PASTEF FACE AU RISQUE DE FRAGILISER DIOMAYE
Il semble qu'une faction influente du parti au pouvoir cherche à encadrer la liberté décisionnelle du président, particulièrement sur les nominations, en lui imposant des limites à ne pas dépasser
Le tollé soulevé par la nomination de Mme Aoua Bocar Ly Tall au Conseil national de régulation de l’Audiovisuel (Cnra), au titre de représentante des «personnalités qualifiées du milieu des lettres» ne s’est pas encore estompé. On a vu plusieurs «influenceurs» et des militants autoproclamés de Pastef reprendre de la voix pour critiquer cette nomination. Sur les réseaux sociaux, plein d’anciens insulteurs sont en train de s’en donner à cœur joie et rappellent que la dame n’a jamais été un vrai soutien dans «le combat patriotique». Il y a même un «Collectif ses sections communales de Pastef/Les Patriotes» qui a pondu un communiqué à la suite de l’officialisation de cette nomination. Ledit communiqué «dénonce avec vigueur, la promotion des adversaires et ennemis du «Projet»», ainsi que, entre autres, «la promotion des alliés de circonstance, la négligence de la base et les difficultés à joindre les nouvelles autorités, le maintien des éléments du régime apériste dans des instances de décision… ». Même des cadres en vue du parti, comme Guy Marius Sagna ou Amadou Ba, n’ont pas hésité à prendre position dans cette affaire. En oubliant ou faisant mine d’oublier que le décret de nomination des nouveaux membres du Cnra décrète en son Article premier que les personnes nouvellement nommées, le sont pour une durée de 6 années, non renouvelables et non révocables (ce dernier mot à souligner). Ce qui n’a pas empêché plusieurs d’entre eux de s’égosiller.
Certains espéraient peut-être que, instruit par la polémique installée lors de la nomination de l’ancien directeur de la Sirn, M. Samba Ndiaye, comme Pca de la Snhlm, le président Diomaye Faye allait cette fois satisfaire sa base et donner satisfaction à ses ultras. Ils n’avaient certainement pas bien lu le décret de nomination. En plus, ils ne se soucient pas beaucoup de l’effet d’une reculade du chef de l’Etat sur l’opinion et du respect qui serait accordé à ses engagements.
Le plus drôle est de voir à quel point l’indignation de ces «patriotes de souche» est à géométrie variable. Les mêmes personnes qui s’offusquent du «maintien des éléments du régime apériste dans les instances de décision», sont restés à ce jour, étrangement muets de la nomination de personnes comme Lansana Gagny Sakho, ancien Dg de l’Onas, limogé par Macky Sall, avant de rejoindre les rangs de Pastef et se retrouver aujourd’hui Pca de l’Apix. Mieux encore, parmi les plus proches collaborateurs du chef de l’Etat, on trouve Oumar Samba Ba, au poste de Secrétaire général de la présidence de la République. Un poste déjà occupé sous la Présidence de Macky Sall. Il y aussi Mary Teuw Niane, le directeur de Cabinet, anciennement ministre de la République, puis Pca de Petrosen, au temps du même Macky Sall. Un autre proche de Macky, qu’il n’a quitté qu’à la veille de la Présidentielle, c’est Serigne Guèye Diop, pendant très longtemps ministre-conseiller à la présidence de la République, et devenu aujourd’hui ministre du Commerce. Cela, sans parler de la plus emblématique, Mimi Touré, très proche parmi les plus proches de Macky Sall, qu’elle a quitté sous le coup d’une frustration personnelle, pour une sucette dont elle aurait été privée, et qui est devenue une pasionaria de personnes qu’elle avait pourfendues sous tous les tons et devant des publics divers. Sa nomination en tant qu’Envoyée spéciale du président, poste qu’elle avait occupé sous Macky, n’avait suscité que l’ironie des opposants
Aucune de ces nominations, de ces personnes beaucoup plus marquées dans l’appareil apériste, n’a créé de l’émoi chez les partisans de Sonko et Diomaye. Et pour Samba Ndiaye, on a entendu le Premier ministre se défausser sur son chef. Est-ce cela qui avait justifié la sortie de Diomaye, à quelques jours des Législatives, pour rappeler que cette nomination était une prérogative sur laquelle il n’entendait pas déroger ? Cette sortie semble avoir porté ses fruits. Les frondeurs, en tête desquels on trouvait des gens qui, eux-mêmes, avaient bénéficié des largesses de décrets, comme Fadilou Keïta, Dg de la Cdc, ou Waly Diouf Bodian, Dg du Port de Dakar, ont préféré cette fois faire profil bas, laissant la place à de «simples militants». Cela, pour un résultat certainement similaire, à moins que Bassirou Diomaye ne revienne sur le décret tout entier, au grand dam de son autorité. Mais on peut augurer que cette situation n’est pas près de prendre fin. Elle laisse penser qu’il y a au sein de Pastef, une frange de personnes qui semblent décidées à montrer à Diomaye qu’il devrait tenir compte de leurs avis pour toute décision ou toute nomination à laquelle il voudrait s’adonner. Ces gens, qui restent actuellement dans l’ombre, voudraient montrer au chef de l’Etat qu’il n’aurait pas les coudées aussi franches qu’il le voudrait, dans la conduite des affaires de l’Etat, que pour certaines, il y aurait une ligne rouge qu’il ne devrait pas chercher à franchir. Ce qui laisse penser que si ces personnes prennent le risque de défier si ouvertement le président, c’est qu’elles se savent bénéficier d’appuis solides.
La question revient alors à se demander qui, dans l’armature du pouvoir de Pastef, peut être crédité d’assez de pouvoir pour défier le président de la République et lui faire changer d’avis. D’où l’idée que les voies de communication entre les 2 chefs de l’Exécutif étatique et partisan ne seraient plus aussi dégagées que les gens voudraient en donner l’impression. Ce qui renvoie à la question iconoclaste. Si un jour Diomaye était mis en minorité et se sentait acculé et contraint à la démission de la tête de l’Etat, qu’adviendrait-il de tout ce monde qui cherche à le fragiliser ?