NOS FRÈRES JUMEAUX MALIENS
Le texte de Tiébilé Dramé sur SenePlus sonne aussi comme un excellent rappel vis-à-vis des élites sénégalaises qui observent une distance incompréhensible vis-à-vis du drame malien, oubliant que pour nous, le Mali est une affaire de politique intérieure
J’ai lu, avec un grand plaisir, le texte de l’ancien chef de la diplomatie malienne, Tiébilé Dramé, intitulé Ces Sénégalais du Mali et publié par SenePlus. Il cite la profondeur des relations avec le Mali d’un certain nombre de personnalités historiques et contemporaines sénégalaises pour montrer que les deux pays sont intimement liés. Tiébilé Dramé nous dit avec justesse que «le Sénégal et le Mali ont eu une proximité historique unique». Il est heureux, au sortir d’une brouille entre nos deux pays sur fond de sanctions de la Cedeao appliquées par le Sénégal conformément à ses engagements communautaires, qu’une personnalité de cette dimension écrive un aussi grand texte.
Le Mali et le Sénégal sont allés à l’indépendance ensemble dans le cadre de la brève Fédération du Mali. Nous sommes les deux seuls Etats au monde à partager la même devise. Un seul et même peuple habite de part et d’autre de la frontière.
En se rendant au Mali le 15 août 2022, le Président Sall avait vu juste car c’est en voisin qu’il est allé s’enquérir de l’état de nos frères du Mali durant la période trouble que le pays traverse après les deux putschs consécutifs de 2020 et 2021. Cette visite a signifié un dégel et la fin de la période trouble pour entamer un nouveau cycle d’apaisement avec le Mali. Le Sénégal a eu raison de participer activement aux sanctions contre la junte malienne dans le cadre des instances de l’Ua, de la Cedeao et de l’Uemoa. Mais après la pluie, le beau temps. Il ne faut pas pousser le Mali, en l’isolant davantage, dans les bras de ceux-là qui cherchent à déstabiliser la région. Tout en restant exigeant sur les principes, il est nécessaire d’accompagner les autorités maliennes pour une transition apaisée qui débouchera à un retour de l’ordre constitutionnel. Le texte de Tiébilé Dramé sonne aussi comme un excellent rappel vis-à-vis des élites sénégalaises qui observent une distance incompréhensible vis-à-vis du drame malien, oubliant que pour nous, le Mali est une affaire de politique intérieure.
Le Sénégal doit être le premier pays concerné par la situation au Mali au regard de l’histoire et du présent. Nous sommes voisins mais aussi à chaque fois que le Mali a été dans la tourmente, notre pays a été parmi les premiers à agir.
C’est le Sénégal en 2012 qui a exfiltré et accueilli sur son sol le Président Amadou Toumani Touré. Depuis 2012, des soldats sénégalais combattent au Mali au nom de la liberté et de la démocratie. Pour rappel, ce sont ces soldats-dont certains sont tombés sur le champ d’honneur- qu’ici un voyou inculte a traité de mercenaires.
Sur le plan économique, le Mali est le premier partenaire commercial du Sénégal. Bamako est la première destination des exportations sénégalaises. Selon l’Ansd, repris par Jeune Afrique, «en 2020, le Mali a accueilli 21% des exportations de marchandises du Sénégal, soit plus que l’ensemble du continent asiatique (18 %) et dix fois le montant des ventes à destination de la France (2%)». Sur le plan symbolique, le grand dirigeant communiste malien, Tiémoko Garang Kouyaté, a été formé au Sénégal, de même que Soumaïla Cissé et son père Bocar Cissé, Ibrahim Boubacar Keïta, Moctar Ouane, entre autres élites maliennes.
Le Mali est un grand pays, avec une histoire longue et glorieuse ; de la charte de Kurukan Fuga aux révoltes démocratiques, qui ont chassé Moussa Traoré du pouvoir pour faire revenir la démocratie. C’est un pays de lettrés, de grandes figures politiques, artistiques et culturelles contemporaines comme, entre autres, Modibo Keïta, Alpha Oumar Konaré, Oumou Sangaré, Abdoulaye Konaté, le maître des arts visuels malien, à qui la 14ème Biennale de Dakar a rendu un vibrant hommage.
Le Mali ne mérite pas de sombrer dans le chaos ou dans l’autoritarisme d’un régime de colonels, encore moins dans le giron d’un nouvel impérialisme aux visées dangereuses. Le Mali doit revenir dans le camp des démocraties pour mieux faire face aux défis majeurs de la région en matière démocratique, économique et sécuritaire. En écrivant cette phrase : «Les Sénégalais du Mali font partie de l’histoire du Mali comme les Maliens du Sénégal font partie de l’histoire du Sénégal. Avec eux, tous ensemble, avec les autres peuples de la région, nous bâtirons l’avenir», Tiébilé Dramé nous interpelle, nous Sénégalais, et nous invite à aider son pays à conduire sa transition et provoquer l’irruption d’un nouveau soleil de la démocratie et du vivre-ensemble. Ensemble, en frères jumeaux.
Personnellement, Bamako est ma ville préférée au monde. J’aime y respirer l’odeur de la terre rouge et y partager le thé dans les grains où on parle politique avec passion. J’’ai hâte d’y retourner déguster la fameuse soupe de capitaine du restaurant Le Badala et admirer le calme nocturne du fleuve qui toise au loin Koulouba, la colline et sa maison des secrets.