PLAN D’URGENCE DE MODERNISATION DES VILLES
EXCLUSIF SENEPLUS - Les visiteurs vont chercher le « vieux Rufisque » sans être impressionné par Diamniadio, ils cherchent Sandaga, le Cices, l’UCAD, les Penc’, les plages mythiques, etc. Moderniser ne signifie pas démolir
Les récentes démolitions du marché Sandaga, de l’hôpital Le Dantec, du château d’eau av. des Diambars, du ministère de l’Équipement (ex camp Lat Dior), des villas dans Dakar-Plateau, du bâtiment de la Médiature (ex Direction de l’Urbanisme et l’Architecture DUA), de l’immeuble Brière de l’Isle … et tant d’autres, ne sont que la partie visible de l’iceberg.
Elles sont inscrites dans un plan dit d’urgence de modernisation des villes et notamment de Dakar et de la Médina mis en œuvre sous le prétexte de valorisation des actifs immobiliers de l’État.
On trouve dans ce plan de nombreux bâtiments en bonne santé structurelle, certains désaffectés, apparemment abandonnés, et par conséquent entraînant le processus naturel de délabrement … en attendant d’être démolis pour cause de vétusté. !« Qui veut tuer son chien, l’accuse de la rage ». Mais là n’est pas le principal problème.
Il s’agit plutôt et essentiellement d’identité, : celle de notre ville de Dakar, et par-delà, celle du pays dans la sous-région.
Dakar, c’est cette petite ville coloniale dont la trame initiale est conçue sur la base de plans d’urbanisme successifs, fruits d’un vrai projet de ville, faisant fi de l’existence des quartiers traditionnels dont quelques traces résistent et qu’il serait temps de valoriser aujourd’hui.
Des quartiers, des grands axes, sont dessinés selon des plans d’urbanisme fondés sur une vision autour des constructions aux architectures bien spécifiques, en fonction des lieux, des demandes, des époques … Toutes ces architectures sont le symbole du pouvoir colonial à Dakar comme dans tout le pays.
D’abord se défendre, s’enrichir et donc s’implanter dans les zones stratégiques.
A Gorée et Saint-Louis pendant plusieurs siècles et ensuite sur les hauteurs du plateau de Dakar avec la construction des forts, contreforts, quartiers militaires (quartier de la Pointe, Cercle de la rade …), camps militaires (cercle mess des officiers, camp Dial Diop, camp Lat Dior …), les phares (des Mamelles, du Cap Manuel…), les gares de Dakar à Saint-Louis etc., le port.
Ensuite se protéger et donc assainir : remplacer les habitats précaires en maisons en dur.
Dès le début du 20e siècle, 400 maisons dites coloniales sont construites dans le plateau et plus tard les grands ensembles, immeubles d’habitation (building des Eaux, Maginot …)
Créer une ville pour les « indigènes », la Médina, sous des prétextes de salubrité.
Soigner, construire des infrastructures de santé (hôpital Le Dantec, Abbas Ndao ex Repos Mandel, Service d’Hygiène, la Polyclinique …)
Mais également éduquer : des écoles, lycées, université (Berthe Maubert, école Thiong, école Malick Sy …, lycée Blaise Diagne, lycée Delafosse, lycée Lamine Guèye ex Van Vo …,
Des Mosquées (toutes les petites mosquées de la Médina dont Santhiaba, mosquée rue Carnot, …, des Églises, (Cathédrale, Malenfant, Sainte Thérèse, temple Protestant de la rue Carnot ….)
Palais de justice, musée (Ifan Théodore Monod…), grands hôtels (Ngor Diarama, la Croix du Sud …) ; mais aussi des parcs, jardins, grands axes plantés (parc de Hann, jardin de la Madeleine … emporté par les eaux…), etc. !
Dakar est ainsi tracée à partir de son implantation coloniale.
Toutes ces architectures sont fortement inspirées de notre architecture traditionnelle et donc particulièrement adaptées à son environnement, à son climat. Elle raconte une histoire, son histoire, et par conséquent la nôtre aussi.
À partir des années 30, pour mieux asseoir son pouvoir, et question de se faire encore plus accepter du public, l’administration coloniale demande à ses architectes de France et peut-être d’ailleurs en Europe, de s’inspirer de l’architecture des grands empires d’Afrique et notamment du Mali. Une importante production de bâtiments d’envergure et de style soudano-sahélien voit le jour, construits avec le matériau moderne de l’époque, le béton armé.
À la fin de la 2ème guerre mondiale, toutes les architectures modernes construites, précurseur du courant architectural dit post moderne, sont bien localisées, bien conçues, solidement construites, toujours adaptées à notre environnement, un réel modèle d’adaptation thermique.
Et puis viennent les années 60/70, et une vision qui nous ressemble s'impose. Elle est basée sur le parallèlisme asymétrique théorisé́ philosophiquement par le Président poète, Léopold Sédar Senghor. Inscrit dans la loi 78-43 du 2 juillet 1978 portant orientation de l’architecture sénégalaise, le parallèlisme asymétrique va au-delà̀ de l’architecture, s’ancre dans la modernité́ à travers notre propre culture. Or donc, il s’agit bien de science africaine.
Ces années ont produit des architectures impressionnantes, telles l’EBAD/UCAD, le Building Communal, l’ENAM, l’immeuble Kébé, l’ex Musée Dynamique, actuelle Cour Suprême, le CICES, la BCEAO, l’hôtel Pullman Téranga, l’hôtel Indépendance ... démoli !; à Saint-Louis, l’UGB, entre autres.
Bien entendu, il est temps de moderniser nos villes et notamment notre ville de Dakar où tous ces lieux s’imbriquent l’un dans l’autre et constituent son identité́.
Cet « héritage de tolérance » est à préserver et donc le moderniser s’entend.
Mais Avant tout, il faut le reconnaître, s’en approprier, et le valoriser pour l’inscrire dans le 21e siècle.
L’enjeu économique et notamment touristique est indéniable. Les visiteurs vont chercher Le « vieux Rufisque » sans être impressionné par Diamniadio, ils cherchent Sandaga, le Cices, l’UCAD, les Penc’, les plages mythiques, etc …
Moderniser Dakar s’entend surtout de façon globale et doit s’inscrire à l’échelle du territoire et non pas dans des opérations ponctuelles.
Moderniser veut dire faire des recherches sur les matériaux : la terre doit être utilisée comme matériau durable, le bois de nos forêts doit être préservé au profit de matériau de substitution, l'architecture spécifique à de nombreux habitats de Kaolack utilisant les palétuviers, le crinting, la terre projetée à valoriser, etc. mais il s’agit également d’encourager la création d’industries productrices de matériaux locaux.
Cette recherche est primordiale. Il faut l’encourager en accompagnant l’école spécialisée pour qu’enfin les matériaux correspondent aux architectures qui nous ressemblent, pour qu’enfin nos écritures architecturales soient culturellement conçues.
Moderniser signifie mettre en valeur ses architectures à fort caractère bio-thermique et non pas les inhiber avec des matériaux qui nous viennent d’ailleurs, nous rendant dépendants des productions étrangères. Moderniser ne signifie pas démolir d’autant que l’on sait l’impact écologique sur les gaz à effet de serre lorsque l’on procède ainsi.
Oui Dakar doit être « modernisée », c’est-dire « redevenir » une ville où il fait bon vivre, marcher, parce que tout est à sa place, réguler l’offre du transport et par conséquent réinventer les transports pour qu’enfin la mobilité soit la meilleure. Ici nos santés et surtout celles de nos enfants sont en danger.
Voilà pourquoi le plan d’urgence qui est en train de se dérouler ne doit pas continuer sans une grande concertation entre les différents acteurs et notamment le public.
Déjà de grands cabinets d’architecture, la plupart venus de l’extérieur du pays travaillent sur la « modernisation » c’est-à-dire la démolition du camp Lat Dior (déjà en cours avec Dak’tower), le ministère des Affaires étrangères, l’ancien Palais de Justice, le CICES … la liste est si longue et inquiétante.
Alors, oui, il est encore temps.
Nous sommes tous concernés !