MACKY, L’ARTICLE 27 ET L’ESPRIT DE LA LOI
Si le président fait prévaloir l’esprit de sa requête de 2012 demandant l’invalidation de la candidature de Wade, jamais il ne penserait à l’éventualité d’un troisième mandat même si c’est le vœu de sa dame, de sa camarilla et de certains alliés
Le débat sur l’éventualité d’un troisième mandat du Président Macky Sall est de plus en plus agité. Si l’actuel chef de l’Etat avait donné, avant la présidentielle de 2019, des gages fermes de ne pas briguer un 3e mandat, tout laisse aujourd’hui croire qu’il a une telle tentation. Le changement discursif sur la question, la distillation par doses homéopathiques de l’idée par son entourage et la sanction de tout responsable qui parlerait de l’impossibilité d’un 3e mandat accréditent la thèse de la candidature du Président Sall en 2024.
Par décision N° 1/E/2012 en date du 27 Janvier 2012, le Conseil Constitutionnel a arrêté et publié une liste de 14 candidats au premier tour de l’élection du président de la République du 26 février 2012. Parmi ceux-là, il y avait le nom d’Abdoulaye Wade, alors candidat sortant et dont la candidature avait été fortement contestée par tous les autres prétendants à la présidentielle au prix même de plusieurs morts parmi les citoyens contestataires. Sur le fondement des dispositions des articles LO 122 du code électoral combinées à l’article 2 de la Loi organique 92- 23 du 30 mai 1992 modifié par la Loi organique 99-17 du 17 février 1999, le candidat Macky Sall entendait par une requête se prévaloir de son droit de réclamation aux fins d’invalidation de la candidature de Monsieur Abdoulaye Wade. Il commence par rappeler que l’article 2 alinéa 1er de la Loi organique 92-23 du 30 mai 1992 sur le Conseil constitutionnel modifié par la Loi 99-71 du 17 février 1999 prévoit que le Conseil constitutionnel reçoit les candidatures à l’élection présidentielle, arrête la liste des candidats, statue sur les contestations relatives aux élections du président de la République et des députés à l’Assemblé nationale et proclame les résultats.
Réclamation du candidat Macky Sall contre la candidature d’Abdoulaye Wade
Au vu des dispositions susvisées, Macky Sall, par le biais de ses avocats, dépose une requête au Conseil constitutionnel aux fins de déclarer recevable sa réclamation et d’y faire droit. Dans l’exposé des motifs de sa requête, Macky Sall estime donc que « Monsieur Abdoulaye Wade, Secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais, avait pris des engagements politiques portés par la coalition CA 2000 par lesquels il prônait la limitation du renouvellement du mandat du président de la République à un. Et c’est sur la base de ces engagements politiques qu’il a fait une campagne électorale en 2000 pour être élu au 2e tour des élections le 19 mars 2000 ». Selon toujours M. Macky Sall « aussitôt après son élection, Monsieur Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, engagea dans ce sens une réforme de la Constitution pour mettre en œuvre ses promesses électorales.
Après son élection en 2000 sous l’empire de la Constitution de 1963, le Président Abdoulaye Wade soumit au peuple sénégalais par référendum une nouvelle Constitution qui entra en vigueur le 22 Janvier 2001. Ces engagements politiques se sont traduits expressément dans la nouvelle Constitution ainsi adoptée à travers les articles 27 et 104. Elu en 2000 pour un mandat de 7 ans, le président Abdoulaye Wade fut réélu en 2007 pour un mandat de 5 ans prévu par la nouvelle Constitution. C’est ainsi que, juste après son élection de 2007, lors d’une conférence de presse, il déclara « je ne peux plus me représenter pour un autre mandat car j’ai verrouillé la Constitution et j’ai bloqué le mandat à deux ». En dépit de tout ce qui précède, Abdoulaye Wade déposa au greffe du Conseil Constitutionnel sa candidature le 24 janvier 2012 pour le premier tour à l’élection du Président de la République du 26 Février 2012. Le Conseil constitutionnel, par décision en date du 27 janvier 2012, a arrêté et publié la liste des candidats à ladite élection sur laquelle figure le nom de Monsieur Abdoulaye Wade ». Selon le candidat de la coalition Macky 2012, cette candidature n’était pas valide parce que elle « viole les dispositions combinées des articles 27 et 104 de la Constitution. En effet, l’article 27 de la Constitution du 22 janvier 2001 dispose expressément que la durée du mandat du Président de la République est de 5 ans.
Le mandat du Président de la République est renouvelable une seule fois. L’article 104 dispose que le président en exercice poursuit son mandat jusqu’à son terme et toutes les autres dispositions lui sont applicables ». Et Macky Sall de conclure qu’« aux termes de l’article 104 précité, la nouvelle Constitution s’applique immédiatement au mandat du président de la République en exercice, exceptée sa durée qui est maintenue à sept ans, rejoignant ainsi la volonté politique et l’engagement moral de Abdoulaye Wade inspirateur de la Constitution nouvellement adoptée. Et qu’au regard de la nouvelle Constitution qui interdit formellement de renouveler le mandat plus d’une fois, Monsieur Abdoulaye Wade, qui a renouvelé son mandat en 2007, a fait deux mandats successifs et ne peut donc plus se présenter à l’élection du président de la République du 26 février 2012 ».
Macky et la réforme du 20 mars 2016
Le 20 mars 2016, dans le souci de mettre à l’abri le Sénégal du traumatisme d’un 3e mandat, le Président Macky Sall a soumis à référendum la modification de l’article 27 de la Constitution en ces termes : « La durée du mandat du président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Mais dans le fond, cet article modifié ne se différencie pas fondamentalement de celui de la Constitution du 22 janvier 2001 qui dispose expressément que « la durée du mandat du président de la République est de 5 ans et le mandat du président de la République est renouvelable une seule fois. » Nonobstant la mise en garde d’acteurs de la société civile, des partis politiques et des juristes et des analystes politiques, le texte est voté brut de décoffrage. C’est-àdire tel quel. Il a fallu que deux éminents juristes fissent une sortie pour indiquer que la rédaction de l’article 27 offre, après la séquence 2019-2024, la possibilité d’un 2e mandat quinquennal indépendamment du septennat consommé. Ce qui revient juridiquement à deux mandats et arithmétiquement à trois mandats. Et c’est cela que retient l’imagerie populaire.
Imbroglio sur le 3e mandat
Invité du Grand Jury de la Rfm, le 8 octobre 2017, le professeur de droit Babacar Guèye déclare que le Président Macky Sall peut briguer un troisième mandat s’il est réélu en 2019. Quatre jours après, son collègue Jacques Mariel Zouankeu soutenait la même chose. Le 14 octobre, en marge de la visite de son homologue du Burkina Faso, Roch Marc Christian Kaboré, le président Macky Sall, dans une grande colère, a qualifié ce débat soulevé par les juristes de « puéril et sans intérêt pour le développement du pays ». Pour lui, « même un analphabète, si tu lui fais une traduction du texte, il va le comprendre. Mais les intellectuels aiment nous compliquer la vie, se livrer à de grandes réflexions pour se mettre en valeur ».
Malgré ces assurances du président Macky Sall, pourtant, les Sénégalais restent sceptiques surtout qu’il a eu à violer l’engagement ferme qu’il avait pris devant eux relativement à la réduction de son mandat. Lequel devait être ramené de sept à cinq ans. Une promesse violée en fin de compte avec la complicité des juges constitutionnels. Après son message à la Nation du 31 décembre 2018, le chef de l’Etat, interrogé par des confrères, a donné des assurances fermes et claires sur cette problématique du 3e mandat : « C’est moi qui ai écrit la Constitution. Quand on a ramené le mandat de 7 à 5 ans, j’ai dit que le mandat est renouvelable une fois. J’y ai rajouté une clause qui stipule que nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs. Si je suis réélu, je fais un deuxième mandat de 5 ans. Cela fera 7 plus 5. Il faudra partir. C’est ça l’option fondamentale ».
Quand le président Macky Sall a été réélu en février dernier, le débat sur le 3ème mandat est alors soulevé à nouveau. Et le 12 mars 2019, Seydou Guèye, porte-parole du gouvernement et de l’Alliance pour la République, invité du Grand Oral d’Apanews, confirme le Président. « Macky Sall entame son dernier mandat puisque nous sommes partis sur une révision de la Constitution qui a été une révision consolidante. Il n’y a pas besoin d’être péremptoire sur la question, il faut s’en référer à la Constitution. Si vous lisez la Constitution, vous vous rendrez compte que les marges de manœuvre pour interpréter sont très minces, pratiquement inexistantes ». Telle était la réponse du porte-parole du gouvernement qui semblait clore la polémique autour d’un éventuel troisième mandat de Macky Sall. « Le problème qu’on avait connu par le passé, le président Macky Sall y a apporté une réponse en limitant le nombre de mandats, en fixant la durée du mandat du président de la République et en verrouillant un peu la Constitution pour que ces dispositions relatives à l’élection du président de la République soient pratiquement intangibles », avait conclu Seydou Guèye.
Une position qui diverge avec celle du professeur de droit Abdoulaye Dièye. En effet, ce dernier, à l’instar de ses collègues Babacar Guèye et Jacques Mariel Zouankeu, a déclaré, lors de son passage à l’émission « Objection » du 14 avril, que « si jamais demain, par une pression ou une influence quelconque, le président Macky Sall se mettait à dire qu’il va demander au Conseil constitutionnel si c’est son dernier mandat, il va faire un troisième mandat. »
En tout cas, lors du lancement du dialogue national le 28 mai passé, la réponse du Président Sall, interpellé par Mamadou Decroix sur le même sujet, a laissé pantois et dubitatifs beaucoup de Sénégalais. « A l’heure où je vous parle, mon seul souhait est de travailler pour le développement du Sénégal. Donc, je ne suis pas dans les manigances puisqu’il n’y a plus d’enjeu pour moi », a laissé entendre le président réélu. Ibrahima Ndoye, conseiller spécial du chef de l’Etat, nonobstant les déclarations de son patron, a déclaré lors de l’émission Face to Face de la TFM du 21 juillet ceci : « Je souhaite que Macky Sall soit présidentiable en 2024. Je prie Dieu pour qu’il réunisse toutes les conditions. C’est ma conviction personnelle. Mais la décision revient au Conseil constitutionnel ». Interrogé sur la question du 3e mandat le 19 mars 2019 par Seneweb et le 13 octobre suivant par la RFM, le député-maire socialiste Cheikh Seck a répondu invariablement que « ce n’est pas un débat, dans la mesure où la Constitution a tout verrouillé et qu’il n’a jamais été dans l’esprit du Président Macky Sall de penser à un troisième mandat ». Mais il s’enfonce dans un clair-obscur en soutenant que « l’opposition qui a voté non au référendum ne doit pas aujourd’hui se plaindre d’une possibilité d’un troisième mandat et par conséquent, si l’on la suit dans sa démarche, il y aura bel et bien un troisième mandat pour Macky Sall ».
De fil en aiguille, les discours changent et l’on s’éloigne des gages d’un non-troisième mandat présidentiel. Puis, brusquement, lors d’un récent voyage en France, Macky Sall a sommé ses partisans de ne plus se prononcer sur le 3e mandat. Et quand Sory Kaba, alors directeur des Sénégalais de l’Extérieur, a eu l’outrecuidance de parler de la fin de la mission du Président Sall en 2024, le couperet n’a pas mis de temps pour scier la tête de cet audacieux qui s’est prononcé défavorablement sur un sujet considéré désormais comme tabou. Sous le prétexte de l’adoption d’un code de conduite, les militants de l’APR ne doivent plus se prononcer sur autre chose que les réalisations illusoires du Président Sall.
Par conséquent, le parti présidentiel est devenu une sorte de camp militaire où les instructions du Chef ne se discutent pas mais s’exécutent aveuglément. Cela nous rappelle le 5e principe de l’idéologie autocratique du Juche qui fonde le Parti du Travail de Corée de Kim Jong-Un qui ordonne « le respect strict du principe d’obéissance inconditionnelle dans l’exécution des instructions du Grand Chef Kim Il-Sung ». Ici, le Grand Chef s’appelle Macky Sall. L’interdiction aux militants de se prononcer sur l’éventualité d’un 3e mandat suivie du limogeage de Sory Kaba laisse croire que le Président Macky Sall est traversé par un cruel dilemme sur la problématique d’un 3e mandat. Des rumeurs persistantes distillent que le Président Sall aurait déjà demandé secrètement l’avis des Sages sur la question. Lesquels lui auraient répondu positivement. Et l’on ne serait pas surpris que le Président renégat nous refasse le coup de la réduction du septennat en s’adossant à la décision d’un Conseil constitutionnel entièrement acquis à sa cause. Et il ne serait point surprenant non plus que les Sages, se fondant sur la jurisprudence de la Décision n°1/C/2016 du 12 février 2016, lui répondent dans l’éventualité où il les saisirait que « le mandat en cours, au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle. Par conséquent la loi modificative de l’article 27 sur la durée du mandat du Président de la République ne peut pas s’appliquer au septennat. Autrement dit, ledit mandat est écarté du champ du nouvel article 27. Cela signifie qu’on ne peut pas le comptabiliser comme l’un des deux mandats autorisés par l’article 27 ».
Au nom de l’esprit de l’article 27
Même si la lettre modifiant l’article 27 de la Constitution confère juridiquement au Président Macky Sall, initiateur de ladite réforme, la possibilité de briguer un troisième mandat, l’esprit qui le fonde le lui interdit éthiquement. Il n’est pas inutile de rappeler l’orientation qui fut celle du législateur. Toute décision du Conseil constitutionnel doit en effet tenir compte de cette orientation : les Sages ne peuvent pas aller contre son esprit. C’est l’esprit de la loi qui compte et non le texte juridique uniquement. Il y a la loi, son esprit, et son histoire. Pour la comprendre, il faut prendre en compte la durée des socialistes au pouvoir, le besoin d’éviter l’usure du pouvoir et la possibilité d’une alternance démocratique au bout d’une décennie. L’esprit de l’article 27, c’est l’idée fondamentale qui a présidé à son élaboration et continue à l’animer. C’est pourquoi, l’on doit se guider sur l’esprit et non sur le littéralisme qui ignore les finalités, le sens global dudit article. Ayant longtemps souffert d’une Constitution qui ne favorise pas une alternance démocratique, Abdoulaye Wade a adopté une nouvelle Constitution en 2001 qui limite les mandats présidentiels à deux même s’il ne l’a pas respecté en 2012 sous le prétexte d’une rédaction biaisée de l’article 27. Son successeur à la tête de l’Etat, pour éviter les morts de 2011-2012, a jugé nécessaire de réformer cet article en ramenant le mandat à cinq ans et en limitant l’exercice à deux. Et s’il fait prévaloir l’esprit de sa réforme et sa requête adressée au Conseil constitutionnel le 28 janvier 2012 pour demander l’invalidation de la candidature de Wade, jamais il ne penserait à l’éventualité d’un 3e mandat même si c’est le vœu de sa dame, de sa camarilla et de certains alliés qui souhaitent bénéficier encore des ors et voluptés du pouvoir.