OUSMANE SONKO ET DONALD TRUMP : DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE ET AU SÉNÉGAL
EXCLUSIF SENEPLUS - Les similitudes entre les cas judiciaires du maire de Ziguinchor et de l'ancien président américain sont frappantes. Ils sont pourtant traités différemment. Qu'est-ce que cela dit de notre système démocratique ?
Ousmane Sonko, le chef du principal parti d’opposition du Sénégal a été arrêté le 28 juillet puis inculpé dès le lendemain pour neuf chefs d’accusation.
« Appel à l’insurrection, association de malfaiteurs, atteinte à la sûreté de l’État, complot contre l’autorité de l’État, actes et manœuvres à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et…vol."
Il est dès lors détenu, sans procès à la prison de Sébikhotane où il observe une grève de la faim depuis 30 jours déjà et se trouve à présent dans un état comateux selon ses avocats et ses visiteurs.
La dissolution de son parti - le Pastef - est prononcée par un simple communiqué du ministre de l’Intérieur, confirmée une semaine plus tard par un décret du président de la République.
Condamné précédemment à deux ans de prison avec sursis pour « corruption de la jeunesse » à la suite d’une accusation de viol puis à six mois de prison pour diffamation, son procès aboutira sans nul doute à le rendre inéligible à l’élection présidentielle de février 2024, s’il ne l’est déjà.
Le cas Donald Trump
Clin d’œil de l’Histoire ?
Au moment où Ousmane Sonko est mis en prison au Sénégal et son parti dissous, Donald Trump fait face à la justice américaine pour des charges tout aussi graves si ce n’est plus.
Le président Donald Trump a en effet été inculpé le 3 août par un tribunal fédéral à Washington de « manœuvres criminelles visant à inverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020 », de « complot contre les États-Unis » et « d’attentat contre les droits fondamentaux du peuple américain » pour son implication supposée dans l’attaque contre le Capitole du 6 janvier 2021.
Il s’agit là d’accusations criminelles graves.
Outre cette affaire, l’ancien président américain fait l’objet de trois procédures judiciaires menées dans différents États.
Il est inculpé dans l’État de Géorgie pour « tentative de fraude électorale afin pervertir les résultats de l’élection présidentielle de 2020 ».
En Floride, il est poursuivi pour « recel de documents gouvernementaux classifiés », « rétention illégale d’informations portant sur la sécurité nationale », « entrave à la justice » et « faux témoignage ».
A New York, il fait l’objet de trente-quatre chefs d’accusation pour avoir « orchestré » des paiements pour étouffer trois affaires embarrassantes avant l’élection de 2016.
Chacune des trois poursuites pourraient, dit-on, lui valoir une peine de prison de dix à vingt ans.
Comparaissant devant le tribunal fédéral de Washington comme précédemment devant celui de New York, le président Trump s’est contenté de décliner formellement son identité, de se faire photographier et faire prendre ses empreintes digitales.
Après avoir plaidé non coupable, il est sorti du tribunal au bout de trois heures.
Il reste en liberté totale et jouis de tous ses droits civiques en attendant les différents procès qui pourraient ne pas se tenir avant l’élection présidentielle du 5 novembre 2024.
Et comme il est favori à la nomination du Parti Républicain, il pourrait gagner l’élection. Même s’il était condamné et mis en détention avant les élections, il pourrait quand même faire campagne et se faire élire éventuellement président des États-Unis.
Il y a Démocratie et démocratie
Les similitudes entre les cas judicaires d’Ousmane Sonko et de Donald Trump sont frappantes. Tous deux candidats à l’élection présidentielle dans leur pays respectifs, ils font l’objet l’un comme l’autre d’accusations criminelles. Mais ils sont traités très différemment l’un de l’autre.
Pourquoi ?
Aux USA, il y a une séparation nette des pouvoirs et le « pouvoir arrêtant le pouvoir », le président peut difficilement interférer avec la Justice.
Il est vrai que le président peut toujours faire pression sur le ministère de la Justice (comme on a accusé Donald Trump d’avoir fait à plusieurs reprises pendant son mandat), utiliser les juges locaux (district courts) qu’il a fait nommer à différents niveaux du système judiciaire, manipuler l’opinion publique avec l’aide des médias pour tenter d’utiliser la justice contre ses adversaires.
C’est d’ailleurs l’accusation que Donald Trump et son parti Républicain portent contre le président Biden, le parti démocrate et « les médias mainstream ». Ceci est cependant très difficile et aléatoire.
D’abord parce que le président des États-Unis doit composer pour tout avec les deux chambres législatives que sont le Congrès et le Sénat, dont les membres sont partagés entre Républicains et Démocrates avec une faible majorité pour l’un ou l’autre parti.
Il s’y ajoute que les juges sont de fait indépendants du président puisqu’ils doivent leur nomination autant à celui-ci qu’aux représentants du peuple (le Sénat) qui les a confirmés dans leur fonction et qu’ils sont inamovibles pendant leur mandat (4 à 6 ans).
Il y a aussi que la grande diversité et l’indépendance des médias font qu’il est impossible même pour le président des États-Unis de les contrôler tous en même temps.
Ainsi qu’on le voit, il y a démocratie au États-Unis essentiellement parce que le président ne contrôle ni la Justice ni le pouvoir législatif ni les médias.
Par contre le président de la République est omnipotent, puisqu’il détient tout le pouvoir exécutif et contrôle à la fois le pouvoir judiciaire, le législatif et une bonne partie des médias publics et privés.
C’est fort de ce pouvoir quasi monarchique que le président Macky Sall peut effectivement « réduire l’opposition à sa plus simple expression », choisir ses challengers à l’élection présidentielle, jeter Ousmane Sonko en prison sans jugement, procéder à la traque de ses partisans, ignorer sa grève de la faim et rester sourd à tous les appels à sa libération face à la dégradation de son état de santé.
A défaut d’exiger la séparation des pouvoirs ici et maintenant, les citoyens sénégalais doivent demander le respect, de leurs droits et libertés civiles et politiques essentiels.
Droits et libertés politiques et civiles proclamés par la Constitution du Sénégal et confirmés par nombre de traités et conventions régionales et internationales.