POURQUOI L’ARABE AU PALAIS ?
Depuis que le président Bassirou Diomaye Faye, a décidé de créer une Direction des affaires religieuses logée à la présidence de la République, qui s’occuperait, entre autres, de l’insertion des diplômés en langue arabe, les commentaires vont bon train
Depuis que le président de la République, Son Excellence Bassirou Diomaye Faye, a décidé de créer une Direction des affaires religieuses logée à la présidence de la République, qui s’occuperait, entre autres, de l’insertion des diplômés en langue arabe, les commentaires vont bon train. Pourquoi une telle direction au Palais ? Pourquoi pas un haut-conseil ? Pourquoi un traitement de faveur pour l’arabe ? Et l’anglais qui chaque jour étale son audience ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter, selon notre sensibilité, d’apporter des éléments de réponses.
Mais auparavant, je voudrais tenter de placer ces actes politiques dans leur véritable contexte, à savoir les relations entre pouvoirs politique et temporel. Et pour cela, je m’appuierai essentiellement sur l’ouvrage de Christian Coulon intitulé Le marabout et le prince. Islam et pouvoir au Sénégal, Paris, Pedone, 1981, 317 pages. Ouvrage dont la lecture m’a particulièrement convaincu de par sa pertinence par rapport au phénomène «pouvoir-marabout».
Le Sénégal, on le sait, a souvent représenté pour l’africanisme français, un «laboratoire». L’ouvrage de Christian Coulon illustre, par la couverture théorique et la présentation des résultats, un nouveau courant de l’anthropologie politique.
Le marabout et le prince de Christian Coulon me paraît contribuer, par une remise en situation des données et des contextes, à lire, à relire le politique dans l’islam.
Christian Coulon nous dit dans sa conclusion : «Si nous voulons comprendre le politique dans les différents lieux où il s’inscrit, il faut renoncer à voir dans le sacré un discours immature, piégé et archaïque. L’islam sénégalais donne sa substance et sa forme au politique dans les conditions -les limites- que j’ai analysées parce que les Sénégalais ont trouvé en lui la parole qui semblait convenir à leurs espoirs, justement parce que sa plasticité offrait une gamme extraordinaire de système d’action et d’interprétation» page 298.
Aussi, l’illustration de ce propos dans l’histoire politique du Sénégal est-elle relativement aisée. Rappelons les relations privilégiées de Léopold Sédar Senghor, le chrétien, avec Serigne Fallou Mbacké, avec son fameux : «Senghor Seng ca Kao.» Celles du Président Abdou Diouf et Serigne Abdoul Ahad Mbacké, et du Président Abdoulaye Wade avec Serigne Saliou Mbacké. Président Macky Sall avec la modernisation des cités religieuses.
Ces perspectives relativement nouvelles de la recherche sont fondées sur un changement de point de vue simple mais fondamental.
De mon point de vue, il consiste en ce que «cette culture musulmane mérite donc d’être prise au sérieux» dans l’exercice de tout pouvoir politique, ici au Sénégal, quelle que soit la couleur de ceux qui accèdent au pouvoir. C’est pourquoi la visite que l’actuel Président que l’on percevait comme «salafiste», a consacrée aux guides religieux en commençant par Touba puis Tivaouane, est salutaire, à plus d’un titre.
Entendons-nous bien, le «prince» de Christian Coulon est aussi celui de Machiavel. C’est l’éternel gouvernant, comme on parlerait d’un éternel féminin. A travers les avatars successifs des souverains wolofs, toucouleurs ou sérères, du commandant de cercle de la période coloniale ou du préfet sénégalais contemporain, le prince concrétise le principe d’une hégémonie naturelle et temporelle dont le «marabout» et le «prince» sont les deux figures de proue. Il en sera ainsi pour longtemps encore ! C’est une tradition bien ancrée dans les mœurs de la République.
En face du «prince», le «marabout» est d’abord le moine soldat, surtout de la tradition confrérique, le combattant de la foi de l’islam et de l’Hégire. Avec le soufisme, le marabout devient souvent un ascète, un saint, un waliyou - cas de Serigne Saliou Mbacké détaché complètement des choses de ce bas monde dont il est le contempteur.
Durant la période coloniale, les marabouts deviendront ainsi tour à tour les auxiliaires administratifs des souverains wolofs, les cadres de l’Almamyat toucouleur dans la vallée du Sénégal, puis les «courtiers» de l’administration coloniale française.
Ainsi, les années quatre-vingt s’ouvrent sur une interrogation décisive pour l’avenir du régime politique «socialiste» au Sénégal. A la suite de la transmission du pouvoir présidentiel de Léopold Sédar Senghor à Abdou Diouf, «les marabouts» vont-ils négocier une nouvelle alliance, comme les y incitent bien des hommes politiques sénégalais ?
En tout état de cause, s’il est facile, en 1980, de designer les enjeux et identifier les partenaires, telle n’était pas la situation à la fin des années soixante, quand Christian Coulon a entrepris ses recherches de terrain.
Par ailleurs, dans les cercles dirigeants sénégalais, les marabouts étaient traités de «citoyens comme les autres», mais bien utiles pour calmer les émeutes, depuis mai 1968 jusqu’à juin 2021.
Voilà, esquissé à grands traits, le tableau général qu’offrent les relations relativement complexes entre les pouvoirs politique et temporel dans notre pays. Et c’est justement dans ce cadre que la récente décision du nouveau Président quant à la Direction des affaires religieuses, ainsi que l’insertion des diplômés en langue arabe, a été prise. Cette direction sera logée à la présidence de la République.
Il faut dire que loger les affaires religieuses à la Présidence n’est pas chose nouvelle. Le Président Wade avait nommé, à ses côtés, un ministre-conseiller chargé des questions religieuses.
Cette entité n’avait pas fait long feu, faute de contenu précis. Maintenant, on nous parle de «direction» ; pour diriger quoi ? Comment ? Va-t-elle donner des directives, des instructions, appelez cela comme vous voulez, aux confréries ? Va-t-elle poursuivre simplement ce que faisait le ministre de l’Intérieur à l’occasion des cérémonies religieuses ? Autant de questions pour le moment sans réponses, et qui nous installent dans une amphibologie fondamentale. Attendons de voir.
Quant à l’arabe, on nous dit que la direction va s’occuper, entre autres, de l’insertion des diplômés en langue arabe. Et ceux qui sont diplômés dans les autres langues, de longue date et qui végètent toujours, qui va s’occuper d’eux ? Les diplômés en langue arabe sont-ils plus méritants que ceux qui le sont en français, la langue officielle de travail bien consignée dans la Constitution ? Que faire des autres langues, notamment l’anglais en pleine expansion ? Quel traitement pour l’allemand, l’espagnol et le russe, pour ne citer que ces langueslà ? Et nos langues nationales ? Ces questions, à mon sens, méritent réponses !
Pourquoi pas une Direction de l’alphabétisation et des langues nationales à la présidence de la République ? De toute façon, quel que soit le statut que lui confèrent les nouvelles autorités, ce n’est pas l’arabe, quel qu’en soit l’usage qu’on en fera, qui développera le Sénégal !
De ce point de vue, le professeur Cheikh Anta Diop, dans Nations Nègres et Culture Tome I page 415, à propos de la nécessité de développer les langues nationales, nous dit ceci : «Il est plus efficace de développer une langue nationale que de cultiver artificiellement une langue étrangère ; un enseignement qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d’éviter des années de retard dans l’acquisition de la connaissance…» Alors pourquoi l’arabe ?
Je reste persuadé que pour régler des questions aussi sensibles, une réflexion approfondie, menée de concert avec tous les acteurs impliqués en la matière, doit être privilégiée, car une telle entreprise ne doit pas se résumer à inaugurer des chrysanthèmes.
Et puis, de quelle insertion parle-t-on ? N’existe-t-il pas déjà un baccalauréat arabe ? Les portes de l’Ecole nationale d’administration –Ena- ne sont-elles pas ouvertes aux arabisants ? Ne compte-t-on pas des instituteurs et professeurs dans le système éducatif sénégalais, formés dans les Crfpe -Centres régionaux de formation des personnels de l’éducation- et l’Ens -l’Ecole normale supérieure-, l’actuelle Fastef ? N’existe-t-il pas des inspecteurs en langue arabe ? Et que sais-je encore ! N’amusons pas la galerie ! La question est trop sérieuse pour être politisée au risque de créer des frustrations de nature à générer des troubles inutiles. Maintenant, si c’est pour attirer les fonds saoudiens et du monde arabe en général, cela constitue une autre paire de manches qui mérite réflexion. Bu ñu kène nax.
En somme, remarquons simplement que la communauté confrérique se veut un cheminement -la confrérie est une «voie» ou tarixa- et non instituée en assemblée –ecclésia- bien que le glissement de la «tarixa » à la «dahira» complique en fait par ses relents politiques les configurations des modes d’organisation sociale. Mais au-delà de ces considérations politico-religieuses, les enjeux sont purement économiques et financiers. Alors pourquoi pas ne pas recourir aux institutions de Bretton Woods -Fmi et Bm- , qui prêtent même aux pays riches. La dette en soi n’est pas mauvaise, l’essentiel reste l’usage qu’on en fait. N’oublions pas que la France est l’un des pays les plus endettés de la zone Euro.
Yakhya DIOUF
Inspecteur de l’Enseignement élémentaire à la retraite