de votre vie sur terre par la magie du message défiant les temps. Votre destin tragique n’est-il pas un chapitre de cette histoire des adeptes du « Barça ou Barzak » ? C’est le même saut dans le vide et sans toboggan.
C’est le même esprit qui voudrait que la vie n’ait pas plus de valeur que le silence éternel. Vous auriez ainsi choisi l’électrochoc extrême ou carrément l’électrocution pour amener votre monde à réfléchir, à cultiver la proximité, à écouter les silences, à peupler les solitudes, à prendre à bras-le-corps les maux, que ceux-ci soient petits ou grands… Vous accuseriez une certaine société qui calomnie, accuse et finit par détruire. Peut-être aussi, vous amener à vous détruire, me diront certains. D’après le texte, vous y êtes allé avec le cœur et le cerveau alors qu’il fallait peut-être s’accompagner de la foi qui interdit d’écourter le voyage dans cette vallée de larmes.
L’amour de papa et maman vous accompagnent dans cette traversée du couloir d’ombres, débarrassé de vos « faiblesses » confessées et armé de prières d’êtres au cœur meurtri par cette absence subite. Un clin d’œil à grand-mère, gardienne des traditions. Vous auriez dit avoir eu une vie tumultueuse. Vous auriez dit vouloir mourir en paix, le cœur pur de toute « haine ». Vous auriez affirmé tant avoir voulu être juste durant votre vie que je me permets de vous signaler qu’il est injuste de priver notre communauté nationale d’un jeune d’un si grand humanisme. La vie vous aurait tellement dégoûté que vous réclamiez une tombe profonde. Peut-être que dans les entrailles de la terre, il fait plus doux que dans la jungle de l’indifférence sur terre.
Peut-être que des anges vous tiendront compagnie éloignant de vous l’image affreuse du monstre que vous n’êtes que dans la langue des contempteurs. Il fallait vivre avec le portait qui ne vous ressemblait pas, déchirant les préjugés aussi vieux que le monde, rompant également les chaînes de l’esclavage mental. Vous auriez choisi de déserter la terre inhospitalière de votre aventure humaine. Vous auriez votre place dans le jardin des enfants de Dieu. Vous valez certainement plus qu’une prière sur une pierre tombale au bout de très longues supputations sur un suicide présumé. Vous auriez quasiment dit votre oraison funèbre.
Le récit est lourd si je m’en fie à mes souvenirs. J’avais à peine franchi le seuil de l’adolescence lorsque, dans mon quartier, une jeune fille s’est suicidée. Nous passions devant la demeure, intrigués par un acte relevant des seules prérogatives de Dieu. Vous auriez fui ce monde. Vous auriez fui la foule pour une autre vie. Une vie (enfin) paisible pour vous Diagne Matar, mon cousin à plaisanterie avec qui je n’ai pas le cœur à plaisanter ? Repose en paix, enfin…